mardi 12 avril 2022

Guérir à deux voix, de Irvin Yalom et Ginny Elkin

 

 Ce livre est le récit à deux voix, presque en direct (un texte est rédigé après chaque séance), de la thérapie d'Irvin Yalom avec l'une de ses patientes, ici sous pseudonyme. Après une première rencontre (Yalom lui a été recommandé par sa thérapeute précédente, qu'elle quitte à la suite d'un déménagement), il est touché par cette jeune femme (trop) souriante, extrêmement timide, qui tend à s'effacer et à minimiser toutes ses réussites, et qui est perturbée par des rêves parfois effrayants à connotation sexuelle. Il recommande d'abord une thérapie de groupe qu'il co-anime, appréhendant que l'image trop positive qu'elle a de lui ne se mette en travers d'éventuels progrès dans le cadre d'une thérapie individuelle (pour arrêter de s'effacer, ce n'est pas l'idéal). De l'avis général, aucun progrès n'est fait. Elle essaye ensuite des méthodes plus insolites à Esalen (approche bioénergétique, groupes de rencontre marathon -environ 40 heures de suite- ou nu, ...), sans plus de succès. Yalom accepte finalement de la recevoir, avec une limite de temps (environ un an et demie), en lui demandant de remplacer les paiements par la rédaction d'un texte après chaque séance, façon détournée de la contraindre à l'action (ses inhibitions l'empêchaient d'écrire donc de réaliser son projet de devenir autrice) mais aussi avec l'idée derrière la tête, plus ou moins assumée et consolidée, de publier ce regard croisé un jour.

 Peut-être plus que le déroulement de la thérapie, qui n'est pas pour autant sans intérêt (l'alternance entre progrès et stagnation voire régression, la frustration parfois -souvent?- des deux côtés, les pistes plus ou moins exploitées, les aspects somatiques mais aussi l'impact du quotidien sur les séances, ...), l'originalité de la démarche est qu'elle permet de vivre en direct (les textes n'ont pas été enjolivés a posteriori), loin de la démonstration de maîtrise que constituent souvent les vignettes cliniques, les multiples émotions du thérapeute telles que le doute, l'agacement, la remise en question, qui alternent avec l'attachement, la satisfaction, l'espoir... On voit même chacun·e être jaloux·se du texte de l'autre (Yalom, qui a des ambitions de son côté, envie la qualité d'écriture, Ginny admire la précision de la restitution), ou encore la patiente observer mieux que le thérapeute un aspect de la dynamique thérapeutique (l'alternance, une fois sur deux, d'une séance frustrante avec une séance enthousiasmante). Il est aussi énormément question de transferts et de contre-transferts, Yalom se préoccupant beaucoup d'une admiration disproportionnée voire de sentiments amoureux de la part de Ginny, tout en observant que sa propre envie d'écriture le pousse peut-être un peu trop à faire du forcing pour l'encourager à écrire, dans un désir de réussite par procuration, ou en constatant une pointe de jalousie quand il rencontre son conjoint (qui les rejoint le temps de quelques séances pour mieux avancer sur les problèmes concernant le couple) et voit qu'il a plus de qualités qu'il ne le supposait.

 La méthode thérapeutique de Yalom, qui se structure bien autour d'objectifs précis, est complexe, et s'il définit la thérapie comme artistique il se sent obligé de détailler sa méthodologie en fin d'ouvrage par peur de donner l'impression qu'il fait de l'impro pendant un an et demie. Interprétation des résistances et des transferts (mais pas du matériel qui appelle trop ostensiblement à l'interprétation comme les rêves, parce que ça risquerait de détourner un peu trop efficacement des sujets plus immédiats), alternance entre sécurisation de la relation et provocation pour pousser à l'action, conseils ou apports d'expertise plus spécifiques (comme quand il indique à Ginny que mieux assumer les conflits avec son conjoint va les rapprocher plutôt que les éloigner), les outils mobilisés sont en effet nombreux mais, infiniment plus que l'intérêt technique, c'est l'humanité et l'humilité du thérapeute, la part relationnelle qui sert mais aussi fragilise, qui transparaît de façon unique. Le récit casse l'image du·de la thérapeute imperturbable et qui sait tout, et surtout montre que ce n'est pas particulièrement souhaitable... une approche qui frappe a posteriori par sa rareté.

2 commentaires:

  1. Bonjour, merci our cette recommandation. Un livre très interessant car il montre bien les différences de perception d'une séance entre le client et le thérapeute. On voit bien comment chacun a un vécu différent de la séance. Passionnant.
    Clément

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    1. Et ça montre que ça ne va pas de soi de savoir qui est le·a plus secoué·e pendant le déroulement de la thérapie! (et aussi qu'expertise ne veut pas dire certitude, ni distance)
      Un propos qui n'est pas tenu souvent, en tout cas pas si explicitement.

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