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jeudi 14 novembre 2024

Violences et traumatismes intrafamiliaux, dirigé par Alessandra Duc Marwood et Véronique Regamey

 


 Ce livre est le partage d'environ 10 ans d'expérience, en particulier dans la clinique Les Boréales, de la thérapie extrêmement exigeante des violences intrafamiliales. Exigeante parce que les émotions vécues par les thérapeutes peuvent être particulièrement dures, parce que les interlocuteur·ice·s sont multiples et ont généralement une vision aussi intransigeante que divergente de la vérité et vont rechercher des alliances ("avoir la conviction que notre subjectivité est l'objectivité nous aveugle"), parce que le statut de thérapeute va avec celui de représentant·e des institutions qui, aux yeux des victimes, sont défaillantes voire complices des violences ("plus la victime est confrontée jeune aux transgressions plus il est difficile de croire en la capacité des adultes de contenir, protéger, instaurer des règles et des cadres sécurisants", "on exige d'elle qu'elle suive les procédures pour porter plainte, solliciter de la protection, et en même temps rien n'est exigé de l'auteur.e qui bénéficie de la présomption d'innocence jusqu'au moment du jugement", ...), ...

 Si la théorie est présente (sur les violences conjugales par exemple, chapitre qui évoque l'impact des violences sur les enfants, ou sur les violences des parents sur les enfants, avec les différentes attitudes possible du parent qui n'exerce pas directement de violences -complicité, discrétion, culpabilité, conflit, ...-), elle laisse vite la place à de nombreuses propositions pratiques. Un travail efficace en réseau, par exemple, est indispensable, à la fois pour ne pas perdre les patient·e·s ni les différent·e·s intervenant·e·s, mais aussi pour ne pas se perdre soi (entre les différents rôles qu'on pourrait être tenté de tenir, ou encore dans une alliance qui éloignerait d'une attitude thérapeutique avec l'ensemble des personnes concernées).

 Plus inattendu mais tout aussi riche : une large part est laissée à la multiplicité des formes d'intervention. En effet, travailler sur le traumatisme est extrêmement délicat (la fenêtre de tolérance est souvent évoquée), et un travail classique purement verbal trouve rapidement ses limites ("Nous avons dans un premier temps tenté de mettre des mots sur le vécu intérieur de nos patients en leur prêtant nos ressentis, ou en déduisant de leurs discours, de leurs expressions, ce qu'ils devaient vivre. Rapidement, nous avons constaté que cette attitude était vécue comme une agression nouvelle."). Des moyens sont donc développés pour contourner cette difficulté, mais aussi pour permettre un travail avec des enfants qui ont des modalités d'expression et d'élaboration différentes ou encore de faciliter la communication, par le symbolique, sur des sujets conflictuels : mandalas, symbolisation par des objets ("le sac à dos car je ne sais pas quoi faire de ma colère. Il faut pardonner mais je ne veux pas pour le moment. Je veux porter ma colère pour ne pas minimiser. C'est grave ce qui m'est fait"), cartes Dixit (jeu de cartes illustrées créé par un thérapeute), contes ("lorsqu'on lit un conte à des patient.e.s, on a tendance à imaginer qu'ils/elles s'identifient aux héros.ïnes. Mais lorsqu'on les interroge, c'est rarement le cas"), travaux de groupe qui permettent de contourner la méfiance de l'institution...

 Les apports théoriques sont importants en soi, mallette de déminage pour des situations pour le moins explosives, mais surtout la diversité des approches thérapeutiques complémentaires, qui permettent autant de modalités d'expression et de respect du rythme des personnes accompagnées, est d'une grande richesse au delà du thème spécifique des violences intrafamiliales.


mardi 31 mai 2022

A la recherche de l'école de Palo Alto, de Jean-Jacques Wittezaele et Teresa Garcia-Rivera


 Si les termes de thérapie systémique, d'injonction contradictoire (ou double contrainte), ou encore d'hypnose ericksonienne font partie des notions relativement familières du domaine de la psychothérapie, le fait qu'elles soient liées à un même modèle thérapeutique est peut-être moins connu. Ces concepts pas si disparates appartiennent en effet à l'école de Palo Alto, dont l'auteur et l'autrice vont tenter, à partir de recherches dans les archives et d'entretiens avec les principaux·ales concerné·e·s, de restituer l'histoire et la cohérence.

 La recherche évoquée dans le titre commence par être géographique : l'auteur et l'autrice découvrent que le Mental Research Institute, où les noms les plus légendaires de l'école de Palo Alto exercent encore (du moins à l'époque de la première édition en 1997), est un petit bâtiment qui ne paye pas de mine, inconnu des chauffeurs de taxis locaux. Se rendre sur place ne sera pourtant pas la partie la plus complexe de cette recherche : les informations détaillées sur les apports de Gregory Bateson (les figures les plus étudiées dans le livre seront Bateson, Erickson et Watzlawick) en donnent un aperçu, le développement de cette école sera placée sous le signe de la créativité et de la pluridisciplinarité (ce qui ne sera pas sans occasionner quelques conflits, parfois plus pour des questions d'ego que pour des incompatibilités théoriques). Biologiste de formation, Bateson fera un détour par l'anthropologie (dont il modifiera en partie la méthodologie, venant d'une science aux exigences plus strictes... ah, et il a épousé Margaret Mead, aussi) mais se passionnera aussi pour les mathématiques et la logique formelle (pour le plus grand plaisir de ses étudiant·e·s invité·e·s à se taper les Principia Mathematica de Whitehead et Russel -c'est un traité en 3 volumes où, pour donner une idée, figure la démonstration sur plusieurs lignes que 1+1=2-), la cybernétique... soit de multiples approches de la communication, des messages implicites et explicites et ce qui peut se glisser entre émetteur·rice et récepteur·rice. Le livre contient en particulier l'évolution du concept de double contrainte, plus complexe que dans la présentation qui en est souvent faite (au delà de deux messages contradictoires dont l'un est implicite envoyés par une même personne, il y a des conditions supplémentaires comme la répétition, l'interdiction implicite d'échapper à la situation, ...), et qui avait initialement pour objectif d'expliquer la schizophrénie (Bateson s'est progressivement distancié de cet aspect).

