Ayant entendu parler du
livre dans Cerveau et Psycho, je m'attendais plutôt à un
ouvrage (certes copieux, 850 pages c'est beaucoup) sur les différents
mécanismes qui orientent l'individu vers un comportement de bourreau, de complice actif·ve ou passif·ve, ou
de résistance/désobéissance active ou passive (comme celui-ci, ou celui-là ). Si l'auteur a bien une
formation en psychologie, et si le sous-titre ("Soumissions et
résistances au nazisme, l'Allemagne vue d'en bas (1918-1946)")
suggère que l'angle de réflexion sera bien la différence de
comportements dans des contextes particuliers (multiples, comme l'indique ne
serait-ce que l'amplitude de la période concernée),
c'est pourtant plutôt d'un livre d'histoire qu'il s'agit (même s'il
n'est pas écrit par un historien, contrairement par exemple, sur un
thème semblable, à Croire et détruire
de Christian Ingrao, qui a eu entre autres le mérite de me faire
vite constater que je n'étais pas historien). Je le résume quand
même ici parce que d'une part vu qu'il est super long ça fait
longtemps que je n'ai pas posté de résumé sur ce blog, et d'autre
part, comme le montre la structure plutôt particulière du classique The Lucifer Effect,
qui encadre la partie sur l'état de la science sur le sujet (ce qui
incite à un comportement de héros ou de bourreau) par deux autres
qui décrivent un phénomène précis de façon très détaillée (respectivement l'expérience de Stanford sur les gardes et les
prisonniers et l'utilisation massive de la torture par l'armée américaine en Irak et en Afghanistan), pour comprendre un phénomène, il
importe d'avoir une connaissance précise des faits, le savoir sur
les mécanismes n'étant qu'une grille de lecture. La partie purement
historique a aussi le mérite de permettre de revenir sur un certain
nombre d'idées reçues : la république de Weimar, qui a
précédé le régime nazi, était plutôt progressiste (droit de
vote aux femmes, indemnités aux chômeur·se·s, séparation des pouvoirs,
…), il est exagéré de dire qu'Hitler est arrivé au pouvoir par
les urnes (il a culminé à environ un tiers des voix, favorisé par la violente
crise économique, et était plutôt en train de descendre quand il a
été placé au pouvoir dans le cadre d'une cohabitation dans un
contexte de crise politique, ce qui l'a mis suffisamment en position
de force pour s'emparer des pleins pouvoirs par la négociation, la
trahison et la violence), si ses projets de génocide, d'invasion et
de totalitarisme étaient explicites dans Mein Kampf,
le livre était peu lu et la surenchère était la norme dans les
discours politiques (sans compter que le parti nazi variait beaucoup
ses discours selon les interlocuteur·ice·s), peu d'observateur·ice·s
s'attendaient donc à ce que fût le régime nazi même dans celles et ceux qui
voulaient voir Hitler au pouvoir (beaucoup estimant en plus que ce serait
provisoire), les frontières étaient ouvertes jusqu'au début de la
guerre (en même temps pour organiser les JO c'est plus pratique)
(mais fuir le régime n'était pas pour autant si simple... il a vite
été imposé aux Juif·ve·s qui émigraient de laisser toutes leurs
possessions en Allemagne, tous les pays n'étaient pas
particulièrement enthousiastes en ce qui concerne l'accueil de
réfugié·e·s -en France, pendant la "drôle de guerre", les réfugié·e·s
allemand·e·s étaient arrêté·e·s en tant qu'allié·e·s potentiel·le·s des nazis,
avant d'être livré·e·s à l'Allemagne en tant qu'ennemi·e·s des nazis au
moment de l'Occupation-, sans compter que de plus en plus d'Etats ont
été alliés des nazis ou envahis), la population allemande était
très réticente à la guerre, les plus séduit·e·s par le discours
suprémaciste sur le peuple allemand étant largement satisfait·e·s par
l'annexion de l'Autriche et de la République Tchèque, certains
humoristes étaient autorisés à critiquer assez directement le
régime tant qu'ils ne s'en prenaient pas à Hitler qui avait une
aussi haute idée de sa personne que ce que suggérait la propagande,
les Jeunesses Hitlériennes, en plus d'être plutôt recommandées
pour ne pas se faire repérer négativement par le régime, étaient
très appréciées par les participant·e·s, mais les sessions
d'endoctrinement étaient plutôt ressenties comme une partie ennuyeuse, …
L'histoire n'étant pas
particulièrement le sujet du blog (ce qui tombe plutôt bien vu que
je ne suis pas du tout historien), je vais plutôt essayer de voir
ici en quoi la psychologie (surtout la psychologie sociale) peut
éclairer les événements racontés.
