J'avais lu par hasard le premier chapitre de ce livre en cherchant
une version considérée comme à jour méthodologiquement de la
F-scale (l'auteur présente, dans ce premier chapitre, la RWA-scale
qu'il a lui-même créée et qui a d'ailleurs connu plusieurs
versions successives) il y a un peu plus d'un an, dans le cadre de
mon projet tutoré sur les troubles du comportement alimentaire (oui,
j'ai de drôles d'idées). Bien qu'émerveillé par ledit chapitre,
c'est à peu près un an plus tard que j'ai lu le reste du livre,
pourtant disponible en ligne et gratuitement. Mon haut niveau de
procrastination est pour une fois bien tombé, d'une part parce que,
si j'avais eu une compréhension plus fine de la personnalité RWA,
ça m'aurait compliqué la vie pour le projet tutoré et
j'étais bien assez en retard comme ça, et d'autre part parce que
l'opposition virulente qu'il y a eu en France au moment de
l'autorisation du mariage entre homosexuel·le·s constituait une
illustration bien plus précise de cette personnalité que la
radicalisation acceptée de l'UMP en cours depuis 10 ans (un chapitre
du livre explique d'ailleurs, à propos en particulier de Georges
Bush fils, que la radicalisation d'un parti politique ne s'explique
pas particulièrement par la radicalisation des électeurs).
Le
livre, écrit pour être publié gratuitement en ligne (par contre, à
ma connaissance, il n'est hélas dispo qu'en anglais), est le
résultat de recherches qui ont occupé l'essentiel de la vie
universitaire de l'auteur, et son existence résulte à la fois de
raisons scolaires (l'auteur s'est dirigé vers ce secteur de
recherches après s'être ramassé dans un partiel à une question
sur, si j'ai bien compris, la fameuse F-scale) et citoyennes (les
élections présidentielles de 2008, il en parle dans un texte
complémentaire, lui ont temporairement donné tort, mais il estime
au moment de la publication du livre en 2006 que la situation est
grave et qu'il y a urgence - "les six dernières années nous ont
fourni de bien nombreux exemples de comportement autoritaire dans le
gouvernement Américain. Ça n'est jamais autant tombé sous le sens,
ça n'a jamais été aussi pertinent, ça n'a jamais été aussi
urgent de parler du sujet", "Il n'y a pas eu dans mon
existence de président plus autoritaire que George W. Bush, et il
n'y a jamais eu de pire président. Ce n'est pas une
coïncidence"). Son objet est d'être lisible par tou·te·s (et pas
uniquement par quelques obscurs chercheur·se·s et étudiant·e·s), et de fait
il se lit très vite, mais si l'auteur fait un effort de pédagogie
et épargne aux lecteur·ice·s une partie des détails techniques, il ne fait
pas de concessions sur la complexité des données ("ce n'est
pas La personnalité autoritaire pour les Nuls"). Il
m'est déjà arrivé de préciser sur ce blog le fait évident que le
résumé n'est pas le livre, j'oublie forcément des choses
importantes et à la limite c'est tant mieux, mais ce sera
particulièrement vrai ici puisque le contenu est dense.
Pour ceux·elles du fond qui ne suivent pas je vais commencer par parler de
la F-scale, vu que sans F-scale Robert Altemeyer n'aurait pas pu nous
dire tout ça et du coup je serais en train de parler d'autre chose.
