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samedi 6 juillet 2024

Client Issues in Counselling and Psychotherapy, dirigé par Janet Tolan et Paul Wilkins

 


  Le titre m'a un peu induit en erreur : je m'attendais à ce que le sujet soit les difficultés des client·e·s dans la relation thérapeutique, alors qu'il s'agit plutôt de porter un regard centré sur la personne sur des problématiques spécifiques (deuil, troubles du comportement alimentaire, addictions, ...). Je reste perplexe par rapport au titre (problématiques des client·e·s, ça me semble être un pléonasme... ou en tout cas si le livre portait sur les cas où le·a thérapeute est sujet·te à l'addiction, à l'automutilation, à la psychose ou à l'anxiété, en effet ce serait important de le préciser!), mais ce livre à plusieurs voix (on retrouve notamment Rose Cameron ou Richard Bryant-Jefferies qui ont déjà été présents sur ce blog), qui réunit les deux univers a priori opposés de la psychopathologie et de l'Approche Centrée sur la Personne, a de quoi apporter beaucoup à travers ses courts chapitres.

 Janet Tolan le rappelle dans la conclusion, le livre n'est certainement pas une invitation à voir le·a client·e à travers le prisme de sa problématique, fut-elle une de celles présentées dans le livre ("ce serait une erreur de se concentrer sur le problème présenté et de le soigner à l'exclusion de tout le reste"). Si c'est un rappel qui pourrait paraître indispensable dans la mesure où l'Approche Centrée sur la Personne consiste à donner les moyens à la personne accompagnée de s'accomplir pleinement, et certainement pas de soigner un symptôme ou une pathologie, le reste du livre le rend presque superflu. En effet, la grille de lecture de l'ACP est omniprésente, et les informations données, les situations concrètes évoquées, sont surtout une invitation à ne pas dévier des fondamentaux. Rester avec la personne là où elle en est, l'accompagner dans son univers, ça peut être déstabilisant lorsqu'elle est délirante, effrayant lorsqu'elle s'automutile, ou se met en danger comme dans les troubles du comportement alimentaire. Maintenir le non jugement, avoir confiance dans le processus, peut être particulièrement difficile quand la personne est dans un comportement d'addiction qui semble autodestructeur (Rose Cameron démontre que si elle est consciente que ce ressenti peut être fort, l'addiction est bel et bien cohérente avec la théorie rogérienne de l'actualisation).

 Ce regard théorique est à la fois original et précieux, mais les chapitres, courts (une quinzaine de page chacun, autant dire que le·a lecteur·ice n'est pas noyé·e sous les apports théoriques), sont fortement axés sur la pratique la plus terre à terre. L'idée n'est pas de préparer une thèse, mais de mieux accompagner. Rose Cameron explique par exemple que certains moments de ses séances ressemblent plus à une conversation qu'à un moment thérapeutique, car les client·e·s peuvent en avoir besoin pour apaiser un stress important (mais elle reste vigilante à se demander à chaque fois pourquoi elle le fait, à rester centrée sur l'autre et ne pas basculer l'attention sur elle, et à rester authentique), ou encore mentionne deux fois où elle a évoqué le problème d'alcoolisme de la personne accompagnée avant elle. Dans un cas, ça a été au service de la relation thérapeutique, dans l'autre, le client (elle avait interprété l'odeur d'alcool ce jour là comme un appel pour elle à s'emparer du sujet) l'a très mal vécu. Pour elle, la différence est qu'ils n'en étaient pas au même stade de développement rogérien (Rogers détaille 7 stades de développement dans Le développement de la personne, dans lesquels entre autre la personne se responsabilise plus, accepte mieux les évènements extérieurs, a une plus grande flexibilité mentale et une plus grande conscience de sa subjectivité, ...), respectivement au stade 4 et 1.

 La lecture est rapide mais le contenu est solide, l'expérience des auteur·ice·s transparaît clairement, et je pense que l'ouvrage est précieux à avoir sous la main pour des rappels quand on fait face à telle ou telle difficulté. Il est en revanche explicitement axé sur l'Approche Centrée sur la Personne, et les personnes utilisant d'autres approches en profiteront probablement moins.

mercredi 1 novembre 2023

Autopsie des échos dans ma tête, de Freaks


 

  Ce livre porte l'ambition de Freaks de parler de ce qu'est sa vie avec la maladie mentale, mais surtout de porter sa voix, un projet où il est plus simple de savoir ce qu'on ne veut pas ("la glamorisation niaise de la folie a tendance à me gonfler. Mais je n'aime pas non plus quand on en exagère la noirceur à outrance... sans parler des discours médicaux aseptisés") que ce qu'on veut : la maladie mentale, est-ce que c'est d'abord des symptômes, le regard des autres, les relations complexes avec l'institution psychiatrique, une recherche d'épanouissement qui passe par l'adaptation à ses besoins et limites?

 L'autrice arrive à articuler tous ces aspects, peut-être en parlant plus d'elle qu'elle ne l'aurait voulu ("je voulais écrire ma folie sans faire un livre intime") mais surtout en faisant parfaitement percevoir l'aspect social du sujet. Certes, si elle ne livrera pas son diagnostic ("ma folie a un sens politique qui n'est pas déterminé par son diagnostic"), le travail de vulgarisation est bien là et de qualité, de la description extrêmement claire de différents symptômes (mythomanie, paranoïa, dépression, dissociation... et je peux attester que l'hypersensibilité aux sons est remarquablement bien décrite!) aux directives anticipées pour se protéger juridiquement dans les moments de crise ou encore le parcours de combattant·e pour obtenir l'Allocation Adulte Handicapé, incluant beaucoup d'attente, de l'incertitude ("vous recevrez une réponse de la MDPH. Souvent ça se passe comme ça... vous n'avez pas bien rempli le formulaire/on a tiré aux dés, vous avez perdu/ le certificat médical doit être rempli par un autre médecin/ votre tronche ne nous revient pas/ votre projet de vie n'est pas assez convaincant") et qui commence par un dossier laborieux à remplir, incluant un projet professionnel ("mais je ne peux pas travailler. C'est pour ça que je demande l'AAH") et un projet de vie à remplir sur papier libre ("bonjour mon projet de vie est de ne pas mourir il faut manger pour ne pas mourir il faut de l'argent pour manger bisous, Freaks").

 Mais surtout, le livre permet de saisir la difficulté de définir la maladie mentale, et a fortiori la folie ("j'en ai passé, des nuits blanches sur Internet, à plonger de trou de lapin en trou de lapin à la recherche d'une définition de la folie qui serait un tant soit peu universelle... Sans grande surprise, je n'en ai pas trouvé", "Déviant. Antisocial. Marginal. C'est supposé être péjoratif, tout ça?"). Certaines souffrances décrites sont lourdes et indéniables, certaines tentatives d'automédication s'avèrent dangereuses sur le long terme ("Ça fait un bien fou. Mais mon histoire avec la drogue ne s'arrête pas là. En altérant mon esprit altéré de nature, j'avais soudain la sensation de contrôler mes hallucinations, ma peur des autres, mon angoisse, mes émotions... évidemment, c'était juste une illusion. Quand mes amis de défonce ont commencé à faire des overdoses, la descente fut brutale"). Pour autant, on tique avec l'autrice quand un médecin moralisateur impose un isolement total ("vous n'avez pas des livres? Non. Des crayons, du papier? Non. La télé? Non."), après une tentative de suicide, à une adolescente qui ne supporte physiquement pas l'ennui, ou quand une protestation est rebaptisée "réticence aux soins", la joie de retrouver son téléphone confisqué "addiction", ou encore de nombreux dessins, bouée de sauvetage pour la patiente, "névrose obsessionnelle". On tique encore plus quand le manque d'écoute bascule dans la violence ("-J'ai mal. -On passe à la prise de sang. -Vous me faites mal, arrêtez! Arrêtez de faire comme si je n'existais pas! Arrêtez! -La patiente semble agitée, faudrait sédater. -Non pitié faites pas ça, arrêtez!"). L'enjeu des relations avec l'institution psychiatrique, par ailleurs relais d'injonctions sociales qui peuvent entraver le bien-être et l'atténuation des symptômes ("aimer la solitude est l'exemple parfait d'un comportement inoffensif que l'on tente de guérir car il dévie de la norme"), est donc complexe : à la fois rester en lien pour avoir accès à des médicaments ou à l'AAH évoqué plus haut, et danger car potentiellement vecteur de violences qui ne vont en rien aider à la guérison ("quand la noirceur refaisait surface, je camouflais les dégâts plutôt que de demander de l'aide").

 La stigmatisation de la folie, en plus de rendre moins audibles les critiques de la psychiatrie, constitue en soi une épreuve supplémentaire à travers le regard des autres ("essayer de retrouver une vie normale avoir été internée, c'était encore plus dur que l'internement en soi") : moqueries, trahisons, isolement social, exposition à des relations abusives en sont des conséquences directes. L'autrice a pu retrouver acceptation et sentiment d'appartenance dans les marges, au sein de la communauté punk où elle s'est aussi énormément documentée sur l'antipsychiatrie ("l'objectif de l'antipsychiatrie n'est ni d'empêcher l'accès au soin, ni de culpabiliser les personnes qui ont recours à la psychiatrie, mais de dénoncer l'hégémonie de cette dernière, et le contrôle social qu'elle opère sur la vie des malades."). Elle invite d'ailleurs les lecteur·ice·s à faire de même, en fournissant des ressources (en ligne : www.zinzinzine.net , https://commedesfous.com , https://icarus.poivron.org , http://lesdevalideuses.org et https://cle-autistes.fr ).