La psychologie
sociale identifie quatre conditions pour agir en direction d'un
changement, que je vais illustrer avec l'exemple vraiment pas
original (oui, bon, ça va, hein!) de la cigarette. 1°) identifier
le fait qu'il y a un problème (continuer de fumer risque de
provoquer un cancer du poumon), 2°) être ennuyé par le problème
(je ne veux pas avoir de cancer du poumon), 3°) identifier une
solution (si j'arrête de fumer, je ne vais pas avoir de cancer du
poumon), 4°) estimer que la solution est réalisable (je suis
capable d'arrêter de fumer). A l'exception de la seconde condition,
l'extrême violence du régime nazi, semant la terreur dès l'arrivée
au pouvoir d'Hitler (arrestations massives et passages à tabac voire
meurtres de membres du parti communiste et autres opposants
politiques), organisant rapidement un référendum à la gloire du
régime nazi où les auteur·ice·s des votes négatifs étaient clairement
identifiables et fichables, interdisant de communiquer et a
fortiori de s'unir (être à
plusieurs était une circonstance très aggravante pour les actes
d'insoumission) contre le régime, recommandant fortement d'appartenir
à une organisation du parti et de montrer ostensiblement sa dévotion
(une loi de 1933 invite les amputé·e·s du bras droit à utiliser le
bras gauche pour le salut nazi), n'encourageait pas tout à fait à résister, et ce d'autant plus que, si les résultat d'un
acte de résistance étaient incertains, les risques, pour les
auteur·ice·s et leurs proches, étaient clairs. Il est malgré tout arrivé
que le régime plie, qu'une revendication aboutisse dans un contexte
où le rapport de force était provisoirement en défaveur du
pouvoir : des ouvrier·ère·s (essentiel·le·s dans le contexte d'effort de
guerre) ont obtenu des concessions sur les sacrifices qui leur étaient
demandés en terme de quantité de travail et de salaire suite à un
ralentissement du travail (ce qui ne doit pas faire oublier que de
nombreux ouvrier·ère·s, dans des tentatives similaires, ont subi la
répression nazie sans rien obtenir), l'évêque August Von Galen,
identifiant un contexte favorable (besoin du soutien populaire
pendant l'offensive contre la Russie), s'oppose publiquement à
l'Aktion T4 (meurtre des handicapé·e·s physiques et mentaux·ales, les
"incurables" selon la terminologie nazie, principalement en chambre
à gaz) et obtient un recul, des Juifs ont été sauvés de la
déportation par leurs épouses non-juives suite à une manifestation
de trois jours, qui avait l'avantage d'avoir lieu en ville donc en
public (ce qui n'a pas empêché la police de charger les manifestantes en Jeep), …
Associé au danger
constant et bien palpable, la confusion est également un obstacle à
l'action, et constitue un aspect important du régime nazi
(n'oublions pas que son idéologie du surhomme grand et blond était
portée par un hypocondriaque brun et chétif, qui déclamait avec un
fort accent autrichien des discours enflammés sur la supériorité
du peuple allemand). Hitler, élément central du régime selon son
slogan "Ein Volk, ein Reich, ein Führer" ("on peut
comprendre le fonctionnement du système soviétique sans connaître
la biographie de Staline, tandis que Hitler a inventé le
national-socialisme, l'a incarné, et est mort avec lui",
rappelle l'auteur avant d'entamer une biographie vraiment pas
flatteuse), méprise ouvertement la culture, laissait déjà aux
autres les aspects pratiques quand il n'était à la tête que de son
parti, et n'aime pas se compliquer la vie avec tout ce qui tient sur
du papier (au point de n'avoir jamais officiellement abrogé la
république de Weimar!), ce qui lui permet de n'accorder aucune
importance à ses engagements, de pouvoir nier ensuite avoir donné
tel ou tel ordre (vous avez je pense déjà fait le lien avec le
génocide juif) ou encore d'exiger sans se préoccuper de la
hiérarchie, du pouvoir officiel de son interlocuteur·ice, à charge pour
elle ou lui de se débrouiller pour obtenir un résultat (la Shoah par balles
a débuté alors que la consigne était donnée d'expulser les Juif·ve·s
du territoire polonais, sans préciser où les envoyer...