 Les conversations entre toutes ces bases théoriques ont abouti à un modèle thérapeutique original, qui peut fonctionner sur des groupes mais aussi sur des individus : les distances les plus radicales prises avec la psychanalyse, le modèle dominant à l'époque, sont le fait de se préoccuper du présent plutôt que du passé, ou encore de se concentrer sur des objectifs mesurables à court terme plutôt que sur le vécu intérieur (ce qui égratigne sérieusement au passage la théorie de la substitution du symptôme, surtout quand les suivis post-thérapie montrent généralement que la résolution du problème tend à être le premier pas d'un cercle vertueux). La délimitation du problème prend une place particulièrement importante (qui est vraiment en demande de changement? quel est le symptôme dont la personne veut se débarrasser? quelles en sont les manifestations -fréquence, personnes concernées, lieu, ...-? quels changements précis sont attendus de la guérison?), et inclut les tentatives de solutions déjà mises en place (l'auteur et l'autrice rapportent un cas où il a "suffi" de demander au père d'un enfant effrayé par l'école d'arrêter de tenter de le rassurer en mettant en avant son propre passé scolaire semble-t-il paradisiaque et au contraire de lui confier qu'il lui est aussi arrivé d'avoir peur... cette suggestion qui devait être une porte d'entrée dans la thérapie a en fait constitué la porte de sortie du problème), pour aboutir à une proposition souvent déstabilisante (par exemple la prescription du symptôme, qui consiste à chercher à provoquer précisément ce qu'on veut constamment éviter) puisqu'il s'agit de briser une dynamique. 

 Le livre est documenté, détaillé et accessible, ce qui permet selon le niveau de connaissance des lecteur·ice·s à la fois de découvrir l'école de Palo Alto et d'approfondir un aspect historique ou technique.

samedi 12 juin 2021

Ecouter, parler : soigner, de Philippe Aïm

 

 

 Frustré de ne pas avoir de référence bibliographique de synthèse à conseiller aux soignant·e·s rencontré·e·s lors de formations sur les clefs utilisables pour faciliter la relation thérapeutique, Philippe Aïm a fini par l'écrire. Si le cadre théorique est très (très) clairement celui de la thérapie systémique, l'idée est de proposer des outils opérationnels et simples à comprendre, sinon à utiliser, pour tout·e soignant·e (médecin, infirmier·ère, psychothérapeute, ... -"ces outils sont à ajouter aux vôtres. Il n'existe pas d'ordre véritable et vous pouvez jongler parmi eux au gré de la conversation").

 Si les propositions sont diverses, elles ont en commun d'être autant de pistes pour surmonter des impasses, qu'elle soient relationnelles ("si le problème est le patient, vous exposez la relation à être une lutte contre le problème, donc contre le patient") ou liées à un problème, une souffrance, qui semble insurmontable (et, par la force des choses, c'est souvent le cas : les patient·e·s ont généralement épuisé un certain nombre de solutions avant de se tourner vers un.e thérapeute). Plus qu'une solution, l'important est de créer un espace de mouvement. L'auteur fait une analogie avec une personne qui serait bloquée sur un mur d'escalade. Peut-elle bouger un bras? Non. Peut-elle bouger une jambe? Non. Peut-elle bouger la tête? Oui, certes, mais ça ne sert à rien... ah si, il y a cette prise que la personne n'avait pas vue. Même dans les situations de contrainte (Philippe Aïm est psychiatre, donc a probablement été confronté professionnellement plusieurs fois à ce type de situation), il insiste là-dessus, c'est essentiel de toujours laisser un choix ("vous voulez que je vous amène un verre d'eau?", "nous allons devoir vous isoler pour que vous puissiez vous calmer, est-ce que vous souhaitez aller dans votre chambre ou dans une autre pièce?").

 Pour que la parole du ou de la soignant·e soit entendable, iel doit d'abord écouter, et surtout faire savoir qu'iel écoute : pour s'accorder sur la façon d'avancer vers des solutions, des objectifs, encore faut-il s'assurer que ce soient ceux du ou de la patient·e. Cette délégation au moins partielle de l'expertise aux patient·e·s est appelée position basse, et le terme reviendra très souvent. Elle permet aussi de rendre plus constructive une relation qui s'inscrirait sous le signe de la défiance ("si une bonne idée, mal exprimée n'a aucune chance de passer, l'inverse, en revanche..."), par exemple de la part d'une personne qui a eu un parcours difficile avec d'autres soignant·e·s (une première étape peut alors être de souligner le courage qu'elle a de consulter encore, plutôt que de déplorer un manque de confiance d'office, ce qui pourrait déclencher une escalade symétrique, autre terme qui revient souvent). Reconnaître la souffrance (tout en étant sincère, sinon ça se verra... "vous souffrez beaucoup de cette situation" est à préférer à "c'est terrible ce qui vous arrive", si intérieurement vous ne voyez vraiment pas ce qu'il y a de si terrible), reformuler pour s'assurer de la compréhension tout en utilisant des termes dits "parachute" pour souligner qu'on peut se tromper et être corrigé·e ("si je comprends bien", ...), permettent à la fois d'avoir plus d'éléments sur la situation et de créer une situation de coopération (en position haute, c'est par définition le·a patient·e qui attend du ou de la soignant·e qu'iel fasse tout le travail, et en prenne toute la responsabilité). Une bonne prise en compte de la demande peut permettre d'avancer... même quand le·a patient·e est quelqu'un qui demande rien : une vignette clinique est présentée où un homme consulte parce que son épouse l'y oblige (il reconnaît à demi-mot une addiction aux jeux mais, selon ses dires, aujourd'hui tout est sous contrôle). Le thérapeute lui demande alors ce qu'il faudrait faire... pour que son épouse ne l'oblige plus à consulter, et peu à peu un travail thérapeutique démarre, avec un véritable engagement.      

 Une fois la demande entendue, des outils sont fournis pour la décomposer, mieux comprendre la situation dans son ensemble, percevoir d'autres angles d'approche, en d'autres termes sortir d'une souffrance qui serait un bloc insoluble ("mon couple va mal", "je n'arrive pas à arrêter la cigarette", ...). Une première approche proposée est de s'appuyer sur les ressources du ou de la patient·e : ce qu'iel a fait jusque là, ce qui a fonctionné, les moments où ça va mieux, voire les aspects positifs du symptôme. Une solution complémentaire est de se concentrer sur ce que la personne veut (ce qu'elle ne veut pas, en général, c'est extrêmement clair) : qu'est-ce que le changement va lui apporter? Quand ça ira mieux, comment le saura-t-elle, qu'est-ce qu'elle pourra observer concrètement? Si des éléments sont apportés pour faire des pas supplémentaires (prescription de tâches par exemple), en général, rien que dans le dialogue, des solutions commencent déjà à se dégager, et c'est d'ailleurs l'idéal ("dans notre métier, réussir consiste à devenir inutile au patient"). Des solutions plus spécifiques sont proposées pour les situations les plus critiques, telles que le risque de suicide, ou les fois où les soignant·e·s sont confronté·e·s à la violence, la priorité restant de se protéger soi ("plus la crise est grave et plus la conscience de vos limites doit être claire dans vos esprits").