 Dans la continuité de ces revendications (ce n'est pas particulièrement surprenant que les couleurs utilisées dans cette BD soient le rouge et le noir!), l'autrice finit par brandir son identité de folle ("je suis folle, enfin, parce que c'est un mot qu'on a utilisé pour me faire beaucoup de mal et si je le transforme en arme, alors on ne pourra plus s'en servir contre moi plus tard"), sans bien sûr minimiser les souffrances ("il y a tellement de choses qui ont été dures dans la folie, traumatisantes, brutales, qui ont laissé à vie des cicatrices sur mon cœur"), et porte un message d'espoir ("des gens se battront pour toi et tes droits, même si tu n'as pas la force de te joindre à eux. Des gens seront là pour te soutenir et t'écouter, même si tu n'as pas la force de leur parler.", "plus que tout, j'ai des projets. Des projets que ni ma folie, ni la psychatrie, ni la société, ni personne ne pourront m'empêcher de concrétiser"). Un livre précieux, direct, plein d'énergie, accessible, pour se documenter sur la maladie mentale ou sur le rapport militant à la psychiatrie... à supposer qu'une distinction soit possible entre les deux.

dimanche 26 février 2023

Folie et paranormal. Vers une clinique des expériences exceptionnelles, de Renaud Evrard

 



 Hallucinations visuelles et auditives (de la schizophrénie à la paralysie du sommeil), messages envoyés par les défunt·e·s, croyances de toutes sortes (le terme de croyance étant lui-même extrêmement subjectif, sans parler du fait de les considérer ou non comme pathologiques), les espaces où psychologie clinique et paranormal s'entrecroisent s'avèrent vite nombreux!

 Des liens entre psychanalyse et paranormal (Freud réticent mais ambivalent -"La pensée de cette pomme acide me fait frémir, mais il n'y a pas moyen d'éviter d'avoir à y mordre"-, Ferenczi et Jung s'engageant sur cette voie bien plus frontalement) aux enfants indigo en passant par les entendeur·se·s de voix militant·e·s et la recherche de critères fiables pour déterminer les risques de psychoses en fonction de la perméabilité à certains ressentis et croyances, les thèmes traités sont en effet variés (en revanche, des attentes de lecteur·ice·s seront probablement déçues, la réalité ou non des éléments paranormaux n'est pas discutée). Pourtant, le sujet commun de l'ouverture aux discours des patient·e·s s'avère vite central et récurrent : les entendeur·se·s de voix ont pu considérablement faire avancer la clinique en faisant du forcing pour faire entendre la leur, la croyance dans les enfants indigo rejoint les revendications des parents à la recherche de diagnostic par exemple de surdouance pour obtenir des explications ou des solutions là où l'institution ne les satisfait pas, et, élément crucial, l'auteur s'appuie sur son expérience clinique et sur la littérature scientifique (la bibliographie occupe une part très très conséquente de l'ouvrage, qui regroupe des travaux universitaires) pour rappeler à quel point il est important d'écouter les personnes relatant ces expériences extraordinaires, plutôt que de chercher à imposer une rationalité qui risque de les éloigner du soin et de les rapprocher de gourous bien trop ordinaires qui n'attendent que ça.

 Une anamnèse prenant le sujet au sérieux permet par ailleurs d'obtenir rapidement des éléments importants d'un point de vue plus orthodoxe : une préadolescente qui voit une petite fille fantôme qui la suit vit dans une famille où il est souvent question de médiums et de contacts avec l'au delà, une mère de famille qui estime avoir des pouvoirs de divination est renforcée dans ce sens par une amie proche, et surtout fuit un ex violent qui ne manque pas une occasion de dénigrer cet aspect de sa personnalité auprès de leur enfant (tout en ajoutant qu'elle doit "voir un psy", ce qui on l'imagine ne facilite pas la création d'une alliance thérapeutique ni pour elle ni pour l'enfant), ... L'équilibre à trouver reste délicat (l'auteur est pour le moins réservé sur l'idée de mentir aux patient·e·s en faisant semblant d'adhérer aux croyances), mais l'écoute ouverte doit rester un préalable. Le livre s'achève sur une proposition de psychopathologie extrêmement technique, structurée autour des notions psychanalytiques de psychose et de névrose, et qui relève explicitement d'une proposition appelée à être critiquée et à évoluer. 

 La diversité des chapitres fait que le traitements de chaque thème tend à être court, ce qui peut être frustrant (encore que, c'est souvent dense), mais les enjeux, pas nécessairement attendus, sont mis au centre avec efficacité.

vendredi 10 février 2023

Diriger les consciences, guérir les âmes, d'Hervé Guillemain

 



 Ce travail historique, adaptation de la thèse de doctorat de l'auteur, articule les évolutions respectives de l'influence de la psychiatrie laïque et ecclésiastique sur une période d'environ un siècle. Plus encore que le sujet traité, le titre préfigure ses travaux à venir (un exemple ici ) : au delà du statut de soignant, le statut d'autorité morale sera interrogé en longueur. 

 Peut-être de façon contre-intuitive, que ce soit le long du XIXème siècle ou au début du XXème, c'est le plus souvent une continuité entre médical et religieux qui est observée, au point que la citation de Groddeck qui introduit la conclusion, "J'ai expérimenté et utilisé toutes sortes de traitements médicaux que ce fût d'une manière ou d'une autre et j'ai découvert que tous les chemins mènent à Rome, ceux de la science comme ceux de la charlatanerie", ne surprendra pas le·a lecteur·ice. S'il y a bien des espaces de concurrence, entre la psychiatrie laïque et les institutions religieuses mais aussi entre catholicisme et protestantisme, les évolutions seront dans l'ensemble conjointes, aspect renforcé par le fait que des figures religieuses seront soucieuses d'efficacité dans leur approche de l'encadrement ou de la thérapie  ou que des médecins influents sont par ailleurs croyants. Si au XIXème siècle, par exemple, les institutions religieuses ont plus tendance à relier la maladie mentale aux pêchés capitaux, la différence est avant tout quantitative, et n'est pas si considérable, d'autant que médecins comme prêtres se préoccuperont beaucoup de possession démoniaque et d'exorcismes, avec des désaccords portant plutôt sur les détails de la psychopathologie (quels symptômes correspondent à quelle forme de possession) et des procédures thérapeutiques concrètes. Même des figures encore relativement influentes, telles que Pierre Janet, estiment parfois pratiquer une forme d'exorcisme ("la technique du prêtre est fondée sur la parole, les symboles (noms, dates, objets) et sur une forme de transfert du mal sur l'exorciste. Nommer le mal, l'exorciser, puis le bannir : les projets exorcistique et psychothérapeutique sont similaires"), et des figures ecclésiastiques justifient leur pratique par le pragmatisme ("alors de deux choses l'une, ou bien admettre que ces personnes ont été réellement possédées, puisque l'exorcisme les a guéries, ou bien admettre que l'exorcisme est le meilleur remède pour certains états nerveux que la médecine ne guérit pas"). Le niveau de preuve scientifique a par ailleurs une influence nette sur l'acceptation ou le rejet de telle ou telle approche par l'Eglise : l'hypnose donne certes lieu à des débats (est-ce que sa puissance antalgique est compatible avec une religion qui donne une dimension morale à la souffrance? est-ce qu'un état modifié de conscience ne pose pas question du point de vue de la dualité corps/âme?) mais est prise au sérieux contrairement au magnétisme qui l'a précédée, l'approche localisationniste de la neurologie (une zone du cerveau=une fonction) est incompatible avec la conception moniste de l'âme mais son acceptation s'accroît avec la solidité des éléments apportés (il y a un fossé, de ce point de vue, entre la phrénologie de Gall et la découverte de l'aire de Broca).

 La psychanalyse, arrivée tardivement en France ("Cinq leçons sur la psychanalyse (1909), Psychopathologie de la vie quotidienne (1901) et La Science des rêves (1900) ne sont traduits respectivement qu'en 1921, 1922 et 1926"), est bien entendu objet de débats qui ne sont pas toujours d'ordre strictement psychiatriques (certain·e·s, dans cette approche nouvelle portée par un Juif athée, sont plus préoccupé·e·s par le fait qu'elle soit portée par un Juif athée que par son caractère d'approche nouvelle). De nombreux échanges sont détaillés, y compris certains qui amèneront Freud à adapter quelques points pour une meilleure acceptation. Si sans surprise certains éléments font grincer des dents aux plus conservateur·ice·s (la bisexualité psychique qui postule que l'homosexualité est constitutive du psychisme humain, l'existence d'une sexualité chez l'enfant et même le bébé "pervers polymorphe", ...), d'autres sont au contraire dans la continuité de la pratique religieuse ("l'influence des préoccupations sexuelles est tellement connue que depuis deux mille ans bientôt les prêtres, qui ont la notion sinon du pansexualisme du moins du sexualisme, font de la psychanalyse dans le confessionnal"). C'est l'objet d'une des dernières sous-parties du livre qui suit un ordre chronologique et s'étend jusqu'à 1939, une psychanalyse chrétienne finit par se développer. Dans la période de 110 ans couverte, la possession démoniaque, de centrale, devient marginale, mais ne disparaît jamais tout à fait (l'auteur n'évoque pas les exorcismes encore pratiqués aujourd'hui, mais fait un lien -que je lui laisse- avec le trouble dissociatif de l'identité).

 Ce regard en longueur et documenté sur un passé qui peut sembler lointain et deux institutions qu'on aurait pu attendre bien plus en opposition rappelle à quel point l'équilibre entre science et croyance est une question de degré et à quel point il est difficile de s'en affranchir. Les valeurs morales contemporaines, les normes (la société contemporaine, donc sa psychiatrie, est par exemple patriarcale, postcoloniale et validiste, ce qui a des conséquences particulièrement fortes pour un secteur qui concerne des personnes vulnérables), sont influencées par et influencent l'état de la science, ce qui a des conséquences, à travers le débat public comme à travers les pratiques thérapeutiques concrètes, sur les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ou jugées comme telles. Si ce n'est pas l'objet du livre, c'est par ailleurs frustrant de ne pas avoir accès du tout au point de vue des "âmes" désignées dans le titre, même si l'auteur relayera leurs vécus dans d'autres livres.

mardi 28 juin 2022

Sexy but psycho, de Jessica Taylor

 

 Si l'autrice parle surtout depuis son expérience militante, son expérience de chercheuse et son expérience professionnelle (en particulier en milieu judiciaire), le livre s'ouvre sur deux de ses expériences personnelles qui suffisent à faire comprendre et légitimer son propos : la fois où des policier·ère·s sont venu·e·s lui annoncer que son ex violent, qui continuait à la menacer physiquement pendant l'enquête via des proches, n'allait pas être jugé, ajoutant qu'il avait l'air sympathique (tout en refusant d'écouter les messages vocaux qui pouvaient pour le moins attester du contraire) et qu'elle-même aurait probablement l'utilité d'un suivi (et d'une médication!) psychiatrique, et la fois où, universitaire installée, des e-mails malveillants anonymes ont suffi à la décrédibiliser auprès de sa hiérarchie (là où son argumentation devant le manque de sérieux de la situation n'a pas suffi, ses connaissances du système judiciaire lui ont permis d'obtenir réparation). Dans les deux cas, une suspicion de pathologie psychiatrique, sans être appuyée par le moindre élément tangible, ont suffi à la décrédibiliser ou à justifier de la décrédibiliser, avec des risques de conséquences graves. Ses observations personnelles, les témoignages recueillis depuis, lui ont confirmé que ces deux situations n'avaient rien d'une coïncidence, au point qu'elle estime que la psychiatrie est "le patriarcat avec un ordonnancier et un stylo."