Les dictatures qui ont terrifié et ensanglanté l'Europe à partir à
peu près des années 30 jusqu'à conduire à la 2ème guerre
mondiale, et qui maintenant servent à insulter l'interlocuteur à
longueur d'échanges sur les réseaux sociaux sur Internet quand on n'a pas trop d'arguments,
n'ont pas seulement inspiré
1984 mais aussi des recherches
fondatrices en psychologie sociale, pour tenter de comprendre comment
on pouvait en arriver là (la plus célèbre étant probablement
celle de Milgram, dont vous avez tou·te·s lu le livre depuis que je vous
l'ai ordonné
ici). Parmi celles-ci, la création par Theodor
Adorno de la F-scale (vous aurez brillamment déduit par vous-même que le F correspond à "Fasciste"), test de personnalité pour évaluer la
sensibilité aux idéologies des dictatures en question. Celle là
c'est la plus célèbre, il y en a d'autres, complémentaires, mais je
ne pourrai pas en dire plus parce que j'ai juste lu leur nom une fois
sur Wikipédia (je crois...). Si ceux·elles du premier rang qui suivent
veulent prendre le relais iels sont les très bienvenu·e·s. L'un des
défauts, peut-être le plus saillant, de la F-scale est que tous ses
items vont dans le même sens (c'est une échelle de Likert, c'est à
dire qu'on donne un score à chaque phrase proposée selon à quel
point on est d'accord ou pas d'accord, sauf qu'ici, pour chaque
phrase, plus on est d'accord plus on est "F", et ça se voit quand
on passe le test). Altemeyer rapporte la teneur des débats pour
faire évoluer ce test : "c'est ennuyeux, le biais d'approbation
fausse le test" "Oui, mais peut-être que justement, la
personnalité F implique une forte tendance à l'approbation, il
faudrait vérifier ça expérimentalement" "Excellente idée!
Comment on va sélectionner les individus F pour cette expérience?" "Euh, en leur faisant passer le F-scale?" (pour l'anecdote, oui, la
personnalité autoritaire va de pair avec une forte tendance à
l'approbation).
L'échelle RWA, en plus d'impliquer pour avoir un score élevé
d'être d'accord avec certains items (par exemple "Un
jour notre pays sera détruit si l'on n'écrase pas les perversions
qui rongent notre fibre morale et nos valeurs traditionnelles")
et en désaccord avec d'autres (par exemple "Ceux
qui ont défié la loi et le sens commun en militant pour le droit à
l'avortement, les droits des animaux, ou contre la prière à l'école
forcent l'admiration"), a été affinée au fur et à mesure des
versions pour isoler trois traits principaux : une forte
soumission aux autorités établies, une forte agressivité au nom
des autorités en question, et un grand conformisme. RWA
signifie Right-Wing Authoritarian (littéralement "personnalité
autoritaire de droite"), mais pour l'auteur le "right" est plus à
comprendre dans le sens de l'obéissance à la loi et à l'autorité
que désigne le vieil anglais "riht" (ce n'est pas une faute de
frappe, ça s'écrit comme ça, c'est pas de ma faute c'est du vieil
anglais). On peut envisager des individus RWA de gauche, par exemple
dans une dictature communiste. La personnalité LWA (Left-Wing
Authoritarian) désignerait plutôt quelqu'un qui partagerait ces
traits, mais serait au service d'une instance qui souhaite renverser
l'autorité établie (j'ai beaucoup de mal à comprendre le concept... les soutiens de Trump auraient été RWA puis pouf seraient devenus LWA le lendemain de la passation de pouvoir?). Le test, il faut aussi le préciser, a
été élaboré pour la population d'Amérique du Nord. On peut
imaginer que des modifications seraient nécessaires, par exemple,
pour la France et le Japon, où le rapport à la religion est
différent (de nombreuses références sont faites à la religion,
bien qu'être croyant·e ne signifie pas avoir une personnalité RWA,
loin de là... dans l'un des recueils de données les plus larges
qu'ait faits l'auteur, 62% de ceux·elles qui avaient un score très faible
au test étaient religieux – en revanche, cela permet d'évaluer le
niveau d'agressivité, de conformisme et de soumission au nom de
valeurs religieuses). Autre précaution : s'il s'agit d'un test
de personnalité, et s'il est un peu moins transparent que le test du
F-scale (alternance d'items à approuver ou désapprouver, test de
personnalité sous forme de test d'opinion, ...), ce qui est évalué
reste plutôt clair. La fiabilité test-retest est grande, mais le
contexte a une forte influence sur les réponses (en particulier du
fait du biais de désirabilité sociale -pas tout à fait la même
chose que le biais d'approbation-... auquel les RWA élevés sont
très sensibles). Donc, le faire passer à votre cousin qui dit "je
suis pas raciste, mais..." toutes les 5 minutes aux repas de famille
et dire "je le savais!" n'a pas grand intérêt, le score ne peut
être évalué rigoureusement qu'avec une comparaison au score
d'autres personnes ayant passé le test dans le même contexte (je
suis bien d'accord, c'est même pas drôle).