 Si la complexité augmente vers la fin et s'oriente clairement vers un public plus spécialisé, l'objectif ambitieux ("Tout le monde peut rendre compliquées les choses simples, c'est banal. La créativité, c'est rendre simple les choses compliquées", dit Charles Mingus, cité dans le livre) de polyvalence est rempli : les concepts proposés sont opérationnels, illustrés de façon concrète, et peuvent servir à de nombreuses étapes de la relation, de l'entrée en contact au suivi thérapeutique.

jeudi 11 février 2021

La thérapie par la Chozif', dirigé par Cécile Wyler



 Ce livre présente la Chozif', méthode à part entière ou complémentaire avec, d'après la couverture, l'hypnothérapie, la psychanalyse, la PNL ou l'accompagnement existentiel. La recherche de spontanéité, l'aspect ludique, ont vite évoqué pour moi la play therapy rogérienne, mais le·a thérapeute Chozif' est plus proactif·ve (même si chacun·e a sa sensibilité, selon sa formation de base) et, surtout, le·a patactif·ve (rien à voir, sauf erreur de ma part, avec les patates, c'est un néologisme constitué de patient·e et actif·ve) peut parfaitement être un·e adulte : les atouts, tels que l'implication potentielle des cinq sens (la vue bien sûr, mais les objets symboles peuvent parfaitement être olfactifs ou gustatifs), l'écoute du ressenti plutôt que du mental, le décalage permis par l'aspect ludique, sont nombreux. Bien qu'une ancienne co-étudiante de l'IED ait participé à l'écriture, il va de soi que ce résumé va être parfaitement objectif, puisque je suis évidemment objectif en toutes circonstances.

 J'ai parlé de mes pensées qui pendant la lecture s'orientaient vers la play therapy (L'analogie, cœur de la pensée s'est aussi invité plus d'une fois)... mais j'étais le plus souvent pris au dépourvu, théoriquement parlant, au début du livre. Les influences majeures semblent en effet être l'hypnose ericksonienne (d'ailleurs très souvent utilisée dans les vignettes cliniques), la PNL, et surtout la psychanalyse jungienne dont les archétypes sont très souvent évoqués, autant de modèles théoriques que je ne fréquente pour l'instant que de loin (surtout Jung)... sans parler des nombreuses références à l'ésotérisme, qui personnellement me parlent peu (bon, Cécile Wyler conseille aussi de se nourrir au maximum de contes de fées de toutes époques et origines, initiative que je ne peux que trouver enrichissante). Difficile, donc, de me raccrocher à quelque chose de concret pendant la première partie de la lecture, exemples de protocoles détaillés ou non. Mais... c'est au moment des vignettes cliniques que les choses sérieuses commencent! La richesses des utilisations possibles du stock d'objets (figurines, plumes, bracelets, huiles essentielles, ...), de la façon dont les patactif·ve·s présenté·e·s dans les exemples, enthousiastes ou réticent·e·s, se laissent toucher profondément par une proposition (parfois après de nombreux échecs thérapeutiques, comme Chloé qui écrit un court texte évoquant le conte correspondant à chaque séance rapportée, dont un sur les tentatives de transformer son trouble du comportement alimentaire qui s'est incarné en ogre difforme), les perceptions et mouvements possibles (observer le positionnement respectif des objets -qui regarde qui-, les ressentis lorsqu'un objet négatif se rapproche, s'éloigne, est dissimulé, ...), les options offertes quand la séance prend fin (prendre une photo, garder un objet... voire en balancer par la fenêtre, sous réserve que ça ne risque pas d'atterrir sur des passant·e·s). Derrière un aspect ludique, bac à sable, la Chozif' permet d'apaiser des situations douloureuses, des souffrances graves.

 La méthode, si j'ai bien compris, est récente, difficile donc d'avoir du recul sur les promesses qu'elle peut tenir (et, comme le monde est bien fait, Cécile Wyler, qui dirige le livre, propose également des formation aux thérapeutes qui voudraient approfondir), mais les vignettes cliniques, tant pour leur résultat que pour la façon d'y arriver, sont pour le moins enthousiasmantes, et l'outil semble particulièrement adapté aux thérapeutes qui voudraient inviter le jeu, la créativité, dans leur pratique.

mercredi 23 décembre 2020

Psychotherapy with "impossible" cases, de Barry L. Duncan, Mark A. Hubble et Scott D. Miller



  Dans ce livre qui rappelle par bien des aspects How clients make therapy work (il me semble d'ailleurs que c'est dans celui-ci que j'ai entendu parler de celui-là), les auteurs proposent des solutions pour aider ceux et celles que des années de thérapies ne sont pas parvenues à aider. Si les professionnel·le·s les plus désespéré·e·s sont parfois tenté·e·s de les appeler "tueur·se·s de thérapeutes", les auteurs préfèrent le terme de vétérans de la thérapie, car comme les vétérans iels sont expérimenté·e·s, portent des cicatrices, ont traversé des moments très durs.

 Une méthode, dans 200 petites pages, pour résoudre des situations sur lesquelles des expert·e·s se sont cassé·e·s les dents pendant des années? Autant dire que j'étais intrigué avant la lecture. Et en effet, alors que vu le sujet on pourrait s'attendre à un guide détaillé avec des piles de recommandations, l'idée principale est de... mettre de côté sa propre expertise, ce qui fait pour le moins gagner de la place! Plus que desdits vétérans, le livre est une invitation à se méfier de soi-même. Trop de théorie peut en effet amener à décider unilatéralement de ce en quoi consiste le problème et sa solution, à accélérer au lieu de ralentir quand la thérapie ne fonctionne pas, voire à être de plus en plus rigide, devant l'échec, dans ses conceptions et ressentir une hostilité grandissante envers cette personne qui décidément ne veut pas rentrer dans les cases malgré tout nos efforts (c'est le contretransfert théorique, un concept qui revient souvent). A la lecture, on comprend vite pourquoi Carl Rogers, le créateur de l'Approche Centrée sur la Personne, et John Weakland, systémicien de l'école de Palo Alto, sont évoqués dans l'introduction : l'écoute empathique de l'ACP, la confiance dans les compétences de la personne écoutée, la richesse technique de l'école de Palo Alto pour faire des pas de côté et mieux délimiter les objectifs véritables, sont en effet au cœur du livre. Une autre clef importante, quand rien ne va plus, est de prendre de la distance... émotionnellement d'abord, potentiellement avec une pause au milieu de la séance, en expliquant ce qui se passe, mais aussi théoriquement, en demandant de l'aide à d'autres professionnel·le·s. Pour les auteurs, les difficultés doivent être communiquées aux client·e·s, qui tendent plutôt à ressentir de la gratitude envers les efforts qu'on leur accorde : s'ils continuent de souffrir, voire si leur état s'aggrave, iels auront de toutes façons parfaitement compris que leur thérapeute n'arrive pas à les aider.