 Au moment où je rédige ce post, difficile de ne pas voir de résonances avec l'actualité, entre le jury qui juge Amber Heard peu crédible en s'appuyant sur des comportements... qui sont des symptômes de traumatisme ou les critères très surprenants sollicités lors du procès pour viol au quai des orfèvres, et ça aurait probablement aussi été le cas si je l'avais rédigé à un autre moment. Entre le stéréotype de l'ex folle, l'histoire de Christine Collins (qui a été adaptée au cinéma) ou encore des récits d'autoritarisme en psychiatrie , il n'y a pas à aller chercher si loin pour trouver des illustrations des violences dénoncées par l'autrice, et pour constater qu'elles sont loin de ne concerner que le Royaume-Uni, où le diagnostic de borderline ou bipolaire en général est régulièrement utilisé, avec une stigmatisation particulièrement forte du trouble borderline. Les conséquences, en plus d'un éventuel traitement lourd et d'un regard suspicieux des services sociaux (ce qui peut avoir un impact, par exemple, sur la garde des enfants des personnes concernées), sont une décrédibilisation de tout propos, que ce soit pour dénoncer des violences (Helen ironise dans son témoignage sur le fait qu'on l'a jugée en incapacité à s'adapter aux violences infligées par son compagnon, "ce qui serait drôle si ce n'était pas si grave") ou même pour obtenir des examens médicaux adaptés (de nombreux témoignages racontent de graves mises en danger, sans parler de la souffrance intenable et surtout évitable endurée).

 L'autrice propose pour mettre fin à ces violences systémiques de centrer la psychopathologie sur le traumatisme et ses conséquences : des comportements jugés irrationnels au point d'être pathologiques sont souvent une réaction parfaitement normale au vécu, des symptômes jugés incurables certes sont potentiellement tenaces, certes ne se manifesteront pas de façon linéaire (l'autrice fait la distinction entre le concept d'endurance et le concept de résilience), mais pourront être surmontés avec l'accompagnement adéquat. Le changement de perspective est montré de façon éloquente avec deux scripts qu'elle a testés auprès de professionnel·le·s du soin : entre "Mandeep a subi violences et exploitation de son enfance à la fin de l'adolescence. Elle a été diagnostiquée d'un trouble de l'attachement, d'un trouble de la personnalité borderline et d'une agoraphobie. Elle se laisse peu approcher, refuse le dialogue avec l'équipe, nie les violences subies et a des comportements problématiques" et ""Mandeep a subi violences et exploitation de son enfance à la fin de l'adolescence. Elle est facilement effrayée, se bat contre des symptômes traumatiques et est surstimulée par l'environnement hospitalier. Elle a très peur des espaces confinés et des petites pièces. Elle ne veut pas parler des violences subies, et n'est pas prête à en parler pour l'instant. Les professionnel·le·s ne lui inspirent pas confiance et elle a une tendance au retrait quand on lui pose des questions trop intrusives ou qu'elle se sent mise en danger", les attitudes sont différentes (impuissance, stress, incompétence dans un cas, compréhension et sensation de pouvoir aider dans l'autre).

 Le propos devient toutefois plus difficile à suivre lorsqu'elle avance qu'il faut renoncer complètement aux autres modèles. Pour l'autrice, rien n'est psychiatrie, tout est traumatisme, au point qu'elle met le terme "schizophrène" entre guillemets à chaque fois qu'elle l'utilise, tant pis pour les personnes qui ont toutes les raisons de se sentir concernées (les troubles de l'humeur non plus n'existent pas, les troubles de la personnalité n'en parlons pas). A la poubelle les diagnostics donc mais aussi les traitements médicamenteux, ou encore, pourquoi pas, les TCC, pas adaptés aux traumatismes (ah bon?) (et même si une erreur de diagnostic fait que c'est le cas, est-il indispensable de se débarrasser d'une méthode qui permet d'atténuer ou de mieux supporter les symptômes?). Les critiques sont certes souvent intéressantes (les classifications type DSM se font sur des bases moins scientifiques qu'on ne pourrait le croire, le fonctionnement des médicaments et les causes biochimiques des différents symptômes ne sont pas si clairs que ça), mais sans pour autant expliquer vraiment pourquoi le rejet total est la solution unique, plutôt qu'une forte remise en question (en particulier réévaluer la pertinence des traitements s'ils ne semblent pas fonctionner, et accessoirement prendre en compte la balance bénéfices/risques et surtout réfléchir au sujet en collaboration avec les patient·e·s et ne pas mentir sur les effets secondaires!). Parfois elles s'accompagnent d'un certain parfum de mauvaise fois, comme quand dans une brève histoire de la psychiatrie sont mis sur le même plan des pratiques qui n'ont jamais même approché le consensus scientifique (phrénologie, magnétisme de Mesmer, ...) et des pratiques, tragiquement, bien réelles et institutionnalisées, ou encore quand l'autrice présente des critiques censées décrédibiliser certains modèles alors qu'elles sont largement intégrées dans la théorie (mention spéciale au moment où elle dit que l'évaluation de la personnalité n'a pas de sens parce que la personnalité n'est pas immuable... avant de lister quelques lignes plus loin ses propres traits de personnalité sans relever la contradiction). D'autres fois encore, elle reproduit ce que précisément elle dénonce (gaslighting, manque d'écoute, mise en danger, ...), comme quand elle affirme qu'il est inapproprié d'aider des adolescent·e·s transgenre à transitionner (qu'iels le veuillent ou non, il faut soigner leurs traumas -tant pis s'iels n'en ont pas- et surtout rien d'autre, on vous dit!), sans prendre le temps de préciser les risques de suicide (sans même évoquer les souffrances) occasionnés.

 Vous l'aurez compris, j'ai eu des sentiments pour le moins contrastés à la lecture de ce livre qui porte des dénonciations urgentes d'un côté, et des mises en danger qui semblent parfaitement gratuites de l'autre.

mercredi 9 décembre 2020

What works for whom, a critical review of treatments for children and adolescents, de P. Fonagy, D. Cottrell, J. Phillips, D. Bevington, D. Glaser et E. Allison



 12 ans après leur première édition, pour cette mise à jour datant de 2015, les auteur·ice·s renouvellent leur gigantesque revue de la littérature scientifique pour identifier les traitements dont l'efficacité est la mieux attestée, pour un nombre très élevé de troubles (autisme, addiction, troubles du comportement alimentaire, comportements délinquants, troubles de l'apprentissage, traumatisme, troubles psychosomatiques et gestion de la douleur, ...) chez l'enfant et l'adolescent. Si les limites de l'entreprise sont très clairement formulées (un guide de la conduite à suivre selon le trouble demanderait tout un volume supplémentaire, aucun traitement ne fonctionne tout le temps pour tout le monde, le choix du bon traitement ne garantit pas pour autant la qualité des soins, ...), mais l'enjeu reste de taille : les enfants et adolescents tendent à devenir des adultes, donc la prévention est d'autant plus importante, et les pratiques dans leur ensemble sont encore loin de correspondre à l'état de la science.

 Pour chaque trouble ou ensemble de troubles sont présentés l'épidémiologie, les critères diagnostics (quand il n'y a pas de consensus, les différences sont détaillées), les risques de comorbidité, et enfin l'évaluation des traitements. Cette partie est souvent très longue parce que détaillée, et la lecture n'est pas particulièrement aisée : beaucoup de termes techniques (oui, ils sont définis, mais ça reste des termes techniques), beaucoup d'abréviations, beaucoup de chiffres... sans compter que les médicaments sont aussi évalués, ce qui est certes indispensable mais demande des compétences supplémentaires pour intégrer le contenu. Toutefois, les auteur·ice·s fournissent charitablement un résumé des points principaux en fin de chapitre et, en fin de livre, un nouveau résumé de chaque chapitre. L'accessibilité est en effet partie intégrante de la démarche : c'est régulièrement mentionné dans le chapitre de conclusion, mais l'un des enjeux principaux pour une meilleure santé publique selon les auteur·ice·s est une sensibilisation des familles mais aussi de nombreux professionnel·le·s (soignant·e·s, enseignant·e·s, travailleur·se·s sociaux·ales, ...) aux troubles de la santé mentale, une intervention rapide et une communication optimale entre les institutions (aucun·e psychologue ou psychiatre, seul·e, ne disposera de tous les outils nécessaires) constituant les progrès qu'iels appellent le plus de leurs vœux.

 La structure du livre permet un bon compromis entre l'exhaustivité (d'autant plus importante quand le niveau de preuve est le cœur de la démarche) et l'accessibilité : les spécialistes pourront comparer les recherches évoquées et en reprendre certaines dans le détail, les utilisateur·ice·s plus axé·e·s sur la pratique pourront se reporter au résumé pour mieux comprendre un diagnostic, un choix de thérapie, ou pour reconsidérer certaines idées reçues. Un certain nombre de questions sans réponse sont aussi présentées... peut-être pour une troisième édition?