l'interprétation de l'ordre comme une autorisation du génocide
était cohérente avec la façon de faire nazie). Ce flou constant,
où l'interprétation individuelle remplace une hiérarchie stricte,
n'est pas cantonné au haut commandement nazi : l'allégeance
remplace la compétence dans les nominations de fonctionnaires, les
différentes institutions ne coordonnent pas nécessairement leur
fonctionnement, … Les risques courus par ceux et celles qui sont surpris·es à
résister au régime sont eux-mêmes aléatoires ("s'il était en
effet possible d'accomplir certains actes de résistance sans risque
excessif, toute désobéissance, même minime, si elle était
découverte, pouvait mener à la torture, au camp de concentration ou
sur l'échafaud"). S'ajoute à cela des années de propagande
constante (l'auteur rappelle que sous une dictature, ou en situation
de guerre, tout est propagande, ce qui donne une idée de la
situation des Allemands au moment de la guerre -la confusion était
telle que la population, plutôt solidaire avec les Juif·ve·s victimes de
persécutions du moins pour celles et ceux qui en étaient témoins, croyait
sincèrement que les bombardements alliés étaient des représailles
commanditées par lesdit·e·s Juif·ve·s-, sans compter qu'à l'approche de la
défaite allemande, les bombardements délibérés de civil·e·s et les
massacres et viols de l'armée russe -représailles aux comportements
similaires de l'armée nazie sur le front Est- n'aidaient pas à
accueillir les Alliés en libérateurs -une Juive qui suivait avec
enthousiasme sur la radio étrangère l'avancement de l'armée rouge
a été violée par des soldats à leur arrivée, alors que son
époux, touché d'une balle dans la hanche, agonisait à côté
d'elle-). Les discours ou tracts subversifs pouvaient être l'œuvre d'agents du régime pour tester la ferveur des sujets qui risquaient
alors d'être enlevés s'iels ne dénonçaient pas. La
doublepensée est un élément central du régime de Big Brother,
dans l'incontournable ouvrage 1984,
de George Orwell : l'aboutissement de la propagande est de faire
accepter deux idées contradictoires comme des vérités (les trois
institutions les plus importantes y sont le Ministère de la Paix, le
Ministère de l'Amour -où les opposant·e·s sont incarcéré·e·s et
torturé·e·s- et... le Ministère de la Vérité, où travaille le
personnage principal). Si les chercheur·se·s en psychologie sociale qui
parlent de 1984 ont
plutôt tendance à en faire l'éloge, la doublepensée n'a jamais
été, à ma connaissance, étudiée scientifiquement en tant que
telle. Un concept fondateur s'en rapproche toutefois : la
dissonance cognitive, identifiée par Léon Festinger. Des étudiant·e·s
sont invité·e·s à effectuer une tâche ennuyeuse, certain·e·s sont payés
1 Dollar, d'autres 20 Dollars. Les moins bien payé·e·s expliqueront
ensuite que la tâche n'était pas si ennuyeuse, qu'elle avait en
fait des intérêts (bien) dissimulés, ce qui ne sera pas le cas des
autres : dans une situation incohérente, l'individu retient, au
moment de la rationalisation, l'explication qui l'arrange le plus, ce
qui peut amener comme dans cet exemple à expliquer la cause par sa
conséquence. L'explication, une fois faite, est en revanche bien
intégrée : dans une autre expérience, il était demandé à
des étudiant·e·s de rédiger un texte en faveur d'une descente de
police dans l'Université (événement plutôt impopulaire...). Ceux
qui avaient été payé une somme symbolique avaient après la
rédaction un avis plus favorable sur la descente de police que les
autres. Avant les expériences de Festinger, Robert Antelme, déporté,
avait identifié un phénomène similaire chez les gardes :
l'état des prisonniers démontrait selon eux qu'ils étaient des
sous-hommes, donc que les camps de concentration étaient justifiés!
