L'autrice, aujourd'hui
psychologue, raconte par ellipses ses longues années de grave
dépression (plus de 10 ans), pendant lesquelles sa vie a plusieurs
fois été en danger (tentatives de suicide, perte de poids
jusqu'à 35 kilos, …).
Le livre commence avec la prise de conscience de la
maladie et les premiers rendez-vous médicaux, puis raconte
l'hospitalisation, puis une nouvelle hospitalisation dans un service
avec des soins plus lourds (surveillance plus stricte, électrochocs
réguliers en plus des médicaments, …), jusqu'à la rencontre, au
travers son livre (Guérir l'anorexie et la boulimie par la
méthode Montreux) puis en personne, de Peggy Claude-Pierre,
rencontre qui constituera un premier pas vers la guérison, qui se
consolidera lentement, très progressivement ("toutes ces peaux
mortes en deçà desquelles il me faut aller pour retrouver la vie
vivante"), pendant plusieurs années.
L'autrice parvient à rendre évocatrices les
descriptions de l'état de dépression, pourtant difficile à décrire
parce qu'il s'agit précisément d'une absence, d'un vide ("Parfois,
elle se contente de manger la couleur. Elle laisse la forme, le
squelette. Les apparences sont sauves. On ne voit rien. Je n'ai
rien", "Aucun corps auquel s'accrocher. Réalité sans
consistance", "Comment ça se fait que j'aimais ça, avant ?
Je croyais que c'était à cause des blagues, et de tout le monde
réuni, et de la forte odeur de chocolat. Mais ça, ça n'a pas
changé. Ce doit être moi qui n'y suis plus", "Le jaune du soleil
ne va plus avec la chaleur du soleil", …). La douleur, qu'on
suppose pourtant ne pouvoir qu'être présente et intense, est au
contraire surtout décrite de façon implicite : la peur de
vieillir sans avoir vécu est évoquée au détour d'une angoisse
("fossilisée avant l'âge, avant que les années ne viennent
m'arracher les dents dans un éclat de rire moqueur"), il n'est pas
question si souvent de l'affaiblissement intense causé par la
sous-nutrition et les médicaments, une automutilation qui ressemble
à une tentative de suicide (bien que le souhait de mourir ne soit
pas explicité) est décrite comme une tentative de retrouver des
sensations ("Mon corps brûle, je vais exploser. Du sang. Il me faut
du sang. Pour être sûre que je vis toujours", "Fascinée, je
contemple les gouttes qui s'échappent le long de ma paume. Ce mince
filet rouge, en s'échappant de moi, emporte avec lui toute la crasse
qui m'asphyxiait quelques secondes auparavant. Un soulagement
soudain, inespéré, me fait éclater de rire. L'entaille silencieuse
dans ma chair apaise un peu l'angoisse et la rage contre moi-même,
étouffante, abandonne sa pression de fer. Je respire"), …
La thérapie qui permet à l'autrice de s'en sortir
progressivement est marquée par l'implication, le respect, la
patience du personnel thérapeutique : Peggy accepte un appel au
milieu de la nuit ("Je m'excuse brièvement de l'éveiller ;
elle a la voix endormie et une vague de culpabilité me traverse.
Elle me dit de ne pas m'en faire, qu'elle a l'habitude d'être
réveillée au beau milieu de la nuit, que j'ai bien fait
d'appeler"), sa thérapeute (Mona) ne se formalise pas quand
l'autrice dit qu'elle ne veut plus qu'on lui demande si ça va, quand
elle reste une heure sans parler ou qu'elle refuse d'enlever ses
gants (qui dissimulent des traces d'automutilation) et surtout
d'expliquer pourquoi. Le contraste avec l'hospitalisation précédente,
surtout décrite par la mère (que l'autrice fait parler à la
première personne), est frappant : certains aspects donnent la
sensation que l'institution avait pour but de contrôler, parfois de
façon infantilisante, faute de pouvoir soigner (traitement
médicamenteux très lourd - "je prends tellement de choses
différentes qu'on ne peut pas y voir clair. Même si une molécule
m'aidait vraiment, ce serait enfoui sous la brume et la lourdeur des
vingt autres pilules de la journée"- alors que les entretiens avec
la psychologue, trois fois par semaine, sont limités à un quart
d'heure, contacts téléphoniques avec l'extérieur limités à un
par jour – au point que l'autrice se fait arracher le téléphone
des mains en plein appel quand elle avait oublié -effet secondaire
des électrochocs- qu'elle avait appelé plus tôt dans la journée,
on conseille à la mère de prendre de la distance - "je devais
me distraire et me changer les idées, aller au théâtre par exemple,
faire du sport, me détendre, et surtout les laisser faire leur
travail, au lieu d'interférer sans cesse"- quand elle
s'inquiète un peu trop avec des remarques précises, ...). Peggy
Claude-Pierre sait toutefois aussi être directive sur certains
points, ne se contentant pas d'observation et de
disponibilité ("Peggy a été claire : sous les 45 kilos,
je dois arrêter", "On détermine des lignes de conduite un
peu plus structurées. Je fais de l'anglais une demi-heure par jour.
J'écris à Peggy une heure par jour, maximum, pour désencombrer les
pensées tapageuses […] Tant pis si les pensées continuent de
sourdre à mes oreilles, supplient d'être transcrites").
Malgré la brièveté du livre, la précision de
l'autrice pour décrire ses souffrances, le fait que les chapitres
soient datés chronologiquement, donnent une idée de la longueur du
supplice, du désespoir qui a dû souvent s'emparer de Caroline
Valentiny et de sa famille, qui est restée très présente, comme
l'équipe de Peggy Claude-Pierre. Si sombre que soit l'essentiel du
contenu, c'est donc surtout un message d'espoir, une invitation à,
quand il n'y a pas d'autre solution, rester capable d' "entendre
l'herbe pousser", pour reprendre l'expression d'Arnhild Lauveng. C'est aussi une description des souffrances de la
dépression bien plus parlante que "TOCS, automutilations, anorexie,
boulimie, attaques de panique, impressions angoissantes d'irréalité,
pensées galopantes, perception morcelée du monde et de soi".
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