En tant que professeur d'université, Robert Altemeyer a depuis
longtemps à sa disposition force sujets à qui faire remplir des
questionnaires (en échange de points bonus quand le questionnaire
est particulièrement laborieux à remplir) pour tester différentes
hypothèses sur la personnalité RWA : les élèves et leurs
parents (je n'ai pas dit que tout ce qu'on lit dans son texte
concerne les élèves de l'Université de Manitoba et leurs parents!
- d'autant que, en tant que chercheur, Robert Altemeyer se tient beaucoup
au courant de l'ensemble des recherches sur le sujet -, mais ça
permet dans pas mal de cas des résultats avec un gros effectif). Il a
ainsi pu constater que la notion d'endogroupe et d'exogroupe est
particulièrement importante pour les RWA ("Ils n'auront pas
la médaille d'or olympique à l'épreuve des préjugés (on verra
plus tard à qui elle reviendrait), mais soyez sûrs que les RWA
élevés seront sur le podium"). Cela explique le contraste
entre la violence qu'iels sont prêt·e·s à déployer envers ceux·elles qui
s'écartent du droit chemin (à condition qu'iels ne puissent pas
riposter), et leur indulgence lorsque c'est une autorité considérée
comme légitime qui s'écarte du droit chemin en question. De la même
façon, s'écarter du droit chemin pour s'en prendre à un groupe
considéré comme ennemi (par exemple commettre un lynchage, ce qui
est un peu illégal) ne sera pas nécessairement mal vu. Cette
tendance pousse les individus de personnalité RWA à rester dans des
groupes très homogènes (même religion, même couleur de peau...
même personnalité RWA), et, dans cette mesure, à croire
sincèrement qu'ils ne sont pas racistes, homophobes, misogynes
etc... (puisqu'iels ne le sont pas plus que leur entourage). Autre
conséquence de cet état de fait : en situation de tension,
ce sont d'abord les individus RWA, de part et d'autre, qui voudront
anéantir l'ennemi. Ainsi, une étude conduite parmi des étudiant·e·s
d'Israël a établi qu'à la fois parmi les étudiant·e·s juif·ve·s et les
étudiant·e·s palestinien·ne·s, ceux·elles qui avaient eu le score le plus élevé
au test étaient aussi les plus hostiles à une
solution pacifique au conflit territorial. Une autre étude,
concernant la guerre froide, conduite sous Gorbatchev (qui venait
d'étendre suffisamment les libertés individuelles pour que les
universitaires russes puissent faire des recherches en psychologie
sociale dans de bonnes conditions) a permis de montrer que les RWA
élevés, que ce soit chez les étudiant·e·s russes ou américain·e·s,
pensaient de la même façon que la course aux armements avait été
enclenchée par l'ennemi, qui d'ailleurs serait prompt à utiliser
l'arme atomique s'il avait la certitude de pouvoir le faire
impunément, qu'il était légitime d'envahir un territoire voisin
s'il donnait l'impression de vouloir s'allier avec l'adversaire,
qu'iels étaient en situation de légitime défense et ne faisaient
que le nécessaire pour se prémunir contre un envahisseur dangereux,
agressif et immoral, … Ces individus, qui se détestent tant
qu'ils sont prêts à communiquer par bombe atomique interposée, se
trouvent donc en fait être les mêmes personnes, à ça près qu'ils
se trouvent être nés d'un côté ou de l'autre du rideau de fer.