Stanley Milgram, dans sa célèbre expérience sur la soumission à l'autorité, a constaté que lors du débrief après l'expérience,
les sujets étaient prompts à estimer que c'était le faux
scientifique qui donnait les ordres, voire le faux élève qui ne
répétait pas comme il fallait, qui était le·a vrai·e
responsable. On imagine facilement les justifications qu'ont pu
trouver les Allemand·e·s sous le nazisme, pour lesquel·le·s le risque en cas
de désobéissance était explicite et réel, pour se convaincre
qu'iels agissaient pour le mieux ou du moins le moins pire, en
particulier quand les tenants et aboutissants des éventuelles
initiatives étaient difficilement identifiables. La foule d'une
centaine de personne qui assistait en tremblant au saccage d'un
commerce juif par quatre excités avec une barre de fer craignait
plus les représailles du régime que les vandales en question.
Malgré ces conditions, de nombreux Allemand·e·s ont été condamnés en
tant qu'opposant·e·s par le régime, y compris dans les forces armées
(les soldats n'ayant que deux alternatives extrêmes : la
désertion ou résistance directe ou la soumission totale).
En constatant
l'épaisseur du livre, je m'étais dit que vu le titre, l'auteur
aurait pu gagner du temps en écrivant juste "oui" ou
"non" selon le·a lecteur·ice. La réponse aurait en fait
probablement été "oui", quel que soit le·a lecteur·ice :
résistant·e acharné·e ou adorateur·ice de Hitler ne bronchant pas quand il
se compare au Christ, ne pas montrer publiquement son enthousiasme
revenait à courir un risque bien peu rentable (une alternative était
de remplacer l'acclamation par "Drei Liter").
Cependant, chaque compromis revient à mettre le pieds dans un
engrenage ("le premier renoncement enclenche un processus
difficilement réversible. Chaque pas dans la soumission est une
petite avancée qui ne justifie pas la révolte à elle seule mais
rend plus difficile le retour en arrière"). Ce type de mécanisme
est décrit en détail (dans des contextes moins extrêmes!) par
Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois dans leur Petit
traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens ou
dans La soumission librement consentie (ou
sinon ici... allez-y, vraiment, c'est 55 minutes mais ça les
vaut!). Le "pied dans la porte", par exemple,
est le fait que demander quelque chose de peut contraignant aide à
ensuite avoir une réponse positive à une demande plus
contraignante. Plus problématique, sur le modèle de la dissonance
cognitive, l'action peut avoir un effet... sur l'opinion, qui
renforcera ensuite la tendance à agir dans le même sens.
L'essentialisme
(déduire que la personnalité d'un individu est déterminé par
nature par son appartenance à telle ou telle communauté -couleur de
la peau, sexe, religion, orientation sexuelle, ...), difficile de
passer à côté, est une composante essentielle de l'idéologie
nazie. L'univers nazi est composé de peuples destinés à être
dominants ou à être dominés, ce qui débouche sur une doctrine
eugéniste où le meurtre n'est rien d'autre qu'une forme d'écologie (et où il est justifié d'arracher des enfants à leurs familles pour les élever dans des centres spécialisés parce qu'ils sont blonds aux yeux bleus).
Le gazage des "incurables" (handicapé·e·s physiques et mentaux·ales), la
déportation des tziganes, des homosexuels, le génocide juif (selon
la propagande nazie, les Juif·ve·s commettaient l'exploit d'être à la
fois le bras armé de la finance, s'enrichissant indûment au
détriment des vrai·e·s travailleur·se·s, et des marxistes), les pillages,
viols ("en dépit de l'interdiction des relations sexuelles avec les
Slaves, sous peine de "délit racial", et contrairement aux
affirmations ultérieures des anciens combattants, le viol était si
répandu que, si l'on avait voulu le réprimer, la moitié de l'armée
[aurait du] passer en jugement"), massacres, réductions en
esclavage de la population des territoires occupés à l'Est pour
exploiter les ressources, peuvent ainsi passer pour l'ordre
souhaitable des choses, Himmler se permettant même de s'estimer
plutôt bienveillant ("Nous autres Allemands, qui sommes les seuls
au monde à nous montrer corrects avec les animaux, nous le serons
également à l'égard de ces bêtes humaines, mais ce serait un
crime à l'égard de notre sang de leur apporter des idéaux").
