Dans les recherches sur l'efficacité des thérapeutes, certains résultats, rapportés dans ce livre là ou dans d'autres, sont extrêmement inconfortables. Par exemple, les thérapeutes aident dans le meilleur des cas sept client·e·s (ou patient·e·s) sur dix, ont tendance à surestimer leurs résultats et, ce qui m'a de loin le plus secoué, ne progressent généralement pas avec le temps. Barry Duncan propose des solutions pour y remédier dans la mesure du possible et, comme l'annonce la référence ostensible au livre le plus emblématique de Carl Rogers dans le titre, il ne faut pas s'attendre à un cheminement confortable.
La proposition à la fois la plus centrale et celle qui est aussi un appeau à controverse arrive de suite : l'auteur appelle à mesurer l'efficacité de ce qui se déroule entre client·e et thérapeute. Tout le temps. Ou en tout cas, à chaque séance. De nombreux·ses thérapeutes ont une grande réticence envers les outils de mesure, pour des raisons auxquelles je peux adhérer (sélectionner des outils de mesure c'est sélectionner des objectifs ce qui ne rend pas nécessairement compte de la complexité du processus thérapeutique, ça peut amener à se retrouver consciemment ou non dans la situation absurde où l'objectif devient le score au détriment de tout le reste, ...) tant qu'elles ne prennent pas des proportions impossibles ("on fait de l'humain!!! on est au dessus de tout ça!!!" Oui, et le hasard fait que c'est bien pratique...). Là, on est littéralement invité·e·s à dégainer un double-décimètre à chaque séance!
Les deux outils proposés mesurent respectivement le bien-être du ou de la client·e, et l'alliance thérapeutique. Leur premier objet est bien sûr de s'assurer que la thérapie prend la bonne direction. Un bien-être qui stagne ou diminue, une alliance thérapeutique qui vacille, c'est le signe qu'il faut changer quelque chose! Mais ça constitue aussi un matériel thérapeutique en soi. L'auteur propose de nombreuses vignettes cliniques pour l'illustrer (qui lui permettent au passage de préciser que ce moment d'évaluation est en général parfaitement accepté par les client·e·s), montrant comme dans ses autres livres à quel point les client·e·s doivent être placé·e·s de façon exigeante au centre du processus. Dans l'un des exemples, une adolescente vient de se taillader l'avant-bras, il y a un risque d'hospitalisation. Pourtant, le questionnaire indique un niveau de bien-être élevé!
Après un entretien avec l'adolescente et un entretien avec sa mère où il reste vigilant, il s'avère que, contrairement à ce que la situation semble indiquer, la cliente est plutôt épanouie de façon générale et a eu un geste impulsif suite à une rupture, la mère veut être rassurée sur le risque que ça se reproduise. Pas de besoin, donc, d'hospitalisation ou de thérapie lourde, un entretien et un peu de psychoéducation ont permis de régler l'incident. Un autre client vient sur injonction judiciaire après un accident de voiture où il était alcoolisé. Lui aussi a un niveau de bien-être très élevé selon son questionnaire. Comme le relève l'auteur dans l'entretien avec lui, si on en croit l'outil de mesure, il est à la limite de l'extase! Un entretien plus en longueur en restant ouvert à la fois à l'idée qu'il nage effectivement dans un bonheur constant et que sa consommation est parfaitement contrôlée, mais aussi la co-construction d'objectifs thérapeutiques, permettent de comprendre qu'il ne veut surtout pas donner raison à son conseiller d'insertion qui le considère comme un alcoolique. La question "comment lui donner tort?" permet d'aboutir à un objectif de baisser la consommation, un objectif qui aurait a priori été très moyennement reçu si il avait été proposé d'emblée et de façon unilatérale.
L'outil de mesure de l'alliance thérapeutique s'avère aussi extrêmement précieux aux yeux de l'auteur. Certes, il est parfois difficile de faire dire à la personne accompagnée ce qui coince (soit parce que c'est inconfortable à dire, soit parce qu'elle ne le sait pas vraiment), mais ça permet d'exprimer que les réserves sur le déroulement de la thérapie ont vocation à être entendues, et aussi de savoir que quelque chose coince tout court. Dans certains cas, la parole se libère plus facilement, comme pour cette première séance de thérapie de couple où l'auteur, observateur par ailleurs vigilant, était convaincu que ça s'était extrêmement bien passé, avant que la thérapeute ne se fasse incendier par l'époux (quand elle l'a interrogé sur le résultat du test) parce que ses efforts avaient été invisibilisés. Ce point aveugle aurait pu considérablement compliquer la suite de la thérapie.