 Avant d'être une liste de solutions, le livre est donc un appel à l'humilité. La leçon est d'autant plus éloquente que certains propos particulièrement limpides sont tenus, via des vignettes cliniques, par les client·e·s même... et comme si ça ne suffisait pas, les premiers le sont par une enfant de 10 ans qui, malgré son jeune âge, peut déjà prétendre au statut de vétéran (plusieurs thérapeutes consulté·e·s, médication, thérapie de groupe, ...) : "Mes autres thérapeutes ne m'ont jamais demandé sur quoi je voulais travailler. Ils m'ont posé des questions sur des sujets où je n'avais pas vraiment envie de répondre. Ça ne devrait pas plutôt être à moi de vous dire ce que j'en pense?" "tu viens parler à une personne, pour te débarrasser de tes problèmes et travailler dessus. Et au lieu de ça il te dit ou elle te dit son avis sur ce qui s'est passé", "Je suis restée assise comme ça et elle a parlé pendant toute une heure et j'ai à peine pu en placer une", "En fait les psychiatres ne comprennent pas... tu as aussi les solutions, pour toi-même, mais ils disent "on va essayer ci, on va essayer ça", et ça n'aide pas". Si Molly est aussi remontée, c'est en partie parce que son problème a été réglé très vite une fois qu'on lui a... demandé son avis. Elle dit elle-même que la même solution proposée par un tiers aurait moins bien fonctionné. Elle avait des cauchemars, avait peur de dormir seule dans sa chambre, et la première solution qui est venue d'elle (faire une barricade d'oreillers et de peluches) s'est trouvée être efficace.

 La théorie est très vite expédiée, mais comme elle consiste principalement en des variantes d'humilité, l'essentiel du livre consiste en des exemples concrets d'application, à travers des vignettes cliniques commentées, qui semblent plus ou moins rangées par ordre de difficulté. Du coup, tout va bien, il suffit d'être humble et de laisser tomber la théorie, et on est capable non seulement de soigner, mais de le faire mieux que des légions de thérapeutes? On peut fermer les facs de psycho, les instituts de formation? Malgré la sensation confortable que j'ai parfois eue en lisant des appels à prendre de la distance avec la théorie qui consistaient en grande partie à... appliquer la théorie à laquelle je me forme (écouter sans affirmer, laisser le·a client·e déterminer sa souffrance, son objectif, et les moyens qui lui conviennent pour s'en sortir), ce n'est pas si simple. Même en étant bien intentionné·e, surtout en étant bien intentionné·e, on peut vite se prendre les pieds dans le tapis. Les conseils même donnés dans le livre ont parfois contribué à l'échec. C'est dit de façon très claire, se placer au dessus, soi-même ou la méthode employée, des thérapeutes précédent·e·s, n'est une attitude ni pertinente ni constructive... et pourtant, n'est-ce jamais tentant quand des personnes placent leur espoir en nous en se plaignant des professionnel·le·s qui ont échoué avant? Un thérapeute tombe en plein dans ce piège, et ce n'est que quand il constate explicitement qu'il est dans une impasse que les client·e·s (un couple) commencent à aller mieux. Voir la personne en entier, plutôt que se concentrer sur ses déficits, permet de mieux orienter la thérapie... sauf pour ce client qui ne supporte pas la moindre suggestion qu'il pourrait aller bien, parce que ça lui donne la sensation qu'on veut se débarrasser de lui. Prendre le temps de définir les objectifs à partir de la demande des client·e·s, c'est primordial, mais lesdits objectifs peuvent vite être perdus de vue quand la plainte, dans le courant de la thérapie, contraste avec la demande faite au calme.

 Difficile de choisir un thème plus approprié que celui des vétérans de la thérapie pour un appel à la capacité à se remettre en question, à croire en ses compétences (ce n'est certainement pas un appel à jeter la théorie à la poubelle, d'ailleurs les vignettes cliniques sont introduites par l'état de la science sur le sujet) mais aussi à cesser de s'y accrocher quand elles mènent à une impasse. Pourtant, l'humour, l'humilité des auteurs eux-mêmes, l'aspect concret des conseils donnés (ils ne disent pas juste de prendre de la distance, ils disent très précisément comment le faire), les compétences, abondamment illustré·e·s, des client·e·s pour surmonter les obstacles si imposants soient-ils, rend l'ensemble du livre plutôt motivant et apaisant. Il ne semble pas avoir été réédité depuis sa parution en 1997, mais seuls quelques passages discrets rappellent son ancienneté (en particulier sur le trauma dissociatif, identifié comme tel très récemment à l'époque). En revanche, il n'existe malheureusement pas en français.

samedi 29 août 2020

Faites vous-même votre malheur, de Paul Watzlawick



 Non seulement le bonheur est difficile à définir, mais en plus le bonheur absolu est un état impossible à atteindre. Plutôt que de se lancer dans une quête aussi hasardeuse, l’auteur propose donc, prenant le contrepied de la psychologie positive (qui n’existe pas encore!), de donner quelques astuces faciles et fiables, parfois assorties de quelques exercices, pour se pourrir l’existence, introduisant au passage quelques notions de psychologie systémique (c’est d’ailleurs un livre entier de prescription du symptôme).

 Restez fidèles à vos principes les plus rigides en toutes circonstances, même quand c’est de toute évidence absurde. Prenez soin d’être très attentif·ve à tout ce qui vous arrive de négatif. Si vous prenez assidûment l’habitude de vous dire "comme par hasard" à chaque fois que vous n’avez pas de chance, vous allez vite constater que l’Univers se ligue effectivement contre vous (et ça inclut les personnes -forcément- mal intentionnées qui voudraient remettre en question cette lucidité arrachée de haute lutte). D’ailleurs, si quelqu'un semble être animé d’une mauvaise intention, considérez que c’est le cas jusqu’à preuve du contraire, et n’allez surtout pas chercher de preuve du contraire (ça risquerait d’annuler un peu trop brutalement toutes vos suspicions, et en plus si vous arrêtez de vous conduire comme si les autres avaient de mauvaises intentions, iels risquent moins d’en avoir, c’est dire le niveau de contre-productivité). Fixez vous des objectifs impossibles à atteindre, et prenez bien soin de les idéaliser, d’une part pour pouvoir justifier votre malheur tant que la quête ne sera pas accomplie (mais ne faites pas trop d’efforts quand même, puisque la réussite est de toutes façons impossible), mais aussi pour garder l’opportunité d’être déçu·e si l’objectif était atteint malgré tout. Idéalisez autant que possible le passé révolu et inaccessible, n’allez pas avoir un point de vue nuancé qui permettrait d’imaginer que vous n’êtes pas tellement plus malheureux·se maintenant.