Une telle agressivité s'explique en partie par la forte sensation
d'être en danger : ceux·elles qui ont un score élevé au test RWA
ont généralement un score élevé au test du Monde Dangereux (iels
sont fortement d'accord avec des items tels que "Si notre société
continue à dégénérer comme elle le fait ces derniers temps, elle
va probablement s'effondrer comme une bûche rongée par la
pourriture, et le chaos s'ensuivra", fortement en désaccord avec
des items tels que "Notre société n'est
pas envahie par des communautés immorales et dégénérées
qui s'en prennent cruellement aux honnêtes citoyens. La presse,
quand elle en parle, en rajoute et induit en erreur"), et le test du
Monde Dangereux est le meilleur indicateur d'agressivité RWA que
l'auteur ait trouvé à ce jour (enfin, au jour où il a publié ce
livre, après j'en sais rien). Les préjugés ne sont pas la seule
explication ("les parents des autoritaires ont appris à leurs
enfants à avoir peur des homosexuels, des gens subversifs, des
athées et des pornographes. Mais ils les ont aussi invités, plus
que la plupart des parents, à se prémunir des kidnappeurs, des chauffeurs imprudents, des brutes et des ivrognes"). D'ailleurs, non seulement
un score RWA élevé prédispose à un score Monde Dangereux élevé,
mais "les gens semblent pour la plupart prédisposés à voir leur
score RWA bondir en temps de crise". La peur augmente l'agressivité,
mais aussi la soumission.
Dans une étude, Altemeyer a demandé à des élèves si le problème
le plus grave, aujourd'hui, pour le pays, était la drogue et la
criminalité qu'elle impliquait. "Oui", ont répondu une nette
majorité (60 à 75%) des RWA élevés. A un autre groupe, il a
demandé si la destruction de la famille était le problème le plus
grave. "Oui", ont répondu une grande majorité (plus de 75%) des
autoritaires. Une troisième groupe d'entre eux considérait, dans
une large majorité, qu'en effet, la perte de foi religieuse et
d'engagement religieux était le problème le plus grave. Dans un
quatrième groupe, iels étaient également de 60 à 75% à être
d'accord avec le fait que le problème le plus grave, c'était la
destruction de l'environnement. Ce qui fait beaucoup de problèmes le
plus grave. Quand on explique à un RWA faible que tel ou tel
problème est le plus grave, sa réaction est généralement: "ah
oui?". A la même assertion, la réaction d'un RWA élevé sera
généralement "ah oui!". Les autoritaires tendent en effet à
avoir l'esprit compartimenté. Il convient de préciser que TOUT LE
MONDE a l'esprit compartimenté. La psychologie sociale a identifié
un grand nombre de mécanismes qui font la différence entre la
pensée sociale et la pensée rationnelle, et en identifiera
d'autres. Seulement, les RWA élevés ont l'esprit plus compartimenté
encore. Par exemple, la plupart estimeront que le syllogisme "Les
poissons vivent dans la mer. Les requins vivent dans la mer. Donc,
les requins sont des poissons" est juste, voire ne verront pas où
est le problème si on leur fait remarquer qu'ils se sont trompés.
Les requins sont bien des poissons, non? Et, si méfiant·e·s qu'iels
soient envers les cibles qu'on leur a appris à redouter et à haïr,
iels prêteront une oreille attentive à celui ou celle qui dit ce qu'iels
veulent entendre, sans s'inquiéter si ce qu'iel dit, avec ferveur de
préférence, contient des éléments contradictoires, et sans se
préoccuper de savoir, par exemple, s'iel dit ça pour la seule et
unique raison que c'est ce qu'iels veulent entendre. Ce qui nous amène
au test d'Approbation de la Domination Sociale, qui permet entre
autres de déterminer une tendance à dire aux gens ce qu'iels veulent
entendre si ça peut servir.
Sam
McFarland, chercheur à l'University of Western Kentucky, a cherché
parmi 22 tests lesquels étaient les meilleurs prédicteurs de la
tendance aux préjugés. 2 seulement ont donné satisfaction :
le test de RWA et le test d'Approbation de la Domination Sociale
(exemples d'items positifs : "Certaines personnes ont
tout simplement plus de valeur que d'autres", "certains
groupes ne sont tout simplement pas égaux aux autres", "le
pays se porterait mieux si on s'inquiétait moins de l'égalité
entre tout le monde", exemple d'items négatifs : "s'il
y avait plus d'égalité de traitement entre les gens, il y aurait
moins de problèmes dans ce pays", "Chacun devrait
traiter l'autre d'égal à égal dans la mesure du possible",
…). Seulement, la corrélation entre les résultats aux deux tests
est faible. Si la conversation entre un RWA élevé et un Dominateur
Social porte sur la juste place des femmes dans la société ou les
immigré·e·s qui pillent les emplois et les aides sociales et veulent
imposer chez les autres leurs coutumes de sauvages, iels s'entendront
merveilleusement. Mais pour le reste? En fait, iels s'entendront
encore mieux! Ils n'ont pas la même ferveur religieuse, leur
agressivité n'a pas la même raison d'être, les Dominateurs Sociaux
n'ont pas le même esprit compartimenté (ça n'a pas grande
importance, les valeurs morales ça ne sert pas à grand chose)...