 

mercredi 17 juillet 2019

Psychologie de la personnalité, de Michel Hansenne



 La personnalité est un terme qui semble plutôt aller de soi dans le langage courant, mais qui devient effroyablement complexe quand on cherche à le circonscrire plus précisément. Comment trouver des critères suffisamment universels pour pouvoir situer chaque personne, mais suffisamment spécifiques pour rendre compte de l’aspect unique de chacun·e? La personnalité permet-elle de prédire un comportement dans telle ou telle situation? Elle permet certes de définir quelqu’un, mais ne peut-on pas changer de personnalité au cours de sa vie? Et puis la personnalité reste-t-elle vraiment la même dans différents contextes? Quelle part attribuer à la génétique, aux événements de vie, à l’environnement social, familial, professionnel (et bien sûr au brillant travail du ou de la psychothérapeute)? Certaines personnalités sont-elles préférables à d’autres, en général ou dans des circonstances particulières? Ce livre rend compte des nombreux enjeux de ce sujet, et plus que de répondre à toutes ces questions (même si bien sûr plusieurs infos sont données sur l’état de la science!), expliquera comment les chercheur·se·s ont tenté d’y répondre.

 Difficile d’avoir un consensus sur un sujet aussi vaste, d’autant que, comme l’avance l’auteur, "les théories actuelles trahissent bien souvent encore les conceptions personnelles qu’ont leurs auteurs des sources des différences individuelles et des priorités qu’ils y accordent". L’humain est-il un compromis boiteux entre ses pulsions les plus sombres et la nécessité de vivre en société (Freud?), un être qui ne demande qu’à s’accomplir en optimisant au mieux les ressources dont il dispose (Rogers et Maslow), condamné à l’errance au gré des stimuli et de la façon dont il y réagit (Skinner), un scientifique guidé par l’observation de ses impacts sur son milieu (George Kelly)? Ces propositions ne sont qu’une fraction des perspectives de la personnalité présentées et critiquées, sachant que le modèle le plus utilisé dans la recherche est le Big Five, qui a la spécificité d’être issu d’analyses factorielles (comme d’autres modèles concurrents, par exemple celui d’Eysenck qui jusqu’à la fin de sa vie dans les années 90 a défendu son modèle à trois facteurs) et situe la personnalité sur cinq dimensions principales (Ouverture, Conformisme, Extraversion, Agréabilité, Neuroticisme), même si leur dénomination ne fait pas l’unanimité. Après s’être attardé sur la construction des modèles présentés, l’auteur fournira des éléments de réflexion sur différents enjeux : que sait-on sur les liens entre la personnalité et les émotions, les performances cognitives, la psychopathologie, ou encore la capacité à se représenter le passé et le futur (ça s’appelle la conscience autonoétique, et il faudra absolument que je le case dans une conversation, nom de Zeus!)?

 Si le sujet est complexe et technique et que le livre offre plus de questions que de réponses, il arrive à rendre le thème et ses enjeux intéressants, et à couvrir un vaste territoire. C’est idéal pour un·e étudiant·e en psychologie (surtout que de nombreux rappels sont faits sur la méthodologie de la recherche), mais pourra aussi satisfaire (augmenter?) la curiosité de quelqu’un qui s’intéresse au sujet sans vouloir être un·e expert·e.

jeudi 6 décembre 2018

Je résiste aux personnalités toxiques (et autres casse-pieds), de Christophe André et Muzo




 La psychologie clinique propose nombre de solutions pour mieux soigner ses propres problèmes, mais offre beaucoup moins de réponses lorsqu’il s’agit d’influer sur le comportement de quelqu’un qui n’a rien demandé. Que l’étudiant·e en psycho qui ne s’est jamais ditẹ, dans un moment d’agacement, "cette personne aurait bien besoin d’une thérapie, ça me ferait des vacances", me jette la première pierre (pas pour de vrai, hein, ça doit faire super mal!). Il y a certes d’excellentes raisons : inutile de faire un dessin (serait-ce un dessin de Muzo) pour expliquer ce qui pose problème dans l’idée de décider de ce qui va et ne va pas chez l’autre, et de modifier son comportement selon notre bon vouloir. Pourtant, le·a manager à la limite du harcèlement moral, le·a voisin·e agressif·ve, le·a client·e étouffant·e de condescendance, l’ami·e qui prend tout mal au point qu’on s’inquiète par anticipation chaque fois qu’on s’adresse à lui ou elle, sans parler du ou de la manipulateur·ice qui va délibérément élaborer des stratégies pour blesser, peuvent faire du mal, parfois beaucoup de mal, parfois quotidiennement. Les explications de Christophe André, complétées par les courtes bandes dessinées de Muzo, vont fournir quelques clefs pour se préserver.

 Différents profil de casse-pieds (ou personnalités) seront présentés : les narcissiques, les négativistes, les paranos, les histrioniques, les stressé·e·s (ou plutôt les "stressénervé·e·s"), les pervers·es (ceux et celles qui se réjouissent du malheur d'autrui surtout s'iels l'ont causé, pas qui ont des fantasmes érotiques étranges qui ne concernent que leur vie privée) et les passif·ve·s agressif·ve·s. En plus d’attitudes recommandées et accessoirement d’attitudes non recommandées pour chaque personnalité, chaque chapitre contient la définition (ça peut servir!), un test pour savoir si le·a lecteur·ice est concerné·e, ce qui permet d’identifier le seuil pathologique, des pistes d’étiologie (c’est succinct!), et… les avantages de chaque profil (le·a négativiste voit venir les dangers, le·a stressénervé·e accomplit beaucoup de travail, l’histrionique est un·e bon·ne commercial·le, …). Le risque, non négligeable avec ce type de livre, de glisser vers le jugement, est considérablement limité par plusieurs précautions : j’ai déjà évoqué le test de chaque début de chapitre qui évite une vision binaire et permet aux lecteur·ice·s de se demander dans quelle mesure iels sont concerné·e·s, ou encore le rappel des quelques avantages de ces personnalités toxiques, mais la question est explicitement prise en compte dès l’introduction avec un appel à l’humilité ("nous sommes, forcément, évidemment, le casse-pieds de quelqu’un d’autre. Ou nous le serons. Ou, tout au moins, nous l’avons été") et à l’empathie, y compris pour des raisons pratiques ("nos remarques sont mieux écoutées si elles sont précédées de phrases empathiques"), sans compter que, si se protéger est le plus important et même l’objet du livre, "si elle n’est pas toujours perceptible ou exprimée, la souffrance n’est jamais loin en cas de troubles de la personnalité". La tentation de brandir telle ou telle phrase du livre comme un acte d’accusation ou un jugement définitif est donc moins brûlante qu’elle ne pourrait l’être avec ce type de format.

 Le livre est avant tout conçu pour être pratique, et les conseils sont regroupés dans une liste brève et claire, au même endroit de chaque chapitre. Une bibliographie est proposée à la fin pour aller plus loin, pour les professionnel·le·s comme pour les non-professionnel·le·s, la lecture est facile et rapide et les conseils, pour autant que je puisse en juger sans les avoir testés ni vu tester, semblent pertinents.

mercredi 14 février 2018

The Psychopath Inside, de James Fallon



 Un avocat demande l'assistance d'un chercheur en neurosciences pour une expertise sur un tueur en série qu'il défend. Le chercheur identifie par imagerie une spécificité cérébrale qui montre une moindre capacité à inhiber ses pulsions : l'expertise contribue à ce que le tueur en série soit condamné à la prison à perpétuité plutôt qu'à la peine de mort. Suite à cet événement, il lui est régulièrement demandé d'être expert pour ce type de criminels, ce qui lui donne l'occasion d'entendre les horreurs à peine croyables dont ils sont capables mais aussi (ce qui sera confirmé avec une étude en double-aveugle) de constater une particularité très nette sur les imageries cérébrales, qui correspond à un manque d'empathie, de contrôle de soi et de sens moral. Alors qu'il fait une toute autre recherche (sur la Maladie d'Alzheimer), il scanne les cerveaux de sa propre famille pour constituer un groupe contrôle. Son regard est vite attiré par une spécificité bien familière... et après confirmation, il s'avère qu'il ne s'agit pas d'un scan de serial-killer qui s'est égaré, mais bien de celui du chercheur! 

 Ce serait un bon sujet de thriller, d'ailleurs ça a peut-être déjà été fait. C'est pourtant ce qui est vraiment arrivé à James Fallon. Heureusement pour lui, les péripéties et rebondissements qui ont eu lieu ensuite n'ont pas eu grand chose à voir avec un vrai thriller!

 L'auteur admet lui-même n'avoir creusé le sujet que progressivement : certes l'anecdote ne manque pas de sel, mais ce père de famille, non violent (malgré son gabarit imposant), aimé par ses proches, ne peut pas sérieusement avoir grand chose à voir avec les criminels précédemment étudiés! Il a souffert de crises d'asthme, de Troubles Obsessionnels Compulsifs qui se sont manifestés par une hyperreligiosité (il est aujourd'hui agnostique), peut-être à certains moments de troubles de l'humeur, mais quels signes pourraient bien être associés chez lui à la personnalité d'un psychopathe? Il a toujours aimé faire des blagues, parfois en allant assez loin (meubles brûlés à l'occasion d'un bizutage, voitures "empruntées"... l'auteur déplore que des jeunes qui feraient aujourd'hui la même chose, qu'il considère faire partie de la vie sociale étudiante, finiraient en prison), mais sans jamais faire de mal au final. Quel rapport avec des individus froids, manipulateurs, violents?

 Le·a lecteur·ice est guidé·e par les découvertes de l'auteur au fur et à mesure qu'il les fera. L'auteur étant un chercheur en neurosciences parfois très très impliqué dans ce qu'il fait (il a eu son diplôme post-doctorat en 3 ans au lieu des 5 habituellement nécessaires, et a l'habitude de s'intéresser à de nombreux sujets à la fois) avec un QI de 150, lesdites découvertes ne sont pas toujours évidentes à suivre. Il est beaucoup question d'anatomie cérébrale et de génétique, et si l'auteur revendique la maxime d'Einstein sur la simplicité ("rendez les choses aussi simples que possible, mais pas plus simples"), on peut dire qu'il tient bien sa promesse sur la seconde partie de cette maxime. L'exigence est pourtant indispensable, puisqu'un rapide sondage auprès de ses collègues confirme l'idée de James Fallon qu'il n'y a pas vraiment de définition du ou de la psychopathe : un·e spécialiste sait le·a reconnaître quand il en voit un·e, analyser les résultats d'un PLC-R (Psychopathy Checklist Revised, aussi appelé Test de Hare) qui évalue des éléments de relation interpersonnelle (relations superficielles, idées de grandeur, manipulations), affectifs (absence de remords, d'empathie et de sens des responsabilités), comportementaux (impulsivité, absence d'objectifs, être indigne de confiance) et des tendances antisociales (prises de risque, délinquance juvénile, crimes), mais pas dire précisément, hors cas particuliers, ce qu'est un·e psychopathe (terme d'ailleurs absent du DSM). Dans un double mouvement, au fur et à mesure de ses avancées, l'auteur va donc à la fois mieux se comprendre lui-même et mieux comprendre ce type de personnalité.