Si, sous le régime nazi, l'essentialisme était probablement plus
exacerbé qu'il ne l'a jamais été, cette vision du monde n'était
pas le fait de cette seule dictature, et l'a même indirectement
servie... A une époque où la démocratie n'était pas la norme
partout en Europe, où même dans la démocratie la plus exemplaire
la police pouvait être envoyée pour réprimer à balles réelles les mouvements
populaires, Hitler, une fois au pouvoir, n'était pas si mal vu
diplomatiquement qu'on n'aurait pu le croire... beaucoup estimaient
que la dictature convenait bien au tempérament du peuple allemand,
jugé peu friand de démocratie. Ce même essentialisme du peuple
allemand a fait que la résistance allemande a eu bien du mal à être
reconnue après la guerre ("Gerhard Leo fut fait chevalier de la
Légion d'Honneur en 2004. Il n'avait attendu que 60 ans. Maurice
Papon avait reçu la même distinction en 1948"), y compris en
Allemagne ("La réhabilitation par l'Allemagne des résistants aux
nazismes fut à peu près achevée en 2004"), et si de nombreux
procès de "dénazification" organisés par les alliés ont eu lieu dans des conditions pas forcément optimales
(d'ancien·ne·s nazi·e·s qui avaient beaucoup à se reprocher achetaient des
témoignages pour pouvoir dire au tribunal qu'iels avaient caché des
Juif·ve·s, au péril de leur vie bien sûr, les citoyen·ne·s ordinaires
coopéraient peu, jugeant hypocrite l'attitude des libérateurs, …),
d'anciens membres zélés du parti hitlérien ont pu par la suite
retrouver des postes de pouvoir. S'il devait y avoir une
particularité du peuple allemand qui le rendait réceptif au
discours nazi, il serait plutôt à rechercher dans le traumatisme de
la première guerre mondiale : entre l'endettement colossal à
supporter en temps de crise économique, l'humiliation du traité de
Versailles, les territoires perdus, le "coup de couteau dans le dos" des ennemis intérieurs qui
avaient osé signer l'armistice (bien pratique en période électorale pour calomnier l'adversaire), les ennemis à désigner étaient
nombreux, le désir de revanche facile à éveiller (l'auteur, après
avoir rappelé que dictature et crimes contre l'humanité n'ont pas
été le seul fait de l'Allemagne nazie ni du peuple Allemand,
concède que la culture allemande, imprégnée de "l'esprit d'ordre
et d'économie", a pu favoriser la montée du nazisme... j'ai du mal
à le suivre là-dessus : comme je l'ai expliqué plus haut
-parce que l'auteur me l'a expliqué avant, d'ailleurs-, l'ordre
n'était pas tout à fait une caractéristique du régime nazi -c'est
un euphémisme-, et à supposer que le fanatisme de l'ordre ait
imprégné le peuple allemand, l'ensemble de la classe politique, et pas seulement le NSDAP, aurait été porteur de promesses d'organisation impeccable).
La violence et
l'incohérence, l'essentialisme, le "tout ou rien" (à l'approche de la défaite,
Hitler s'emportait contre ce peuple qui ne le méritait pas) ne sont
toutefois pas sans évoquer la personnalité autoritaire... même
le bref passage sur le cynisme et l'opportunisme des proches d'Hitler
font écho au livre (gratuit) (en ligne) (je dis ça je dis rien) de
Robert Altemeyer. Mais, comme le précisait le même Robert
Altemeyer, "les gens sont plus compliqués que les psychologues
aimeraient qu'ils ne le soient". Des soutiens importants du régime
nazi ou du moins d'une partie de son idéologie (August Von Galen,
évoqué plus haut, n'était pas tout à fait un progressiste) se
sont ouvertement rebellés quand ils estimaient qu'une frontière
avait été franchie, y compris des responsables militaires ("dans
la guerre, la mort des hommes peut sembler naturelle, jamais celle
des femmes et des enfants"). La personnalité autoritaire pouvait
également motiver la résistance contre le régime nazi, comme le
rappellent les récits presque difficiles à croire des témoins de
Jéhovah refusant de tenir un fusil après avoir été recrutés de
force dans l'armée, ou encore dont la ferveur dans les camps de
concentration allait jusqu'à effrayer les gardes (un témoignage
rapportent par exemple une scène où les gardes avaient eu bien du
mal à éloigner des témoins de Jéhovah d'un peloton d'exécution
car ils résistaient et hurlaient de toutes leurs forces pour... être
fusillés eux aussi et finir en martyrs, notion de martyr qui
faisait même que la torture semblait parfois les renforcer).