mais c'est sur leur rapport à l'autorité qu'iels seront le plus
différent·e·s et complémentaires. La soumission constitue une part
importante de la personnalité RWA. A 18 ans, leur désir de pouvoir
à 40 ans (entre 0, pas de pouvoir du tout, et 5, avoir une influence
décisive sur le pays entier) est significativement inférieur à la
moyenne des étudiant·e·s testé·e·s. Vous l'aurez compris, les Dominateurs
Sociaux ont, de leur côté, un désir de pouvoir significativement
supérieur à la moyenne. On a donc d'un côté, des gens qui ne
demandent qu'à être pris en main (par des leaders qui sont d'accord
avec eux), et de l'autre des gens qui ne demandent qu'à être obéis
au doigt et à l’œil. Un autre test (Pouvoir Personnel, Méchanceté
et Domination, exemple d'items positifs : "est-ce que
l'argent, la richesse et le luxe sont importants pour vous ?",
"gagner n'est pas le plus important : c'est la seule
chose qui compte", "est-ce que vous aimez qu'on ait peur
de vous ?", "C'est une erreur d'interférer avec "la loi de la jungle". Certains sont faits pour dominer
les autres", exemple d'items négatifs : "la
meilleure façon de diriger un groupe dont on a la supervision est de
faire preuve d'amabilité et de considération, et de traiter les
gens comme des alliés, pas comme des subordonnés", "Il
vaut mieux, de loin, être aimé que craint", "la
charité (donner sans rien recevoir en échange) est admirable, et
non ce n'est pas stupide", "aimeriez-vous être connu comme
quelqu'un de bon et clément?") a une forte corrélation avec
les résultats au test d'Approbation de la Domination Sociale et
donne une idée de l'intérêt à avoir une oreille peu critique à
disposition (éteignez-moi cette imprimante, je vous ai déjà dit
que ça n'avait pas d'intérêt de faire passer le test à une seule
personne, alors laissez votre cousin tranquille... non, je ne veux
pas savoir ce qu'il dit sur les chômeur·se·s!).
Bien que cela soit surprenant (les deux groupes sont complémentaires
parce qu'ils sont très différents entre eux), 5 à 10% des
individus qui passent les deux tests ont un score élevé à la fois
au RWA et au test d'Approbation de la Domination Sociale (si vous
vous demandiez depuis le début du résumé qui était en haut du
podium aux Jeux Olympiques des préjugés, vous avez maintenant la
réponse). Altemeyer les baptisera Double High (je laisse en
anglais, parce que Elevé Deux Fois ça sonne quand même super mal).
Ils ont, par exemple, obtenu le score le plus élevé à un autre de
ses tests, qui mesure l'adhésion à la thèse qu'un complot juif
vise à prendre le contrôle des Etats-Unis, et que, par exemple,
l'ONU ou les lois restreignant le port d'arme font partie intégrante
du complot (à mon grand regret, l'auteur ne fournit pas le test, ni
même un extrait). Ils approuvent bien la soumission à une autorité,
mais la soumission des autres : ils veulent être l'autorité en
question. Ce sont des RWA qui veulent détenir le pouvoir (serait-ce
avec l'usage répété de l'hypocrisie), des Dominateurs Sociaux avec
une grande ferveur religieuse. Cette ferveur religieuse leur donne un
avantage sur les autres Dominateurs Sociaux envers
les RWA, qui accordent une grande importance à la religion : le
Dominateur Social n'aura aucun scrupule à proclamer que son but dans
la vie est de servir Dieu si ça fait plaisir à son audience, mais
le Double High aura passé un temps conséquent à l'église "pour
de vrai", aura bien plus de familiarité avec les textes, les
rituels religieux et, accessoirement, les croyant·e·s. Ses discours
contribueront également à entraîner des fondamentalistes religieux·ses
(un chapitre entier, très intéressant en plus, leur est consacré
mais bon, vous je sais pas mais personnellement je commence à
trouver que le résumé est déjà long, là), pas nécessairement
politisé·e·s, vers les urnes.