  Les découvertes se feront par à coups, l'auteur tendant à conclure à chaque nouvel élément qu'il n'a décidément rien à voir avec les vrais psychopathes : il avait des ancêtres réputés pour leur violence? La transmission héréditaire est complexe, et lui-même n'a rien de tel à se reprocher. Sa généalogie et le scan cérébral vont de façon troublante dans le même sens? Certes, mais les psychopathes qu'il a étudié·e·s ont subi des violences dans 90% des cas, probablement plus, et c'est sans doute l'association de ces trois éléments, et non de seulement deux d'entre eux, qui fait d'eux des psychopathes. Sa fille et sa sœur, sans se concerter, lui envoient un courrier pour lui dire à quel point elles ont souffert de sa froideur pendant des années? Elles ont probablement des problèmes dans leur vie, et on décidé de lui mettre sur le dos.  Un collègue constate que l'état dans lequel il est lorsqu'il s'engage à fond dans un travail ressemble à de l'hypomanie? Ses recherches de sensations fortes sont donc depuis le début l'expression d'une forme de trouble bipolaire non diagnostiquée!

 L'auteur se rendra progressivement compte, en parallèle de ses avancées scientifiques, qu'il ne ressent pas d'empathie y compris pour ses proches (il admire son épouse, qui est très importante pour lui, mais ne ressent pas d'amour), que la manipulation est pour lui la forme principale d'interaction sociale (au point qu'il rend régulièrement service... pour être en mesure de demander des services en retour!), qu'il a du mal à accepter d'être dans une situation ennuyeuse et va souvent éviter les moments qui ne lui conviennent pas pour des activités plus intenses (il a déjà planté des chercheur·se·s avec qui il devait faire une conférence pour aller à un concert qui lui plaisait, ou faire la fête), que mettre les autres en danger l'indiffère (alors enseignant au Kenya, il avait amené son frère visiter une grotte reculée sans lui préciser qu'un touriste y avait contracté une maladie semblable à Ebola et n'y avait pas survécu!), ...

 De la même façon que L'Erreur de Descartes permet une toute autre perspective sur les émotions, la définition plus précise de ce qui caractérise un psychopathe permet d'explorer différemment le sens moral, les relations sociales, ... On perçoit aussi la difficulté potentielle de faire un diagnostic, ce qui est l'occasion de mieux connaître au passage, par exemple, les troubles de l'humeur ou les délires.

dimanche 11 février 2018

Les enfants de parents fous, de Yves-Hiram Haesevoets



 Eduquer est un "métier impossible" selon Freud : c'est une des rares affirmations du fondateur de la psychanalyse qui, sauf erreur de ma part, n'a pas été contredite! C'est difficilement contestable pour l'enseignant·e, mais ça l'est encore encore moins pour les parents... même dans les meilleures conditions, l'éducation parfaite n'existe pas. Qu'en est-il lorsque le parent doit, en plus, faire face à des souffrances parfois écrasantes? Lorsque l'enfant est confronté aux délires, aux troubles de l'humeur, d'un parent dépressif, alcoolique, schizophrène? Aux regards de la société, voire de la famille, qui n'est pas nécessairement imperméable aux jugements de valeur et aux stéréotypes? Quels impacts négatifs, quels développements de ressources les soignant·e·s ont pu constater? Y a-t-il des conseils particuliers à donner aux parents concernés? Ces questions sont rarement traitées en tant que telles, même si elles peuvent l'être indirectement lorsqu'on se préoccupe du développement de l'enfant en général, ou lorsque dans la recherche de connaissances sur une pathologie en particulier on s'intéresse à son impact sur la parentalité. Hélas, ce livre n'aidera pas particulièrement à y voir plus clair.

 Le livre traite en effet plutôt de la maltraitance en général, avec des critères qui restent valables que les parents souffrent d'une pathologie diagnostiquée ou non, ce qui ne répond pas tout à fait aux questions qu'on se pose quand on cherche à en savoir plus sur les parents relevant de la psychiatrie n'ayant pas une attitude maltraitante. Certes, quinze maigres pages seront consacrées aux mères psychotiques (parce que les pères psychotiques, OSEF), et le syndrome de Münchhausen par procuration et les homicides conjugaux seront examinés de plus près, mais la sensation de hors-sujet demeure, d'autant qu'il est bien plus question des parents que des enfants.

 Plus que le hors-sujet, le problème est pourtant le manque de rigueur, criant (voire hurlant) au fur et à mesure qu'on tourne les pages. J'avais vaguement tiqué quand l'auteur affirmait une chose ("le diagnostic psychopathologique stigmatise, jusqu'à la dénaturer, la relation de l'enfant à son parent", "loin de donner du sens à ce que ces enfants vivent, ces concepts déshumanisent la personne du parent") avant d'illustrer l'exact opposé dans une vignette clinique ("A partir du moment où j'ai compris le sens du mot schizophrène, comme me l'a expliqué la psychologue qui me suivait, j'ai commencé à démystifier les peurs que je ressentais depuis mon enfance", "J'étais comme libérée d'un poids, celui de l'ignorance"), ou encore quand des termes porteurs de jugements de valeurs étaient utilisés dans d'autres vignettes cliniques (une patiente "se met dans tous ses états", une autre est "très bizarre", un père est "insupportable", …), mais rien ne m'avait préparé au chapitre où, sans aucune distance, les parents sont désignés comme responsables de la schizophrénie de leurs enfants! Le·a lecteur·ice se voit proposer le choix entre la notion de double lien (message verbal contradictoire avec le message non-verbal du parent, l'enfant se voyant reprocher sa réaction quelle qu'elle soit... si la notion est intéressante et que l'impact négatif sur l'enfant est difficilement discutable, l'hypothèse du lien avec la schizophrénie est ancienne et n'a jamais été démontrée) ou, s'il préfère la parodie de psychanalyse à la parodie de thérapie systémique, le fait que les parents d'enfants schizophrènes n'inculquent pas assez la différence des sexes et des générations. L'auteur a pourtant lui-même des difficultés avec la différence des générations, puisqu'il relaye en 2015 comme des vérités des hypothèses plutôt anciennes qui n'ont jamais été confirmées. Il semble en revanche au point sur la différence des sexes, puisque dans une vignette clinique sur une situation de violence conjugale il reproche à la mère de ne pas aller mieux et de se victimiser, voire de mentir, plutôt qu'au père (certes éloigné par une décision de justice) d'être violent. Il évoque aussi le Syndrôme d'Aliénation Parentale en omettant de préciser que le concept n'a aucune légitimité scientifique, a été écarté par les tribunaux qui se sont penchés spécifiquement sur la question, et que son utilisation a parfois (voire souvent) pour but de protéger les auteurs de violences.

 Le manque de rigueur général est tel que l'auteur ne parvient parfois pas à rester cohérent sur l'ensemble d'une vignette clinique (écrivant au départ qu'un homme a épousé jeune une femme psychotique "sous la pression de leur (sic) famille respective" sans savoir qu'elle souffrait d'une pathologie, et se demandant à la fin "pour quelle motivation réelle a-t-il épousé une personne malade en connaissance de cause") et que, au-delà de la paresse dans l'écriture (nombreuses phrases commençant par "n'empêche", usage très fréquent de guillemets), le tout ne semble même pas avoir été relu (d'un côté ça peut se comprendre!) puisque des expressions erronées sont dans le texte imprimé ("permet à l'enfant de […] trouver certains repérages", "laissé pour contre", …). On en est presque à se réjouir que le livre ne soit pas parsemé de fautes d'orthographe!

 Vous aurez compris que je ne recommande pas particulièrement l'ouvrage... en dehors des structures psychiques de la psychanalyse qui sont assez clairement et brièvement expliquées, ou l'utilité de l'objet pour une personne de mauvaise foi qui voudrait faire croire que tous les psychanalystes/systémiciens ont la même tendance aux affirmations fantaisistes, je vois mal son utilité : certains éléments pourraient sembler intéressants, mais comment savoir si on peut les prendre au sérieux? C'est d'autant plus dommage que l'enjeu du sujet traité est important, et à ma connaissance peu documenté directement.

mardi 29 août 2017

La folle histoire des idées folles en psychiatrie, dirigé par Boris Cyrulnik et Patrick Lemoine




 12 auteur·ice·s, dont certains, comme Boris Cyrulnik bien sûr mais aussi Philippe Brenot ou Patrick Clervoy, ont déjà contribué à remplir ce blog, sont réunis pour donner un aperçu des idées folles qui ont traversé cette folle discipline qu'est la psychiatrie, celle-là même qui "a une place particulière au sein de la médecine en embrassant les neurosciences, la psychologie, la sociologie, la philosophie". Les thèmes sont aussi variés que les incontournables électrochocs, la psychopathologie en médecine traditionnelle chinoise, la vision de la sexualité par les psychiatres (on n'allait tout de même pas y échapper!), la psychiatrie au service du fondamentalisme religieux ou du totalitarisme, l'histoire de l'alcool et de l'alcoolisme, ou encore des questions sociales plus modernes comme l'épistémologie en psychiatrie et ce que ses choix recouvrent ou l'absurde utopie de la certitude.