 Mais le livre ne serait pas vraiment un livre de psychologie systémique s’il se contentait de recettes qui ne concernent que vous. Vous pouvez, pour les plus ambitieux·ses, devenir un·e EDR, ou Expert·e en Démolition de Relation, ou à défaut vous entourer autant que possible d’EDR. Un geste aussi simple que demander ou rendre un service, si on s’y prend bien, peut créer pas mal de tensions. Il s’agit par exemple de s’assurer que la personne qui rend service a réellement envie de le faire, va y prendre du plaisir mais de le prendre personnellement si elle ose confesser que, si, quand même, elle est mieux chez elle devant Netflix que chez vous à arroser vos plantes pendant vos vacances. Une autre astuce est d’aider uniquement parce qu’on attend quelque chose en retour, ce qui optimise les chances de créer déception et animosité (et, pour les plus perfectionnistes, ne surtout pas dire quoi… d’ailleurs, dans un domaine similaire, les reproches sont en règle générale bien plus efficaces pour faire le malheur des parties concernées quand la personne doit deviner ce qui lui est reproché). Un·e EDR de haut niveau définira aussi son identité en fonction de l’autre (mon identité de parent dépend de mes enfants, mon identité de médecin dépend de mes patient·e·s, …), parce qu’avoir une identité propre ne fait rien porter à quelqu’un qui n’a rien demandé, et donne un peu trop de maîtrise sur sa propre vie. Bref, je pense que vous avez saisi l’idée générale… pour celles et ceux qui pour une raison ou une autre ne voudraient pas écouter ses précieux conseils, l’auteur propose à la fin de simplement s’emparer du bonheur qu’on a déjà.

 Le livre se lit très vite, entre les chapitres courts, l’humour, et l’absence de laborieuses explications théoriques (l’auteur en glisse quand même discrètement quelques unes, mais elles restent brèves). La forme (livre de développement personnel à l’envers) (du coup c’est un livre de… dédéveloppement personnel?) rappelle qu’on peut, de bonne foi, s’enliser dans des situations plus compliquées que nécessaire. Peut-être parce que je viens de lire un livre qui porte presque le message inverse (ça, et la description de la sécurité sociale dans l’intro comme une économie du malheur… no comment), le ton et l’intention (et un ou deux conseils qui m’ont paru peu cohérents) m’ont parfois fait tiquer, mais ça restait ponctuel, la forme étant surtout une façon originale de mieux porter le message.


mercredi 15 janvier 2020

The practice of person-centred couple and family therapy, de Charles O’Leary



 Si Carl Rogers, loin de se cantonner à la thérapie individuelle, a ouvert les potentialités de son approche à de nombreux sujets tels que les groupes de rencontre ou la pédagogie, allant jusqu’à proposer un projet de société, un vide surprenant est laissé au niveau de la thérapie de couple ou de la thérapie familiale. Certes, il a écrit un livre par ailleurs très enrichissant sur les relations amoureuses, mais la principale conclusion pratique qu’on peut en tirer sur la thérapie de couple semble être que c’est avant tout le développement personnel individuel qui aidera à mieux être capable d’écouter l’autre, d’identifier finement ses propres besoins et de communiquer. Se rabattre sur la conduite à suivre dans un groupe de rencontre n’aide pas beaucoup plus : le·a facilitateur·ice a certes aussi affaire à plusieurs personnes simultanément, dans des échanges pas toujours apaisés, mais il s’agit d’inconnu·e·s qui interagissent dans un cadre arrêté, qui a un début et une fin, soit à peu près le contraire d’une famille ou d’un couple. Charles O’Leary comble ce manque, avec l’appui d’autres cadres théoriques, en particulier la thérapie systémique, mais en insistant constamment sur l’importance d’être centré·e sur la personne.

 Les spécificités de l’approche rogérienne, telles que l’approche positive inconditionnelle, l’empathie, la confiance dans le processus d’actualisation, sont en effet exigeants à mettre en œuvre en eux-mêmes, mais plus encore en recevant plusieurs personnes simultanément : ce sont des points de vue parfois très opposés qu’il convient alors d’accueillir avec une même écoute, et ce en présence de personnes qui ont, potentiellement, une vision beaucoup moins positive du point de vue de l’autre! Difficulté supplémentaire : le·a thérapeute a ses propres valeurs, sa propre vision de ce en quoi consiste une relation amoureuse, une parentalité souhaitables, alors même que prendre parti peut avoir une influence extrêmement néfaste sur le déroulement de la thérapie ("lorsqu’il y a alliance avec un client contre un autre -ce qui se manifeste généralement par des tentatives bienveillantes de convaincre ce client de quelque chose qu’il "devrait" faire ou accepter- ou de l’irritation envers les clients, il vaut mieux que le thérapeute s’en rende compte avant les clients!"). Pourtant, l’auteur va abondamment rappeler à quel point les fondamentaux rogériens sont… fondamentaux, en particulier les six conditions nécessaires et suffisantes pour la thérapie (1. il y a contact psychologique entre thérapeute et client·e(s), 2. le·a client·e n’est pas dans un état de congruence 3. le·a thérapeute est congruent.e dans le cadre de cette relation 4. le·a thérapeute ressent une approche positive inconditionnelle envers le·a client.e 5. le.la thérapeute ressent une compréhension empathique du cadre de référence interne du ou de la client·e et cherche à le communiquer 6. cette communication est réussie au moins dans une certaine mesure). Le fait que tout ressenti devienne acceptable et exprimable dans un cadre sécurisé a en effet une grande importance, quand certaines revendications ne peuvent plus être entendues… à charge toutefois au ou à la thérapeute de fournir ce cadre sécurisant ("un thérapeute réticent à interrompre un client devrait s’en tenir aux thérapies individiduelles", "les clients sont amers et découragés si on les laisse exprimer ou si on les force à entendre des mots hostiles et blessants envers l’autre") : l’idée n’est pas d’exporter tels quels les conflits du quotidien dans le cadre du cabinet du thérapeute ("le bon thérapeute encourage ses clients à trouver un moyen de décrire la situation qui encourage le dialogue, détourne la tendance à faire des reproches et génère de l’espoir à échelle humaine"). Les client·e·s sont progressivement invité·e·s à exprimer leurs ressentis, ce qui les apaiserait, plutôt que d’exprimer des reproches, ou d’insister sur ce que l’autre ne fait pas. Il est aussi important d’être attentif à ceux ou celles qui ne parlent pas : leur rappeler que leur parole est bienvenue, mais ne jamais leur forcer la main.