Altemeyer a fait passer le test du RWA (anonymement) à de nombreux·ses politiques, aux Etats-Unis et au Canada. Au moment du recueil
de données, le test d'Approbation de la Domination Sociale n'existait
pas encore, mais dans la mesure où les RWA en général ne sont pas intéressés par le pouvoir, il se permet de supposer que
l'essentiel des RWA élevés sont en fait des Double High. Aux
Etats-Unis, le bipartisme fait que le résultat au test RWA ne permet
pas vraiment de déterminer si le sujet est Républicain ou
Démocrate... toutefois, les résultats des Républicain·e·s sont bien
plus homogènes, et iels restent en moyenne plus RWA que les
Démocrates. En ce qui concerne les électeur·ice·s, le test RWA est loin
de constituer un indice fiable sur le bulletin qui va être mis dans
l'urne, et ce pour diverses raisons ("beaucoup de gens s'intéressent
autant à la politique que je m'intéresse aux rutabagas, pour les
mêmes raisons", "il faut reconnaître que les partis politiques
nous facilitent rarement la tâche quand on cherche à comprendre
leurs revendications", …). Toutefois, "plus les gens
s'intéressent à la politique, plus le choix de leur parti va
corréler avec le résultat au test RWA". Dans l'échantillon des politiques du Canada, où la pluralité des partis politiques
est plus proche de la situation française, "l'affiliation à
un parti a une corrélation moyenne de .82 avec l'autoritarisme,
c'est l'une des relations les plus fortes jamais constatées en
sciences sociales", "du moins en ce qui concerne le
Canada, dire qu'un politique est plus où moins de gauche ou de
droite, c'est dire s'il aurait eu un score plus ou moins faible ou
élevé au test du RWA".
Comme tout livre soulevant un problème qui se respecte, celui-ci se
termine sur les solutions (l'argumentation rationnelle n'est pas une
solution : "Vous pourriez gagner les 15 rounds d'un débat
catégorie poids lourds face à un dirigeant Double High en apportant
des preuves historiques, logiques, scientifiques, en citant la
Constitution ou ce que vous voulez, dans un auditorium rempli de RWA
élevés, que vous ne décaleriez pas leur avis d'un millimètre").
L'auteur commence par les solutions idéales mais surréalistes,
comme prier les dirigeant·e·s de bien vouloir arrêter d'expliquer aux
gens que c'est la fin du monde parce que c'est la crise/parce qu'un
attentat terroriste menace à chaque seconde/parce que les femmes
hétérosexuelles vont passer leurs journées à avorter pendant que
les homosexuel·le·s vont commander des enfants sur Internet/parce qu'un tsunami d'immigrant·e·s envahit nos terres dans le
seul but de finir plus nombreux que nous avec leurs 5 femmes et 17
enfants par famille et de nous imposer leur mode de vie et encore
c'est que le début. En revanche, il est pessimiste sur leur bonne
volonté. Il ne croit pas non plus beaucoup à la faisabilité
d'intégrer l'apprentissage de la désobéissance dans l'éducation
(tiens donc, mais pourquoi parents et enseignant·e·s pourraient-iels bien
être réticent·e·s à apprendre aux enfants à désobéir?), à
fortiori en ce qui concerne la bienveillance des familles RWA (le
trait de personnalité RWA, contrairement au trait de personnalité
Domination Sociale, se retrouve fortement de parents à enfants)
envers cette proposition.