 Les enjeux de la psychiatrie et de ses dérives sont on ne peut mieux présentés dans la conclusion de Patrick Lemoine, qui tout en listant les initiatives malheureuses de la psychiatrie et les souffrances que des générations de patients ont endurées, montre les limites des solutions apportées : par exemple, si la fermeture des hôpitaux psychiatriques en Italie suite à la mobilisation du mouvement anti-psychiatrie a fonctionné quand des structures alternatives ont été mises en place, l'initiative a eu des conséquences néfastes sur l'ensemble du territoire ("On a vu le résultat, des milliers de psychotiques rejetés à la rue. Une nouvelle race de clochards venait d'être inventée!"). Cercle vicieux : la mauvaise image de la psychiatrie est à l'origine d'un manque de moyens alloués, ce qui entrave son fonctionnement optimal et contribue à la rendre effrayante ("en plein cœur de la Silicon Valley, je travaillais dans un service de psychiatrie étonnant de vétusté et d'inconfort : deux dortoirs pour une trentaine de patients"). Une alternative à la psychiatrie est de nier la folie, ce qui n'est pas nécessairement un progrès ("tout cela me rappelle l'époque où en URSS, on ne trouvait aucun suicide dans les publications épidémiologiques, tout simplement parce que les suicides étaient interdits", "Autrefois, à Bonifacio, en Corse du Sud, la société ne connaissait pas la psychiatrie. Lorsqu'un citoyen -homme ou femme, adulte ou enfant- était un peu trop différent, on l'enfermait dans un placard à l'insu de l'entourage, des voisins, des autorités"). Pire, tout progrès apporte, avec ses solutions, de nouveaux problèmes, de nouveaux risques de dérives ("Les traitements médicamenteux apparus dans les années 1950 ont guéri les soignants (plus que leurs patients) de leur peur des fous et de leurs coups, leur ont enfin permis de penser, de réfléchir. En revanche, les mêmes soignants ont aussi perdu leur peur de les prescrire et de les distribuer") : on ne fait pas l'économie de la complexité. L'auteur ouvre d'ailleurs avec humilité le chapitre sur une de ses propres désillusions : émerveillé par la pratique d'un psychiatre exerçant à Dakar, qui "démontrait, vidéos à l'appui, que l'Afrique traditionnelle avait développé une tolérance remarquable vis-à-vis des fous, qu'elle parvenait à intégrer à la vie du village", émerveillement sans doute renforcé, pour ce jeune praticien, par la sensation de briser des règles ("tolérance pour ce qui ne venait pas de nos facultés, un pêché mortel jusqu'alors"), il a été brutalement ramené à la réalité par "un psychiatre africain qui gentiment, patiemment, a commencé à me mettre en boîte, moi le médecin blanc et mon idée romantique d'une société africaine néo-rousseauiste où les bons sauvages accueillent les fous comme des talismans". En effet, l'envers du décor contemplé collait moins avec la carte postale que l'auteur s'était représentée : "dès qu'ils commencent à devenir violents, qu'ils s'intéressent d'un peu trop près aux petites filles ou aux petits garçons, on les emmène faire un tour dans la forêt ou la savane. Un petit tour dont ils ne reviennent jamais... et qui fait le bonheur des hyènes et des vautours". Tout modèle qui semble parfait demande une observation plus attentive.

 L'Europe occidentale a aussi infligé des violences à des centaines de milliers de patient·e·s : sans compter leur meurtre à grande échelle dans l'Allemagne nazie et la France collaboratrice, des traitements approchant de la torture ont été infligés par des professionnels avec des justifications scientifiques plus ou moins solides (Patrick Lemoine en fait l'inventaire dans son chapitre sur "la folle histoire des thérapies de choc"). La souffrance était d'ailleurs un objectif en soi pour beaucoup de psychiatres qui soignaient les soldats traumatisés de la Première Guerre Mondiale (chapitre rédigé par Patrick Clervoy), époque où le "d'abord ne pas nuire" médical s'appliquait surtout à l'effort de guerre. Une grave question se posait, pour nombre de médecins et neurologues renommés, devant cette pathologie nouvelle et soudain massive : est-ce que les patients simulaient? A défaut, est-ce qu'ils simulaient malgré eux (maladie psychosomatique déclenchée par les bénéfices secondaires)? Une bonne façon de s'assurer du contraire était de s'assurer qu'ils n'aient plus envie de rester hospitalisés : si l'électricité (parfois quotidiennement pendant plusieurs semaines!) était au centre de nombreux traitements (faradisation), c'était certes pour éventuellement redéclencher les bonnes connections nerveuses/neuronales, mais aussi dans le but revendiqué de faire souffrir. Certains traitements avaient d'ailleurs pour objectif tout à fait explicite de motiver les patients à aller mieux (injections d'ether ou d'alcool à 90°, manipulations mentales pendant les maltraitances physiques -"exhortations mille fois répétées sous formes diverses, injures très injustes souvent, jurons, manifestations diverses de colère sans colère", énumère le neurologue Clovis Vincent, surnommé Vincent de pôles-, ...). L'auteur fait également part des protestations, rares mais existantes, de certains médecins ("seuls deux centres refuseront de pratiquer la faradisation, celui de Paul Sollier à Lyon et celui de Joseph Grasset à Montpellier") et, peut-être plus surprenant, du manque de popularité, situation de guerre ou non, de ces pratiques hors du monde médical : si la pratique a finalement été entérinée par l'Assemblée nationale à 328 voix contre 142, elle a été critiquée sévèrement dans les débats et comparée aux pratiques de l'Inquisition, et sur le plan judiciaire, le zouave Baptiste Deschamps n'a été condamné par un tribunal militaire, lors de "l'affaire Dreyfus de la médecine militaire", qu'à une peine symbolique de six mois avec sursis pour avoir fichu son poing dans la figure de Clovis Vincent, qui n'était pas très réceptif à ses arguments précédents pour refuser une électrocution supplémentaire.

