vendredi 4 avril 2025

Consolations, de Christophe André

 


 La vie, tôt ou tard, implique de traverser des moments sombres, voire des bouleversements. Il peut y en avoir plus, ou moins, de plus ou moins tragiques, on peut dans une certaine mesure s'en prémunir, dans l'idéal y échapper, mais chacun·e un jour ou l'autre se retrouvera a priori confronté·e à une réalité brutale, la maladie, l'accident, la violence, une précarité inattendue, une trahison, ... Réparer n'est pas toujours possible, reste alors à consoler.

  Christophe André s'est bien entendu trouvé une infinité de fois dans cette position de consoler, avec ses proches, avec ses patients, mais c'est après avoir été lui-même confronté à la maladie qu'il écrit ce livre. Cet inventaire, proposé avec douceur, de ce en quoi peut consister la consolation, ne fait pas l'impasse sur la complexité, ou plutôt sur l'exigence, du geste.

 La consolation a une forte dimension relationnelle. Elle consiste à utiliser les bons termes, pour la bonne personne, au bon moment. Certes, l'intention peut toucher, parfois en différé quand sur le coup une parole maladroite a réactivé la souffrance à vif, mais savoir où en est la personne, ce que lui dit sa douleur et éventuellement son désespoir, donne plus de chances d'aider vraiment. Et puis, quand on va trop vite, est-ce que ce n'est pas soi-même qu'on cherche à consoler, en minimisant la souffrance, en mettant une barrière pour ne pas s'identifier, plutôt que l'autre?

 Accepter la consolation peut d'ailleurs être difficile en soi, parce que c'est admettre une vulnérabilité, voire une réalité, qu'on a pour l'instant envie de nier, parce qu'on a trop appris à serrer les dents et ne pas s'apitoyer sur son sort, parce que la relation peut faire peur, encore plus quand on en a besoin. Christophe André met aussi en garde contre certaines convictions qui peuvent faire du bien quand elles viennent de la personne heurtée, mais qui peuvent être extrêmement malvenues quand elles viennent de l'extérieur, comme "ce qui ne tue pas rend plus fort" (il précise d'ailleurs que la phrase exacte de Nietzsche est "ce qui ne me tue pas me rend plus fort) qui peut être violent à entendre (ma vie est en train de s'écrouler et il faudrait que je dise merci?) et culpabilisant (est-ce que c'est parce que je n'ai pas le bon état d'esprit que je ne vais pas mieux?) ou encore l'idée que l'épreuve est un message de l'Univers.

 Donner, redonner du sens, offrir sa présence et son soutien, sont autant d'actes qui peuvent être réparateurs quand ils sont faits de façon ajustée, mais l'auteur évoque aussi des consolations plus immédiates. La vie est faite de négatif et de positif, mais là où le négatif s'impose, le positif, il faut en général s'en emparer plus activement. Christophe André cite plusieurs personnes qui, dans des situations extrêmes, se sont réjouies d'un bruit, d'une odeur agréable, d'un chemin familier, d'un contact avec la nature. Autant de choses que l'épreuve n'aura pas retirées, autant d'opportunité de contacter encore le bonheur, le plaisir, de bouffées d'oxygènes dans ces moments où notre monde semble irrespirable.

 C'est une lecture dans laquelle j'ai eu du mal à entrer. De mon point de vue de thérapeute en Approche Centrée sur la Personne, je voyais la consolation presque comme une diversion, un palliatif : c'est une acceptation, mais c'est aussi un renoncement. Je voyais la consolation comme un "oui, mais..." ("oui tu as perdu l'un de tes enfants, mais tu as des ami·e·s sur lesquel·le·s tu peux compter", "oui tu es maintenant malade chronique, mais tu peux encore t'épanouir dans telle ou telle activité si tu gères bien tes ressources") contradictoire avec un objectif de congruence (donc plutôt un "oui, et"), comme une façon de mettre un cache sur une souffrance qu'il y aurait lieu d'écouter et d'explorer pleinement (au bon moment!) pour aller vraiment mieux. Et... le début du livre ne m'a pas rassuré. En lisant dans les premières pages que les chagrins de l'enfance sont "intenses, absolus et vite consolés" (c'est bien connu qu'aucun enfant n'a jamais traversé quelque chose de grave et que tous les parents ont sans exception la réaction idéale) ou encore que dire à une personne condamnée qu'elle va s'en sortir "ce n'est pas mal faire : c'est mettre de l'amour dans une situation de désolation" et ce sans apporter aucune nuance (Elisabeth Kubler-Ross relève au contraire que quand la fin est une certitude, la personne concernée et ses proches évitent généralement le sujet pour ne pas se blesser mutuellement, et que c'est plutôt un soulagement quand c'est enfin évoqué), ma peur de la superficialité a plutôt explosé! 

 Et pourtant, ce début improbable que je ne m'explique pas passé, la consolation est bien délimitée, dans sa complexité, dans ses intérêts et ses limites. Comme pour l'ensemble des livres de Christophe André, le texte a aussi le mérite d'être accessible.