L'autrice partage un récit autobiographique, de la petite enfance au moment de la parution de la BD, mais surtout de la petite enfance à la fin de la procédure judiciaire contre son beau-père incesteur, innocenté pour cause de prescription (il n'a avoué que des faits prescrits, les autres n'ont pu être prouvés).
Le récit est souvent présenté sous le prisme de la relation de l'autrice avec sa mère, les moments où elle a été présente, protectrice, importante, et les moments où elle a été vulnérable voire fuyante. Son tout premier souvenir, à 4 ans, est celui où elle a subi une dispute violence entre sa mère et son père : elle a passé un après-midi avec lui et "sa copine" (le soir même il est retourné dans son couple), en ayant l'impression d'être de trop ("tu ne veux pas t'amuser, faire des manèges?") et surtout en se demandant si sa mère avait sauté par la fenêtre comme elle avait menacé de le faire. Ni l'un ni l'autre ne semblent s'inquiéter de ce qu'elle a vécu, entendu, encaissé, ce jour là. Avec son père, elle a souvent la sensation d'être invisible ("j'avais l'impression d'être son jouet, qu'il ne m'exhibait que quand j'étais jolie", "Je ne comprenais pas ce que je faisais là... j'avais l'impression d'être la figurante d'une mauvaise série", "je ne sais toujours pas qui il est").
La séparation sera l'opportunité de se rapprocher de sa mère... jusqu'à la rencontre avec son beau-père, puis son emménagement. Malaisant avec l'autrice déjà lors de leur toute première rencontre alors que sa mère était en couple avec quelqu'un d'autre ("il a l'air spécial ce mec... laisse couler"), il le sera de plus en plus, d'un autoritarisme déplacé ("Ce n'est pas tant qu'il avait tort : je n'aimais pas spécialement mettre la table, je ne me précipitais jamais pour lui dire bonjour et je regardais la télé de trop près... mais dans sa façon de communiquer, je sentais son besoin de domination, d'emprise sur moi, et je ne comprenais pas pourquoi") à des échanges à caractère sexuel (visionnage imposé d'un "film qui montre des filles vierges", exhibition d'un sex-toy de sa mère sur le chemin en voiture jusqu'à l'école en lui proposant de jouer avec, ...), jusqu'au viol pour "fêter" la naissance de son frère, après l'avoir poussée à boire et à fumer.
Pour éviter le harcèlement, l'autrice cherche de plus en plus à être invisible. De peur qu'il ne la rejoigne dans sa chambre comme il lui arrive de le faire, elle est en hypervigilance et ne dort presque pas. Mais, peut-être plus encore que ce climat d'oppression et de violence engendré par l'agresseur (l'autrice ne peut se sentir bien qu'à l'extérieur de chez elle, et cherche tous les prétextes pour y passer le moins de temps possible), il sera question des défaillances des adultes, en particulier de sa mère. Elle ne perçoit pas, le jour même, ce qu'il s'est passé. Un jour où le flagrant délit était possible ("il était là, il avait mis un film pornographique, et il parlait à sa fille de l'autre côté du lit"), elle invite simplement sa fille qui la réveille en pleine nuit pour dire "viens m'aider... il nous embête" à aller dormir ailleurs ("cet épisode m'a conforté dans le sentiment que personne ne m'aiderait"). Quand elle la confronte pour son hostilité à son beau-père et qu'à la question "il t'a violée?" l'autrice répond "non, mais presque", elle refuse explicitement d'envisager une séparation et l'envoie chez un psychiatre ("C'était il y a un an... je ne peux plus rien faire maintenant"). Quand elle finit par se confier après plusieurs semaines de séances surréalistes (d'une durée de moins de 10 minutes, il lui demande si ça va elle répond "oui", puis "génial" de façon plus sarcastique quand la frustration augmente) il lui demande si elle ne l'aurait pas souhaité inconsciemment. Elle n'y retourne pas et dit à sa mère que ça l'a aidée quand elle lui pose la question.
Quand le sujet revient quelques années plus tard suite à un sarcasme qui fait exploser l'autrice, sa nouvelle réaction à "ce vieux truc, là, dont tu m'avais parlé après la naissance de ton frère" est de faire la promesse qu'elle la soutiendra en cas de plainte et de l'emmener chez une gynécologue qui l'a auscultée froidement sans poser de questions et ne s'est pas prononcée (l'agresseur avait été vigilant à ne pas laisser de trace visible). Seules... d'autres adolescentes seront à la hauteur pour le recueil de sa parole (tout en respectant leur promesse de ne pas en parler).
C'est seulement une fois adulte, grâce à une thérapeute qui enfin donnera de l'importance à ce traumatisme, que l'autrice trouvera la force de porter plainte... et se confrontera à la rupture de la promesse de soutien de sa mère, qui minimisera le passé tout en s'alarmant des conséquences de la plainte, puis coupera le contact.
Le livre parle bien sûr de l'agression, de l'environnement incestueux lui-même, mais aussi de l'importance de l'entourage, du poids des personnes qui ne répondent pas présent (y compris des professionnel·le·s!) et des personnes qui répondent présent, et de comment on peut se construire, se concentrer sur son chemin, malgré l'environnement invivable, malgré la souffrance, sans bien sûr minimiser celle-ci.
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