 Si des éléments factuels sur le couple en général sont apportés, si le livre est très documenté, de façon sourcée (avec toutes les références proposées, ma propre liste de livres que je n’aurai jamais le temps de lire a pris un certain volume supplémentaire), l’auteur appelle constamment à l’humilité (avec entre autres cette magnifique phrase : "les thérapeutes ne peuvent pas tout savoir et, dans leur sagesse, n’oublient pas l’ampleur de ce qu’ils ne savent pas"). L’ignorance, ou plutôt la conscience de l’ignorance, est un outil thérapeutique à part entière. L’auteur évoque d’ailleurs plusieurs fois où il s’est lui-même planté : la meilleure attitude dans ce cas est de l’admettre. Rien ne permet de savoir de façon sûre comment la thérapie va se conclure, ni même quelle direction elle va prendre : même si ça peut être, qu’on soit inexpérimenté ou non, tentant, il n’est donc pas souhaitable de l’orienter. Dans un chapitre consacré aux couples homosexuels (il est rappelé dès le premier paragraphe que ça ne couvre par ailleurs pas l’ensemble du spectre LGBT), cette humilité nécessaire est surlignée : c’est particulièrement important qu’un·e client·e victime de discrimination puisse dire au ou à la thérapeute qu’iel a été discriminant·e… le·a client·e est mieux placé·e pour s’en rendre compte, et pour une personne qui subit des discriminations, c’est encore plus important que le cadre soit sécurisant. L’expertise du ou de la thérapeute, quand elle est partagée (explications sur une situation, suggestions, …), doit être proposée de façon horizontale, et non être présentée comme une vérité. Même dans un cas où l’auteur a été particulièrement confrontant avec des parents (mettant l’accent successivement sur leur surréaction à une crise provoquée par leur fils aîné, puis sur leur laxisme paradoxal envers lui), il l’a fait sous forme de questions, prêt à entendre d’autres réponses que celles qu’il attendait (oui, bon, suggérait, dans ce cas). L’auteur liste plusieurs cas dans lesquels il est particulièrement important d’être humble, de se recentrer sur l’approche rogérienne : quand l’envie de se comporter comme un professeur se fait plus forte que l’envie de comprendre les client·e·s, quand il est tenté de fournir son attention à un·e client·e et des instructions aux autres, quand il parle plus que les client·e·s, quand le déroulement de l’heure de thérapie devient trop prévisible, quand rien de ce que le·a client·e peut dire ne le surprend, ou quand il se sent débordé par la sensation que les problèmes des client·e·s dépassent leurs ressources.

 L’ensemble du livre est à la fois inspirant et riche en ressources, tout en donnant de très nombreuses pistes pour aller plus loin, que ce soit sur les subtilités de l’ACP, sur les mécanismes de la vie de couple ou sur les outils de la thérapie systémique. Hélas, il n’est pas traduit en français.

dimanche 11 février 2018

Les enfants de parents fous, de Yves-Hiram Haesevoets



 Eduquer est un "métier impossible" selon Freud : c'est une des rares affirmations du fondateur de la psychanalyse qui, sauf erreur de ma part, n'a pas été contredite! C'est difficilement contestable pour l'enseignant·e, mais ça l'est encore encore moins pour les parents... même dans les meilleures conditions, l'éducation parfaite n'existe pas. Qu'en est-il lorsque le parent doit, en plus, faire face à des souffrances parfois écrasantes? Lorsque l'enfant est confronté aux délires, aux troubles de l'humeur, d'un parent dépressif, alcoolique, schizophrène? Aux regards de la société, voire de la famille, qui n'est pas nécessairement imperméable aux jugements de valeur et aux stéréotypes? Quels impacts négatifs, quels développements de ressources les soignant·e·s ont pu constater? Y a-t-il des conseils particuliers à donner aux parents concernés? Ces questions sont rarement traitées en tant que telles, même si elles peuvent l'être indirectement lorsqu'on se préoccupe du développement de l'enfant en général, ou lorsque dans la recherche de connaissances sur une pathologie en particulier on s'intéresse à son impact sur la parentalité. Hélas, ce livre n'aidera pas particulièrement à y voir plus clair.

 Le livre traite en effet plutôt de la maltraitance en général, avec des critères qui restent valables que les parents souffrent d'une pathologie diagnostiquée ou non, ce qui ne répond pas tout à fait aux questions qu'on se pose quand on cherche à en savoir plus sur les parents relevant de la psychiatrie n'ayant pas une attitude maltraitante. Certes, quinze maigres pages seront consacrées aux mères psychotiques (parce que les pères psychotiques, OSEF), et le syndrome de Münchhausen par procuration et les homicides conjugaux seront examinés de plus près, mais la sensation de hors-sujet demeure, d'autant qu'il est bien plus question des parents que des enfants.

 Plus que le hors-sujet, le problème est pourtant le manque de rigueur, criant (voire hurlant) au fur et à mesure qu'on tourne les pages. J'avais vaguement tiqué quand l'auteur affirmait une chose ("le diagnostic psychopathologique stigmatise, jusqu'à la dénaturer, la relation de l'enfant à son parent", "loin de donner du sens à ce que ces enfants vivent, ces concepts déshumanisent la personne du parent") avant d'illustrer l'exact opposé dans une vignette clinique ("A partir du moment où j'ai compris le sens du mot schizophrène, comme me l'a expliqué la psychologue qui me suivait, j'ai commencé à démystifier les peurs que je ressentais depuis mon enfance", "J'étais comme libérée d'un poids, celui de l'ignorance"), ou encore quand des termes porteurs de jugements de valeurs étaient utilisés dans d'autres vignettes cliniques (une patiente "se met dans tous ses états", une autre est "très bizarre", un père est "insupportable", …), mais rien ne m'avait préparé au chapitre où, sans aucune distance, les parents sont désignés comme responsables de la schizophrénie de leurs enfants! Le·a lecteur·ice se voit proposer le choix entre la notion de double lien (message verbal contradictoire avec le message non-verbal du parent, l'enfant se voyant reprocher sa réaction quelle qu'elle soit... si la notion est intéressante et que l'impact négatif sur l'enfant est difficilement discutable, l'hypothèse du lien avec la schizophrénie est ancienne et n'a jamais été démontrée) ou, s'il préfère la parodie de psychanalyse à la parodie de thérapie systémique, le fait que les parents d'enfants schizophrènes n'inculquent pas assez la différence des sexes et des générations. L'auteur a pourtant lui-même des difficultés avec la différence des générations, puisqu'il relaye en 2015 comme des vérités des hypothèses plutôt anciennes qui n'ont jamais été confirmées. Il semble en revanche au point sur la différence des sexes, puisque dans une vignette clinique sur une situation de violence conjugale il reproche à la mère de ne pas aller mieux et de se victimiser, voire de mentir, plutôt qu'au père (certes éloigné par une décision de justice) d'être violent. Il évoque aussi le Syndrôme d'Aliénation Parentale en omettant de préciser que le concept n'a aucune légitimité scientifique, a été écarté par les tribunaux qui se sont penchés spécifiquement sur la question, et que son utilisation a parfois (voire souvent) pour but de protéger les auteurs de violences.

 Le manque de rigueur général est tel que l'auteur ne parvient parfois pas à rester cohérent sur l'ensemble d'une vignette clinique (écrivant au départ qu'un homme a épousé jeune une femme psychotique "sous la pression de leur (sic) famille respective" sans savoir qu'elle souffrait d'une pathologie, et se demandant à la fin "pour quelle motivation réelle a-t-il épousé une personne malade en connaissance de cause") et que, au-delà de la paresse dans l'écriture (nombreuses phrases commençant par "n'empêche", usage très fréquent de guillemets), le tout ne semble même pas avoir été relu (d'un côté ça peut se comprendre!) puisque des expressions erronées sont dans le texte imprimé ("permet à l'enfant de […] trouver certains repérages", "laissé pour contre", …). On en est presque à se réjouir que le livre ne soit pas parsemé de fautes d'orthographe!