Les deux outils sont très nettement au centre du livre, mais n'en constituent pas l'exclusivité. L'auteur par exemple appelle à s'interroger régulièrement sur son identité de thérapeute (est-ce qu'on repose d'abord sur son outil, est-ce que le fait de proposer un programme est particulièrement confortable, est-ce qu'on invite le·a client·e a rechercher ses propres ressources, ...) ou, nombreux exemples à l'appui, à ne jamais négliger l'expertise du ou de la client·e (en même temps, c'est au centre de l'ensemble de son œuvre). L'humilité est un outil thérapeutique, et on a un joli manuel pour apprendre à l'utiliser (ne serait-ce que par la mesure constante, préconisée, de ce qui se déroule dans la thérapie, et les invitations à voir avec le·a client·e ce qui coince pour chercher des solutions ensemble).
Le livre est extrêmement riche au niveau pratique, et le parti pris fait qu'il fera nécessairement réfléchir (c'est une chose de faire l'éloge de l'humilité, c'en est une autre de donner un mode d'emploi pour la pousser le plus loin possible tout en défendant non pas son intérêt éthique mais son efficacité). Mais, même en partageant, en tout cas j'espère (mais je suis assez confiant!), ses principes, j'y trouve quelques limites. Est-ce que c'est pour ces raisons que je ne vais pas (encore?) utiliser ses outils de mesure en séance, ou est-ce que c'est par peur de l'inconfort parce que ce serait une nouveauté radicale, je n'ai pas la prétention de le savoir... mais si j'attache une grande importance à l'horizontalité (j'ai une expertise de l'écoute, pas de savoir comment la personne accompagnée doit mener sa vie... si j'ai des conseils à faire je les propose, je ne les assène pas depuis je ne sais quelle posture), si j'ai une défiance certaine devant les outils théoriques mobilisables un peu trop facilement pour rejeter la faute d'une thérapie qui stagne sur le·a client·e ("c'est de la résistance", "iel en est à une phase de son développement personnel où iel se déresponsabilise", ...), l'auteur pousse le concept plus loin que je ne le ferais.
Définir les objectifs ensemble, sans mettre son expertise de côté mais en la proposant comme un éclairage supplémentaire? J'aime beaucoup l'idée, d'autant que l'auteur donne un exemple où ça fonctionne de façon très inattendue (la cliente lui demande d'appliquer un modèle thérapeutique qui le fait un peu grincer des dents sur certains principes), mais il arrive que l'objectif change en cours de thérapie, et surtout que l'objectif de départ ne soit pas, pour plusieurs raisons, le véritable objectif. Dans un autre exemple, l'auteur décide de faire confiance au client même si il est pour le moins réservé intérieurement sur sa version des faits ("oui, vérifier s'il y a du sperme sur les sous-vêtements de votre épouse qui nie vous tromper malgré vos convictions, et les envoyer pour un test ADN pour vérifier que ce n'est pas le votre -alors que vous avez indiqué que vous n'aviez plus de rapports sexuels avec elle depuis longtemps- est tout à fait compréhensible et n'a rien de disproportionné dans votre situation, non, vous ne perdez pas la raison contrairement à ce qu'affirment tout·e·s les professionnel·le·s de santé mentale que vous avez rencontré·e·s"). Cette confiance s'avère être un pilier pour la suite de la thérapie, car ce client n'en pouvait plus de ne pas être cru. Sauf que l'auteur donne l'exemple, pour son argument, d'un client dont la version était effectivement vraie. Et faire confiance, c'est aussi gérer la suite quand la version de la personne accompagnée est fausse, ce que ne permet pas d'apprécier cette vignette clinique.
Sur la mesure de l'efficacité de la thérapie à chaque séance, là encore j'ai des réserves. Oui, surestimer sa propre efficacité, ça va vite! Ouvrir le dialogue sur ce qui fait que ça stagne voire que ça se dégrade, c'est important. Sauf que, et sauf erreur de ma part ce n'est pas abordé dans le livre, la thérapie n'est pas un processus linéaire. Je parle pour l'Approche Centrée sur la Personne parce que j'ai pu le lire et l'observer, mais je doute que ce soit faux pour d'autres approches, souvent il faut aller moins bien pour aller mieux (dans les cas où la thérapie permet de passer d'un équilibre à un autre... certes on se débarrasse de ce qui ne va pas, mais aussi d'un certain nombre de choses qui permettaient de s'adapter à la situation) et surtout, le rythme est imprévisible. Il arrive que le changement arrive très vite, mais il arrive aussi de tourner en rond (en apparence!) un moment avant qu'un déclic important ne survienne! Dans ces cas là, le moment de stagnation apparente a eu son utilité, il a servi à préparer la suite. Je rêve (vraiment!) d'un outil qui me permettrait de faire la distinction entre une période de stagnation qui va s'avérer productive et une thérapie qui rame, mais une mesure à chaque séance du niveau de bien-être ne permet pas de la faire.
Ces réserves ne sont que des questionnements très spécifiques sur certains éléments du livre, qui pour moi à la fois pour le message qu'il porte et par le contenu théorique fait partie des essentiels pour toute personne (anglophone, parce qu'il n'y a pas de version française si je ne me trompe pas) qui pratique.
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