Comme je l'ai déjà
précisé, le livre est un peu (limite beaucoup) long, et quelqu'un
qui vient de le lire risque de trouver mon résumé plus simpliste
que synthétique. On ne peut pourtant pas accuser l'auteur d'être bavard :
l'écriture est claire, va plutôt à l'essentiel (on peut même
estimer qu'il manque des pages : l'auteur n'explique pas
pourquoi les dénonciations pleuvaient tellement au début de la
prise de pouvoir nazi que la police était débordée -certes,
dénonciation ne veut pas dire ferveur nazie, c'est aussi un moyen
bien pratique de se débarrasser de quelqu'un, mais quand même ça
ferait beaucoup de gens qui ont des ennemis-, ni pourquoi
universitaires et médecins étaient plutôt favorables au régime
nazi alors qu'en théorie tout les oppose), mais la période couverte
est longue et les détails sont importants. Un point fort du livre
est que les chapitres sont clairement délimités : on peut
sans problèmes les lire séparément (par exemple la biographie
d'Hitler jusqu'à sa prise de pouvoir, l'histoire de la place de
telle ou telle institution dans la résistance, la perception du
régime par la population trois ans après, …). N'étant pas
historien moi-même, je ne peux pas trop me prononcer sur sa
fiabilité, ni savoir si l'auteur prend une position particulière
sur un éventuel sujet litigieux, mais le fait que les sources,
diverses, soient données voire commentées, et le refus du
manichéisme (sauf en ce qui concerne les dirigeants nazis, mais bon,
là, en même temps, ...), mettent plutôt en confiance. C'est en
tout cas un bon moyen d'en savoir plus sur une période de l'Histoire
très commentée, ou de voir dans un contexte extrême que l'éthique
interdit heureusement de reproduire en laboratoire comment des gens
peuvent être poussés à risquer le pire et prendre les armes, que
ce soit contre ou au service du totalitarisme.
Là où tu as raison, Grégoire, c'est que ce livre est remarquable. Il remet les choses en perspective, et moi qui pensais connaître l'histoire allemande, je me suis retrouvé dans la peau d'un ignorant bêta, tant les détails de l'Histoire sont d'autant plus importants, qu'on se rend compte que l'Histoire elle-même a été confisquée par non seulement par les vainqueurs, mais aussi par les vaincus, chacun ayant énormément à se reprocher dans l'ignominie hitlérienne. Le point positif restant d'ailleurs le fait que l'humanité, l'Europe, la conception des droits de l'homme a finalement beaucoup avancé principalement en fonction du fait qu'en ayant poussé l'abomination à un tel point, on en est être attentif à tout ce qui peur rapprocher de l'horreur. De ce point ce vue, même si le fameux point Godwin est un obstacle à la pensée, elle est aussi un nouveau point réflexe à la réflexion, nous rappelant sans cesse, que l'humanité a commis l'irréparable et que l'ensemble des institutions internationales a eu sa part de complicité. Ce n'est là qu'un point de départ de réflexion sur l'ouvrage qui mérite bien plus.
RépondreSupprimerMerci de m'avoir incité, voire quasi obligé à le lire. Il aura, quoi qu'il advienne, marqué mon existence.
Si la seconde guerre mondiale a en effet abouti à la création d'institutions ayant vocation à protéger la paix, et à la création juridique de la notion de crime contre l'humanité, elle a aussi précédé la guerre froide et sa propagande basée sur le manichéisme, qui est probablement la meilleure justification pour commettre le pire (parce que, par définition, on le fait pour se protéger de l'autre, qui est pire que nous).
RépondreSupprimerEn revanche, sur le point Godwin, je ne te suis pas du tout : le point Godwin est une paresse argumentative pour reprocher à l'interlocuteur, en substance, de ne pas être d'accord avec nous, on est loin d'un rappel que l'humanité a commis l'irréparable... sans oublier que l'humanité a commis l'irréparable avant, et l'a commis après (Russie stalinienne, Cambodge, Rwanda, Syrie actuellement, pour ne donner que quelques exemples). Le point Godwin a donc plutôt un impact simplificateur et essentialiste, à l'inverse selon moi de la démarche du livre.