 Vous aurez compris que je ne recommande pas particulièrement l'ouvrage... en dehors des structures psychiques de la psychanalyse qui sont assez clairement et brièvement expliquées, ou l'utilité de l'objet pour une personne de mauvaise foi qui voudrait faire croire que tous les psychanalystes/systémiciens ont la même tendance aux affirmations fantaisistes, je vois mal son utilité : certains éléments pourraient sembler intéressants, mais comment savoir si on peut les prendre au sérieux? C'est d'autant plus dommage que l'enjeu du sujet traité est important, et à ma connaissance peu documenté directement.

vendredi 12 janvier 2018

La vie des émotions et l'attachement dans la famille, de Michel Delage



 Dans ce livre, Michel Delage articule la théorie de l'attachement à la thérapie systémique, en s'intéressant à son impact sur les relations entre proches aux périodes clefs de la vie, d'avant la naissance (le couple) à la vieillesse (l'auteur ne va pas jusqu'à se prononcer sur la vie après la mort). Des premières relations parents-enfants à la naissance, déjà largement documentées par Bowlby, à l'arrière-grand-parentalité (arrêtez de me regarder comme ça, peut-être que le terme existe) où quatre générations interagissent, si la progression du livre est linéaire, les approches sont variées.

 Un attachement sécure consiste en une confiance gagnée envers une (ou des) figure(s) d'attachement particulière(s) qui permet, une fois ce sentiment de sécurité établi, de s'éloigner plus sereinement d'un environnement sécurisant. L'attachement se construit entre autres à travers, pour le nourrisson, des réactions adaptées et prévisibles aux différentes demandes et émotions, exprimées par la force des choses à travers le langage non-verbal. On imagine donc facilement son impact sur certaines périodes de la vie comme l'adolescence où l'individu commence à tendre vers l'autonomie, parfois dans le conflit où en recherchant un environnement nouveau qui ne convient pas nécessairement aux parents (drogue, …), ou encore le couple, espace dans lequel les réactions adaptées et prévisibles aux différentes demandes et émotions sont plutôt souhaitables!

 Au cours de chapitres très sourcés (avec des notes qui renvoient à la fin du livre et non en bas de page... que l'éditeur·ice aille marcher pieds nus sur des Lego), l'auteur resitue l'enjeu spécifique pour chaque période, et détaille les relations qui vont avoir tendance à se mettre en place selon le mode d'attachement des personnes concernées (sécure, ambivalent, évitant-résistant, désorganisé, …). L'ensemble est assez technique, les rappels théoriques en début d'ouvrage ne sont pas de trop (même quand on connaît un peu la base théorique), et plusieurs lectures ne sont probablement pas de trop non plus pour une utilisation pratique. La structure fait que la présentation est assez schématique et que le texte donne parfois l'impression d'être essentialiste (une personne ayant développé tel type d'attachement aura forcément telle attitude dans telle situation), mais l'auteur rappelle lui-même que "les symptômes, quels qu'ils soient, ne sont pas clairement reliés à un type d'attachement. Un même symptôme peut relever de divers mécanismes".

 L'avantage est que les chapitres peuvent parfaitement être lus indépendamment les uns des autres, pour éclairer une situation particulière ou pour avoir une perspective sur une difficulté rencontrée, même si des connaissances techniques peuvent se révéler utiles pour que la lecture soit claire, d'autant que le livre manque cruellement de vignettes cliniques.

mercredi 21 juin 2017

Changer en famille, de Nathalie Duriez



Dans ce livre qui reprend sa recherche de thèse, l'autrice s'attarde sur la question, sur laquelle chacun à probablement un avis, de savoir quel élément, dans une psychothérapie, est le plus efficace, le mieux à même de provoquer un changement, de faire quelque chose au ou à la patient·e qui "l'empêche d'utiliser ses stratégies d'existence décidées dans un moment crucial de sa vie et appliquées systématiquement depuis", pour reprendre la formulation de Tobie Nathan, qui est cité (on peut vite être tenté de remplacer cette question par : "quelle est la méthode thérapeutique la plus efficace", mais ce sont bien deux questions distinctes). Et comme le sujet n'était pas assez compliqué comme ça, ce n'est non pas le changement sur des individus qui va être abordé, mais le changement sur des familles, sur le système de fonctionnement de ce type de groupe bien particulier ("comme le sportif a des membres qu'il apprend à coordonner de manière optimale, le système familial apprend à coordonner les cognitions, les affects et les comportements individuels de chaque membre de sa famille"). S'il y a plus, à la fin de la recherche, de questions que de réponses ("ma recherche m'amène à conclure sur l'impossibilité de construire un modèle rigoureux du changement en thérapie familiale systémique du fait de la complexité et du caractère imprévisible des systèmes humains"), il serait bien dommage, vous vous en doutez, d'en déduire qu'elle est sans intérêt.

 Après avoir présenté l'état de la science sur le sujet, trois thérapies familiales seront donc suivies de près (l'une d'un an et demie, les deux autres de quatre ans et demie), en analysant le contenu des séances mais aussi en interrogeant les patient·e·s, les thérapeutes, les superviseurs, y compris plusieurs années après la fin de la thérapie. L'objectif est d'identifier les instants précis qui ont provoqué un changement, et la façon dont ils ont été perçus par le·a patient·e et par le·a thérapeute. Sont passées en revue la personnalité du ou de la thérapeute (la thérapeute A dégage une aura rassurante, alors que le thérapeute C fonctionne énormément à travers la provocation), la relation (les concepts de résonance, de transfert et de contre-transfert sont distingués et analysés pour chaque thérapie), les émotions ressenties et montrées, mais aussi la façon dont la famille se perçoit plus ou moins consciemment ou encore le statut du symptôme, qui ne disparaît pas forcément même quand la thérapie est estimée réussie ("dans les trois thérapies étudiées, le patient désigné présente encore des symptômes à la fin de la thérapie") et qui a, dans la théorie systémique, le statut paradoxal à la fois de facteur d'homéostasie (il entretient et maintient le fonctionnement collectif source de souffrances) et de moteur du changement (c'est le symptôme qui motive la consultation).