 La diversité des sujets et de la façon de les traiter rend le livre intéressant, mais il aurait hélas été encore plus intéressant si tou·te·s les auteur·ice :s avait eu l'idée folle d'être rigoureux·ses. Dès le premier chapitre, André Giordan maltraite par endroits le·a lecteur·ice en évoquant les électrochocs entre la lobotomie et l'inoculation du paludisme, en oubliant de dire que cette pratique s'est modernisée et a de réelles indications thérapeutiques (il convient certes, comme pour tout traitement, de s'inquiéter des effets secondaires, mais la présentation caricaturale n'invite pas particulièrement à réfléchir et peser le pour et le contre!) ou encore en déplorant l'arrivée sur le marché des antidépresseurs pour soigner les dépressions alors qu' "antérieurement, elles étaient soignées à l'infusion de millepertuis ou au chocolat" (là encore, s'il convient de sérieusement s'inquiéter de la surprescription d'antidépresseurs -je me suis moi même vu prescrire des antidépresseurs pour un problème 1°) qui était bien moins grave que les conséquences de la prise d'antidépresseurs 2°) qui n'avait rien à voir avec l'humeur, le lien avait été fait avec l'assistance d'une interprétation psychanalytique aussi précipitée -1 séance sans me parler- qu'originale... ah oui, et j'avais 10 ans!-, on peut peut-être quand même se réjouir, quand il le faut, d'avoir autre chose à proposer qu'une infusion de millepertuis!). Comment alors prendre au sérieux les parties plus intéressantes, comme quand il explique que "les maladies répertoriées dans le DSM ne sont pas, comme dans d'autres branches de la médecine, le résultat d'investigations scientifiques" ou qu'il conclut sur les mérites de l'empowerment et de l'Education Thérapeutique du Patient? Boris Cyrulnik, qui a lui-même, enfant, failli être déporté en tant que Juif, évoque le meurtre des malades mentaux sous le régime nazi, montrant comment les graines de l'idéologie meurtrière nazie ont pu être semées et germer dans un Etat pourtant progressiste. Ce genre de questionnement est selon moi indispensable : c'est d'autant plus frustrant de voir des énormités se glisser, par flemme de faire des recherches ou par facilité narrative (pour que le cheminement entre ce que Cyrulnik veut raconter au début et ce qu'il veut raconter à la fin soit plus fluide, fuck les nuances), dans ce texte d'une dizaine de pages. Pourquoi s'embêter à parler de crises économiques où une partie de la population ne pouvait ni se nourrir ni se chauffer convenablement, de la colère populaire facile à attiser, que ce soit contre un ennemi intérieur ou extérieur, en rappelant la défaite allemande en 1918 et le traité de Versailles, quand on peut se contenter de parler de "la gaieté culturelle des Allemands à l'époque où ils n'étaient pas encore nazis"? Les Allemands se sont par ailleurs convertis collectivement au nazisme en s'extasiant devant des défilés, sachez-le ("l'esthétique de cet opéra populaire emportait la conviction"). Encore plus incompréhensible, Boris Cyrulnik tient à souligner que, pour le meurtre et la stérilisation massifs d'handicapés mentaux, "il n'y a jamais eu de loi ni d'ordre écrit pour tuer ces gens". Oui, c'était tellement implicite que ça avait un nom bien précis (Aktion T4, qui concernait aussi les handicapés physiques), et d'ailleurs c'est tellement "un contexte rhétorique qui a encouragé ou laissé faire ces assassinats insidieux" (parce que tuer 250 000 personnes et en stériliser 400 000 ça se fait par hasard, sans faire bien attention, entre deux parties de scrabble) qu'il y a eu une mobilisation civile importante, par ailleurs pas nécessairement menée par les personnalités les plus progressistes, et que l'Etat a fini par être contraint de reculer (on parle de mobilisation civile, rappelons-le, sous la dictature nazie!). On regrette que Cyrulnik n'ait pas, semble-t-il, dépassé la page 10 du livre très sourcé Auriez-vous crié Heil Hitler, citée en note de bas de page. Un autre chapitre prometteur s'avère lui aussi décevant : les autrices s'inquiètent des conséquences de la prise de pouvoir du parti fondamentaliste Ennahdha en Tunisie, et de ses conséquence sur la pratique de la psychiatrie. En effet, face à un·e psychiatre portant le voile où la djellabah, le·a patient·e ne risque-t-iel pas de craindre d'avoir face à lui ou elle un·e agent·e de l'Etat qui va le·a plier aux valeurs du parti plutôt qu'un·e soignant·e qui se préoccupera d'abord de sa santé mentale? Chaque soignant·e vit au sein de la société, et a donc ses propres convictions et préjugés, qu'iel le veuille ou non, qu'iel s'en rende compte ou non : un·e patient·e fumeur·se, bisexuel·le ou asexuel·le, trop paresseux·se, bosseur·se acharné·e, pas intéressé·e par le fait de fonder une famille, s'expose en consultant à voir pathologiser l'un de ses traits de caractère alors qu'iel n'en demandait pas tant, ne parlons pas de ceux et celles qui consultent suite à une injonction judiciaire. Les personnes transgenre ont du mal à trouver des soignant·e·s, médecins ou psy, qui les écouteront comme elles le souhaiteraient. La question se pose donc particulièrement dans une société où se mêlent, a fortiori depuis peu, politique et fondamentalisme religieux. La question se pose, mais elle est complexe : la Tunisie est une démocratie, qu'en est-il des institutions, du respect des contre-pouvoirs? Quelle place accorde le parti à la liberté de croyance? Le dogme religieux lui-même, est-il obscurantiste? Va-t-il interdire l'enseignement de la théorie de l'évolution, ne plus faire confiance aux psychiatres pour définir la maladie mentale et la remplacer par la notion de pêché? Le·a lecteur·ice est vite fixé·e : ce genre de réponses, iel ne les aura pas, ou par bribes (il n'est pas recommandé d'avoir des pulsions suicidaires ou d'être homosexuel·le selon certaines psychiatres proches du parti... mais qu'en est-il des risques réellement encourus dans le secret du cabinet? quelle proportion de psychiatres porte une telle allégeance à ce parti qui vient d'arriver au pouvoir?). Les autrices donnent par exemple le ton en sortant d'on ne sait pas trop où des praticien·ne·s qui, bien que non religieux·ses, ne sont pas sans défauts car iels "ne vénèrent qu'une vérité, celle de la science ; pour eux, le DSM fait office de Coran ou de Bible". Tiens donc, la science n'est, soudainement, plus centrée sur la recherche, elle n'est "qu'une vérité". On dirait presque que les autrices présupposent que la totalité des croyant·e·s confond croyance (subjectif, dépendant de la conviction) et savoir (objectif, soumis aux preuves) : la totalité des universitaires serait donc athée? On apprend aussi en vrac l'existence projetée d'un "6ème Califat que les autorités islamiques appellent de leurs vœux" (oui, toutes les autorités islamiques, parce que l'Islam et les Musulmans c'est un bloc, même si par exemple des djihadistes, pas nécessairement plus recommandables que leurs adversaires, font la guerre à l'organisation de l'Etat Islamique pour les empêcher d'établir ledit califat), ou encore que les religieuses chrétiennes peuvent exercer la psychiatrie mais pas les religieuses musulmanes parce que "ces religieuses chrétiennes ont refusé la soumission à l'homme en renonçant au mariage pour ne se soumettre qu'à Dieu ; se voiler, c'est proclamer sa dépendance à un dogme interprété par un homme, non à Dieu, renvoyant d'emblée l'aliéné à ses propres chaînes" (on ne saura pas ce qu'il en est des femmes qui portent le voile contre l'avis de leur époux, pourquoi l'Islam c'est interprété par un homme alors que le christianisme c'est Dieu directement, mais on apprend par contre que l'Eglise n'est pas du tout une institution patriarcale -par exemple, c'est une institution intraitable sur la parité hommes/femmes dans la répartition des papes et des évêques- puisque les religieuses chrétiennes refusent la soumission à l'homme). La religion est une question riche mais complexe (le chapitre de Robert Altemeyer sur le fondamentalisme religieux dans son livre sur la personnalité autoritaire est par exemple particulièrement intéressant), la démocratie tout autant, les voir traiter dans un chapitre qui semble se complaire dans la caricature tient plus de la conversation de comptoir. De façon ironique, le chapitre de Cyrulnik se conclut en déplorant les dangers de la paresse intellectuelle, et celui de Saïda Douki Dedieu et Hager Karray sur un ton qui n'est pas sans évoquer... un prêche (extrait, et je jure que je n'ai pas inventé les majuscules : "cela suppose de rétablir la Loi et le Désir. Rétablir la Loi au sein de la Cité, malmenée par le déclin de la fonction paternelle, c'est garantir la sécurité et renforcer l'identité"). Bon, et il y a aussi Philippe Brenot qui transforme sous sa plume l'érotomanie, pathologie grave proche de la paranoïa, en hobby (puisque le livre pionnier mais très obsolète de Krafft-Ebing sur la sexualité est acheté par des "adeptes de l'érotomanie"), mais on n'en est plus à ça près.

 Cette folle histoire de la psychiatrie contraste donc par les thèmes traités mais aussi, hélas, par la qualité des contributions. Si certains chapitres sont particulièrement intéressants (à moins qu'ils ne contiennent le même genre d'erreurs, que je n'aurais pas relevées!), dont le dernier chapitre et la conclusion qu'il faut donc mériter en ayant lu tout le reste, c'est assez désespérant et épuisant de se demander régulièrement si on lit un texte sérieux ou pas.

mercredi 25 mai 2016

Evaluer les enfants avec déficiences ou troubles du développement, de Catherine Tourrette



 Outils complexes, éventuellement arides au premier abord, les tests peuvent pourtant vite s'avérer indispensables à la pratique du ou de la psychologue : ils sont précieux entre autres pour dépister un trouble,  préciser un diagnostic, élaborer avec les proches et les soignant·e·s un projet adapté, mesurer une progression, identifier des points forts pour compenser certaines lacunes, ou même bien sûr faire de la recherche. L'enfance est par définition le moment où d'éventuelles difficultés de développement vont apparaître, et un moment critique pour proposer une prise en charge pertinente s'il y a lieu, les tests sont donc particulièrement utiles aux psychologues qui ont affaire à ce public là.

 Le livre rappelle l'utilité, le fonctionnement des tests, la spécificité de ce type d'outil, comment ils sont élaborés (un test doit être sensible -permettre de différencier les personnes qui le passent entre elles-, indiquer précisément ce qu'il mesure, doit sauf exception pour être valide avoir été étalonné, c'est à dire passé par un grand nombre de personnes, ce qui permet de situer statistiquement les résultats, …), et surtout comment ils doivent être utilisés (le·a psychologue doit être attentif·ve -dans le sens de vigilant·e mais aussi dans le sens de bienveillant·e- à la personne qui passe le test et à son entourage, l'attitude lors de la passation pouvant donner des informations aussi précieuses que les résultats bruts et faisant partie intégrante des éléments à prendre en compte dans le bilan, les consignes de passation doivent être appliquées avec souplesse selon le contexte et le déroulement du test, …). De nombreux tests sont listés et décrits en détails, avec bien sûr les consignes de passation des différentes épreuves mais aussi des précisions sur leur solidité scientifique, ce qu'ils mesurent, ce qu'ils ne mesurent pas, les compléments qui peuvent être pertinents, … Le·a lecteur·ice sera ainsi renseigné·e sur les outils pour évaluer entre autres le développement intellectuel, psychomoteur, affectif mais aussi les troubles autistiques, les troubles des apprentissages, l'adaptation sociale, …


 Si, par l'abondance des tests présentés, le livre a des aspects de dictionnaire, il n'en a pourtant pas les inconvénients : une troisième partie décrit plus en détails les troubles eux-mêmes et donne des indications pour une évaluation de qualité dans des situations complexes (troubles associés à une déficience visuelle ou auditive, polyhandicap, troubles du langage ou autisme qui peuvent induire en erreur sur certains éléments d'une évaluation si la personne qui évalue n'y est pas vigilante, …) et, surtout, fournit de précieuses vignettes cliniques. En effet, c'est une chose (souhaitable et louable) d'insister dans l'introduction sur le fait que l'attitude de l'évaluateur·ice est d'une grande importance, que le test doit pouvoir être adapté à la personne qui le passe, c'en est une autre de voir des exemples précis où les résultats d'une partie du test sont mis de côté parce que les parents ont un peu trop aidé l'enfant sans que ça ne nuise à l'évaluation dans son ensemble, où une épreuve est zappée parce que l'enfant est vite angoissé par l'échec et qu'elle le mettrait en difficulté, où l'enjeu explicite (savoir si on oriente un enfant en école spécialisée où si on peut le faire redoubler en CP normal) est aussi un enjeu de tension entre les parents et l'enseignante (les parents remettant en question avec virulence les compétences de l'enseignante), le tout dans une situation clinique difficile (les parents sont sur le point de divorcer, l'enfant est accusé successivement d'être réorienté en CLIS parce qu'il ne travaille pas assez bien puis lorsque le CP paraît plus pertinent de rester à l'école parce que la CLIS ne veut pas de lui, …) : le message humaniste devient pragmatique. L'humanisme est d'ailleurs présent jusqu'au dernier paragraphe du livre, qui remercie les enfants de faire progresser les chercheur·se·s ("Nous devons aux enfants dont le développement est contraint par des déficiences ou des anomalies d'avoir interrogé les scientifiques sur les limites de la quantification de leur efficience, d'avoir questionné la psychologie du développement et de l'avoir poussée à évoluer"), façon détournée de rappeler que les tests doivent s'adapter continuellement aux enfants, et non l'inverse (la standardisation des évaluations pourrait pousser indirectement à vouloir faire rentrer les enfants dans des cases). La conclusion s'attarde d'ailleurs sur l'évolution que prend l'évaluation, par exemple la prise en compte croissante de la qualité de vie, ou encore les intérêts et les limites de la passation informatisée.