La
solution la plus efficace consiste simplement à passer du temps avec
les RWA. En effet, les RWA sont des champion·ne·s du préjugé, mais
c'est surtout parce qu'iels passent la plupart de leur temps dans des
groupes homogènes. Les études à l'Université, par exemple,
diminuent le score au RWA-scale sur le long terme. Mieux, en faisant
passer un test d'attitude à deux classes, l'une à laquelle il avait
dit être homosexuel, l'autre à laquelle il n'avait rien dit du
tout, il a pu constater que les élèves de la première classe
étaient moins défavorables aux homosexuels (mais lui étaient plus
défavorables à lui!). Les
RWA passant beaucoup de temps entre eux, il faut aller les chercher,
mais c'est possible. Du fait de leur religion, iels se préoccupent
par exemple de respecter la planète, et ça tombe bien, il y a de
quoi faire, et c'est une bonne nouvelle d'une part parce que ça
permet de passer plus de temps à plus nombreux avec eux·elles, d'autre
part parce que leur tendance à prendre les causes qu'iels défendent
extrêmement au sérieux en feront des allié·e·s précieux·ses de toutes
façons (en revanche, profiter de l'occasion pour faire de la
propagande risque de les braquer). La violence, quant à elle, est de
toutes façons à éviter, déjà parce que la violence c'est mal, et
ensuite parce que ce serait dérouler un tapis rouge aux Dominateurs
Sociaux pour prendre le pouvoir, peut-être même en intégrant votre
propre camp ("on entend sans arrêt les leaders autoritaires parler
de défendre la liberté, d'exporter la liberté, et de se sacrifier
(mais pas eux) pour la liberté"). Autre cadeau que les Dominateurs
Sociaux attendent qu'on leur fasse : baisser les bras et se
dépolitiser ("les dominateurs sociaux veulent que vous soyez
dégoûtés de la politique, ils veulent que vous n'y croyiez plus,
ils veulent que vous ne soyez plus sur leur chemin").
Bien que les données présentées puissent paraître manichéennes
(à fortiori dans ce résumé, où je n'entre pas dans le détail des
expériences parce que j'aimerais bien aller me coucher un jour), et
que les motivations à l'origine du livre soient en partie
politiques, l'auteur précise à de nombreuses reprises qu'il s'agit
d'un travail scientifique, et non d'un pamphlet pour appeler à voter
pour ou contre tel ou tel parti politique ("déjà, je ne fais pas
confiance aux partis politiques") … pas même contre le parti
Républicain, celui de Georges Bush. Ou plutôt si, il appelle
clairement à voter contre le Parti Républicain de Georges Bush
parce que ce parti n'est plus un parti conservateur en alternative au
parti Démocrate, mais un parti pris en otage par la droite
religieuse et ses dangereuses revendications RWA ("Si le Parti
Démocrate avait été envahi par les autoritaires comme l'a été le
Parti Républicain, c'est d'eux que je serais en train de parler, pas
des Républicains. Je veux que le Parti Républicain revienne aux
Grand Old Principles de ses débuts et qu'il constitue de nouveau une
option conservatrice pour le peuple américain, pas qu'il impose
l'option autoritaire", "la prise de contrôle est telle que
nombreux sont ceux qui ont oublié ce que voulait dire "conservateur"
avant de vouloir dire "autoritaire" "). Mais, plus que de montrer
patte blanche quand à ses opinions politiques, Altemeyer rappelle
surtout que les travaux qu'il présente sont des travaux
scientifiques, donc qui concernent des données recueillies de façon
neutre ("dans presque toutes les expériences, les RWA bas et les
Dominateurs Sociaux bas avaient tout autant de chances de faire
mauvaise impression que les sujets situés à l'autre extrême").
Et, plus important que cette profession de foi, il invite le·a lecteur·ice
à relativiser ces résultats : "C'est manichéen si on en
conclut que les autoritaires n'ont pas la moindre qualité à faire
valoir, parce qu'ils ont des qualités. Les RWA élevés sont
dignes de confiance, travaillent dur, sont joyeux, charitables, très dévoués
aux gens qui font partie de leur groupe, sont de bons amis, etc...