 Le livre permet quelques éclairages sur le fonctionnement de la thérapie systémique, sur les moments clef qui vont, parfois plus grâce à l'insistance du ou de la thérapeute que suite à un brusque coup de génie, provoquer une prise de conscience chez le·a patient·e (ça peut même être fortuitement provoqué par l'intervention d'un tiers : dans une thérapie menée par l'autrice, la responsable du centre, alarmée par une sonore dispute entre les patient·e·s, est venue lui demander si elle avait besoin d'aide... l'autrice a décliné mais les échanges se sont malgré tout apaisés, et surtout l'un des membres de la famille lui a dit à la fin de la séance qu'elle était maintenant en confiance, avec une thérapeute capable de faire face à la virulence des conflits intrafamiliaux). On peut aussi observer que ce qui fonctionne avec une personne ne fonctionnera pas nécessairement avec une autre. Par exemple, la méthode consistant à transformer un symptôme en quelque chose de positif est plutôt reçue avec froideur quand un adolescent se voit suggérer qu'il fume du cannabis pour aider ses parents à rester ensemble : si l'inquiétude commune des parents a effectivement solidarisé ce couple en difficulté, la remarque les fait culpabiliser, alors que l'adolescent s'offusque en expliquant qu'il fume simplement parce qu'il aime fumer. Si les provocations du thérapeute C fonctionnent bien avec Mme C, qui est d'ailleurs lucide sur le fait que ça correspond à son tempérament, elles laissent de marbre M. C qui tend à les prendre au premier degré ou à se mettre en retrait.


 Contrairement à l'impression que peuvent donner le titre et la couverture, qui risquent de laisser penser qu'il s'agit d'un livre grand public qui fournit des clefs pour mieux se sortir d'une situation familiale pas évidente, le texte est souvent technique et complexe, et le·a lecteur·ice familier·ère avec la théorie systémique sera probablement bien plus à l'aise avec l'ensemble. Pour qui veut faire l'effort de s'attarder sur les passages les moins évidents, c'est l'occasion d'avoir des connaissances poussées en systémique bien sûr, sur le fonctionnement de la recherche (aspect qui risque d'avoir un intérêt tout particulier pour les étudiant·e·s de Paris VIII qui font un mémoire dirigé par Nathalie Duriez!), sur les différents mécanismes de la thérapie, ...

vendredi 14 août 2015

Les thérapies familiales systémiques, de Karine et Thierry Albernhe


 L'auteur et l'autrice, respectivement pédopsychiatre en CMPP (et accessoirement formatrice en thérapies familiales) et chef de pôle de psychiatrie infanto-juvénile, relèvent le défi de présenter en un seul livre l'histoire, le fonctionnement théorique et le fonctionnement pratique de cette méthode qui s'inspire de sciences aussi diverses que la philosophie grecque (pour la maïeutique en particulier), la biologie, la cybernétique (notion de rétrocontrôle par exemple), la linguistique, ou encore de branches diverses de la psychologie.

 Les écoles, les penseurs, sont nombreux, les outils même sont d'une grande diversité (conte systémique -à ne pas confondre avec le travail, cependant jugé fondateur, de Bettelheim dans Psychanalyse des contes de fées : le conte systémique fait le mouvement inverse de partir du particulier pour s'étendre à l'universel-, glace sans tain, psychodrame -un peu différent de celui-ci mais pas tant que ça-, adaptation du jeu de l'oie, génosociogramme qui n'est pas sans rappeler le travail d'Anne Ancelin Schützenberger, visionnage a posteriori de la séance en DVD par les patient·e·s et les soignant·e·s, ...), et il est vite clair que, malgré la rigueur de l'auteur et de l'autrice, la présentation n'est que sommaire et que chaque point est plutôt une invitation à approfondir. Il y a toutefois des points communs entre les méthodes, une spécificité de la thérapie systémique. L'intérêt, par exemple, est porté sur un groupe (une famille, quoi, sauf exception... enfin une famille ça peut vouloir dire le couple, les parents et les enfants, les parents, les enfants et les grands parents, ... et on peut même s'intéresser aux ancêtres!) plutôt que sur l'individu ("Un systémicien est toujours gêné pour parler d' "individu" ou de "niveau individuel", puisqu'il considère que l'individu n'a de sens et ne se conçoit que dans l'interrelation"), ce qui a d'autant plus d'intérêt que, du moins le temps de la thérapie, le·a thérapeute s'inscrira dans le groupe, et le modèle systémique lui fournit alors différents outils pour observer l'effet du cadre sur la situation. Autre spécificité, alors que la demande du groupe est en général plutôt de débarrasser un·e de ses membres d'un problème spécifique, le systémicien conçoit le symptôme comme s'inscrivant dans un fonctionnement (le terme de "jeu" est parfois utilisé) collectif, qui implique une remise en question plus générale ("le symptôme n'est pas le problème : c'est le problème (familial) qui crée le symptôme (individuel)", "la famille fut comparée à un système ouvert, à l'état d'équilibre, soumis à des lois de fonctionnement internes très précises, mais susceptible parfois de présenter des problèmes équivalents aux symptômes"). Le risque de jugement, de stigmatisation de la famille, n'est pas éludé : l'auteur et l'autrice sont clair·e·s sur le fait que le risque est réel, et que cette attitude n'est pas souhaitable ("Les thérapeutes familiaux sont parfois accusés d'une fâcheuse tendance à culpabiliser les familles, en particulier les parents, comme si ces derniers étaient implicitement responsables des troubles présentés par leurs enfants. On répondra que responsabilité ne signifie pas pour autant culpabilité, mais recherche de ce en quoi on a été auteur dans un événement. De plus, tous heureusement n'agissent pas ainsi..."), le thérapeute ayant plutôt dans l'idéal un rôle d'éclairage (faire prendre conscience à la famille d'une certaine dynamique, et de l'existence d'autres fonctionnements valides) que de prescription ("le thérapeute n'a pas à préjuger d'un éventuel "bon chemin" que la famille aurait à prendre ; il doit révéler aux membres de la famille les compétences qu'ils possèdent -et méconnaissent- pour sortir d'une crise, d'une impasse, ou d'un jeu relationnel très inconfortable").

 Comme précisé plus haut, au delà de la spécificité de la thérapie systémique toutes méthodes confondues, ce terme concerne des modèles théoriques, des applications, riches et variés, et ce livre ne suffit bien entendu en aucun cas, même si on l'apprend par cœur, à en maîtriser toutes les subtilités, mais tout juste à savoir que ces subtilités existent ("il faut d'abord apprendre de cet immense espace de travail et d'élaboration dont résultent ces modèles : ils sont destinés à nous faciliter les choses, à nous ouvrir des chemins de raisonnement thérapeutique, à nous intéresser à leur diversité"). Le contenu reste rigoureux et ne peut jamais être taxé de superficiel, au point qu'il intéressera probablement plus, malgré les efforts de pédagogie de l'auteur et de l'autrice (résumé de chaque partie, lexique, présentation des grands noms... il ne manquait plus qu'une bibliographie conseillée et c'était parfait!), quelqu'un qui est plus familier avec la systémique (pour approfondir, avoir un aide-mémoire, ...) que quelqu'un qui voudrait découvrir de quoi il s'agit.