 Le livre est dans l'ensemble clair mais nécessairement technique. La quantité de tests listés en fait un outils précieux pour l'étudiant·e ou pour le·a practitien·ne, mais il peut également être d'une grande utilité aux proches de patient·e·s, pour en savoir plus sur les troubles mais surtout pour mieux comprendre les différentes évaluations effectuées ou savoir ce qu'ils peuvent attendre d'un bilan.

samedi 25 octobre 2014

Psychopathologie du sujet âgé, de Gilbert Ferrey et Gérard Le Gouès




 Si une partie considérable du livre est consacrée, comme l’indique son titre, à la psychopathologie, de nombreux autres aspects du vieillissement sont traités. Dans les différentes solutions face à la dépendance, par exemple, les auteurs évoquent l’option du maintien à domicile avec aide tout en déplorant le manque de formation des auxiliaires de vie.
 Le livre a aussi le mérite de consacrer une part importante aux problèmes somatiques, qui, personne ne le niera, augmentent avec l’âge et qui, on s’en doute, ont un impact sur le psychisme. Dans la partie consacrée au traitement médicamenteux, il est d’ailleurs recommandé de ne jamais prendre à la légère les plaintes qui concernent des douleurs, même quand les douleurs résistent aux traitements antalgiques comme aux placebo, et même quand les proches relativisent la plainte (la piste d’une dépression, par exemple, peut être à explorer).
  Les spécificités de la structure psychique de la personne âgée, du point de vue psychanalytique, sont aussi largement commentées : l’investissement de la vie, le transfert, ne se font pas selon les mêmes critères quand la fin de vie approche, et c’est à prendre en compte dans une éventuelle cure analytique (qui sera aussi différente selon que le·a patient·e a  déjà été analysé·e ou non). Le concept de psycholyse est proposé pour "tenter de rendre compte du déclin du psychisme, selon des critères uniquement psycho-pathologiques", et proposer des modalités d’échange thérapeutique avec le sujet dément qui s’appuieront principalement sur l’analyse du contre-transfert.
Je l’ai déjà évoqué indirectement : en plus de la partie strictement psychopathologique, les approches thérapeutiques sont évoquées, avec un chapitre par méthodologie, et incluent les TCC, ce qui est plutôt une bonne nouvelle (et comme les auteurs, qui ont oublié d’être dogmatiques, ne sont pas pour autant experts, le chapitre sur les TCC est rédigé par B. Rivière, qui a des connaissances en TCC mais, semble-t-il, pas de prénom). Les autres approches sont l’approche analytique (comment ça je l’ai déjà dit?), la psycho-sociothérapie institutionnelle (si si...), et, de loin le plus long, les thérapeutiques biologiques (ils auraient pu juste dire "les médicaments" mais c’est quand même moins classe). Ce dernier chapitre est intéressant à lire même quand on n’est pas médecin, d’une part parce qu’il parle aussi de l’alliance thérapeutique et de l’enjeu des prescriptions (les traitements temporaires à privilégier qui peuvent vite devenir permanents si le·a prescripteur·ice n’est pas vigilant·e, le risque d’envoyer un message qui manque de clarté dans le cas pas si exceptionnel où le médecin critique une molécule tout en continuant de la prescrire pour répondre à une demande supposée du ou de la patient·e, …), et d’autre part parce que des éléments de psychopathologie supplémentaires sont donnés. En ce qui concerne le chapitre sur la psycho-sociothérapie institutionnelle, vous n’apprendrez pas grand-chose, contrairement à ce qu’on pourrait croire, sur la thérapie systémique (même si, comme moi, vous n’y connaissez absolument rien), mais plusieurs problématiques pertinentes sont soulevées sur les maisons de retraite (installations "qui rassurent les visiteurs mais ne sont pas investies de fait par les personnes âgées, grands parcs, pièces d’eau, salons immenses et majestueux, chambres seules avec télévision mais isolées et ennuyeuses au fond de longs couloirs", équilibre nécessaire entre confort et sécurité –des sorties pas assez sécurisées peuvent être un prétexte pour refuser des sujets trop désorientés pour cause de risque de fugue, tout en invoquant la préservation des libertés individuelles, mais il n’est bien entendu pas question non plus que la résidence évoque l’univers carcéral-, réalité du "choc visuel, parfois auditif et souvent olfactif" des visiteur·se·s qui peut rendre particulièrement réticent au placement qui ne doit pas faire oublier que les conséquences de la vieillesse sont une réalité et qu’un établissement qui consacrerait une grande énergie à les dissimuler au détriment d’autres services serait plutôt suspect, la grande disponibilité demandée au personnel qui s’expose de fait à avoir des comportements de paternalisme ou de lassitude face à des demandes parfois répétitives et pas toujours compréhensibles, …) : ce chapitre court et clair gagnerait à être lu par les familles à la recherche d’un établissement.
Le livre est extrêmement proche du livre de Pierre Charazac sur la clinique des personnes âgées, mais là où une structure moins rigide est justifiée, dans le livre de Charazac, par un message régulièrement rappelé (quel que soit le symptôme ou la plainte initiaux, la personne est à considérer dans son ensemble –entourage, troubles passés, contexte de l’éventuel placement, … - pour augmenter les chances d’agir de façon pertinente), certaines particularités sont moins évidentes à comprendre dans ce livre là : pourquoi le diagnostic différentiel entre les différents types de dépression est-il traité dans le chapitre sur les thérapeutiques biologiques plutôt que dans le chapitre général sur la dépression? Pourquoi l’appareil psychique de la personne âgée (au sens psychanalytique) et les thérapies analytiques sont-elles dans des chapitres séparés? La tentation d’éventuellement utiliser le livre, à la structure apparemment claire, comme un dictionnaire (enfin, pour les rares personnes qui ne se sentent pas d’apprendre les 400 pages par cœur) pour faire face à certaines situations rencontrées risque de faire passer, du fait de ces particularités, à côté d’informations importantes. Plus anecdotique : le livre est destiné, c’est écrit derrière, aux psychologues clinicien·ne·s, aux psychiatres et aux médecins généralistes, donc si le vocabulaire est parfois spécialisé, le livre ne contient pas de lexique. Ce sera au lecteur de se souvenir que LCR n’a rien à voir avec Olivier Besancenot (enfin, pas plus qu’avec quelqu’un d’autre, je ne voudrais pas non plus l’insulter gratuitement) mais veut dire liquide céphalo-rachidien, ou encore,  comme moi, de découvrir avec émotion sur le dictionnaire d’anatomie que je consulte régulièrement wikipédia qu’en fait xérostomie ça veut juste dire sécheresse de la bouche (celui-là il faudra absolument que je le case dans une conversation!).
Un livre donc qui est enrichissant à lire et bien pratique à avoir sous la main, mais qui pourrait être encore plus pratique.

mardi 22 juillet 2014

Protocoles et échelles d'évaluation en psychiatrie et psychologie, de Martine Bouvard et Jean Cottraux



 
 Régulièrement réédité (là c'est la 5ème édition), le livre présente de nombreux tests utilisés régulièrement par les psychiatres et psychologues clinicien·ne·s. Ah, et c'est aussi le 50ème livre présenté sur ce blog, youhou \o/ (je sais, en fait on s'en fout un peu)

 Une longue intro de Jean Cottraux décrit la méthodologie de la recherche scientifique, histoire que la deuxième partie ne ressemble pas pour le·a lecteur·ice à du Chinois rédigé en alphabet hébraïque. Si, bien sûr, le vocabulaire et les spécificités importantes des tests sont présentés, cette intro concerne la recherche en général (y compris l'éthique, ou encore des problèmes particuliers comme ceux qui se présentent quand des médicaments sont inclus -comment prendre en compte l'observance ou non du traitement par les sujets, comment gérer les placebo ou les traitements en cours avant l'expérience, ...-) et est donc intéressante en soi (même si un contresens sacrilège horrible y est fait sur l'expérience de Milgram : certes, les traits de caractère propres à la personnalité autoritaire -soumission, conformisme, agressivité- constituent un cocktail des plus redoutables pour une personne mise dans la situation de l'expérience, mais celle-ci est marquante justement parce qu'elle a montré que tout le monde -sauf moi, bien sûr- pouvait être amené à commettre des horreurs sur commande, et PAS seulement ceux ou celles qui auraient une personnalité particulière, scrogneugneu!). Le chapitre de Cottraux a aussi le mérite non négligeable d'être plutôt clair, alors que le sujet évoqué est technique et pas nécessairement simple.

 Comme promis dans le titre, de nombreux tests sont ensuite présentés (par Martine Bouvard), classés par domaine clinique concerné (agoraphobie et attaques de panique, anxiété et anxiété généralisée, phobie sociale et compétence sociale, trouble obsessionnel compulsif, stress post-traumatique, troubles de l'humeur, troubles psychotiques, troubles sexuels et problèmes de couple, médecine comportementale, troubles des conduites alimentaires, addiction, personnes âgées). Sont donnés pour chacun leur intérêt et leurs limites, et quand c'est possible et pertinent plus d'informations sont fournies, en particulier le résultat de leurs études de validation (comparaison entre les résultats d'une population contrôle et ceux de la population ciblée, fidélité test-retest, fidélité inter-juges -ça n'a rien à voir avec la vie sexuelle des magistrat·e·s-, corrélation avec les résultats d'autres tests, …), le plus souvent pour la version française du test et sa version anglophone. Les tests eux-mêmes sont souvent fournis, ce qui a un intérêt énorme en soi (parce que bon, l'ensemble ne se lit pas non plus comme un roman), même si pour certains d'entre eux il faut demander une autorisation supplémentaire pour s'en servir.

 C'est aussi l'occasion, indirectement, de faire de la psychopathologie. Déjà, parce qu'avoir une longue liste d'items auxquels une réponse particulière indique une pathologie (ou un degré plus ou moins important de celle-ci) en apprend plus sur la pathologie : un exemple particulièrement parlant est l'Inventaire des Troubles Alimentaires 2, qui évalue les patient·e·s sur des thèmes très spécifiques aux troubles du comportement alimentaire (recherche de la minceur, boulimie, insatisfaction de son propre corps, ascétisme) mais aussi d'autres plus généraux (perfectionnisme, peur de la maturité, méfiance interpersonnelle, sentiment d'inefficacité, …), pour lesquels les études de validation ont confirmé une différence avec un groupe contrôle. Ensuite, les corrélations entre différents tests constituent un bon rappel des erreurs de diagnostic dont il faut se méfier.

 Le livre ne prend pas beaucoup de place et est bien pratique à avoir sous la main, surtout dans l'optique d'une pratique professionnelle ou pour préparer un mémoire.