Les Dominateurs Sociaux sont ambitieux et ont l'esprit de
compétition, soit deux vertus essentielles dans la société
américaine", "si on est tentés par les résultats présentés au
début de ce livre de penser que les RWA et les Dominateurs Sociaux
sont des méchants démoniaques alors que nous nous sommes dans le
camp des anges, on ne tombe pas seulement dans le piège de
l'ethnocentrisme, on ne plonge pas seulement bien profond dans une
piscine de vertu autoproclamée, on est aussi probablement en train
de se faire des films" (vertu autoproclamée est la moins pire
traduction que j'ai -laborieusement- trouvée pour
self-righteousness, trait de caractère central dans la personnalité
RWA qui se trouve être un mot qui
n'existe pas
en français, au point que même le si précieux
www.wordreference.com
raconte n'importe quoi). Pour être crédible et convaincant,
l'auteur complète ses injonctions morales par une illustration à
partir de deux des dispositifs expérimentaux utilisés par Milgram
dans sa fameuse expérience (oui, parce qu'on dit toujours -et on,
c'est moi aussi, d'ailleurs- "l'expérience de Milgram", mais pour
dépasser le stade du "haaaan, c'est pas bien" -qui est déjà une
bonne chose d'accomplie, au passage, vu le choc que ça fait quand on
en entend parler- et comprendre ce qui se passait, Milgram a
reproduit son expérience de base avec de nombreuses variantes, donc
on devrait dire "les expériences de Milgram"). Dans ces
conditions, le sujet participait activement (sans cette
participation, l'expérience fictive ne pouvait pas avoir lieu), mais
n'infligeait pas les chocs électriques lui-même. L'une d'elles
impliquait deux personnes (complices de l'expérimentateur) pour les
électrocutions. Elles se rebellaient et refusaient de continuer au
bout de 210 Volts, et le sujet était prié de les remplacer, allez
hop, plus vite que ça! Seuls 10% des sujets se sont exécutés. Dans
l'autre, la personne qui électrocutait le faisait sans la moindre
protestation. Pour ce dispositif expérimental, 92% des sujets ont
continué de fournir leur assistance jusqu'à la fin de l'expérience.
Illustration efficace du fait que, si la personnalité compte
indubitablement (8% des sujets ont eu la présence d'esprit et le
courage d'arrêter l'expérience dans la seconde condition, et 10%,
dans la première condition, ont obéi à des consignes cruelles,
dangereuses et absurdes, qu'ils désapprouvaient probablement, alors
qu'ils venaient d'assister à deux exemples de désobéissance
impunie), le contexte peut avoir un poids écrasant, d'où ses
conclusions : "la recherche a montré qu'il fallait plus de
pression pour pousser un RWA bas à des comportements honteux comme
dans l'expérience de Milgram qu'il n'en faudrait pour des RWA
élevés. Mais, je le répète, la différence entre autoritaires bas
et élevés est une différence de degré, pas de
personnalité", "L'échelle RWA et l'échelle
d'approbation de la domination sociale ne montrent pas "à
quel point on est autoritaire". Elles donnent un indice sur
notre tendance à être autoritaire. C'est
notre
comportement qui
montre à quel point on est autoritaire. "Salut, moi c'est
Bob. Je peux être autoritaire" ".
Intérêt supplémentaire du livre,
comme l'auteur souhaite que le texte soit accessible à tou·te·s sans
pour autant simplifier son propos, il donne (surtout en notes de bas
de page, pour éviter de saouler ceux·elles que ça n'intéresse pas) des
cours de psychologie sociale, sur le fonctionnement des tests, le
recueil des données... qui risquent fort d'être un rappel bienvenu
pour l'étudiant·e débutant·e (genre en 3ème année de licence, pour
donner un exemple complètement au hasard...). Il prend aussi
l'excellente initiative de créer une norme pour l'interprétation
des coefficients de corrélation (inférieur à .316 : corrélation
faible, de .316 à .417 : corrélation modérée, de
.418 à .458 : corrélation solide, .549 à .632 : forte corrélation,
.633 à .707 : très forte corrélation, supérieur
à .707 : quasi du jamais vu), dont on ne peut que regretter qu'elle
ne soit pas officielle, et que je garde sous le coude quoi qu'il en
soit. Pour ne rien gâcher, l'humour et la passion de l'auteur font
que le tout se lit vite et facilement.