Le livre date un peu,
puisque le père de la Gestalt-thérapie l'a publié en 1947... et
écrit dans la préface de 1969 qu'il est en grande partie obsolète.
En d'autres termes, aborder la Gestalt-thérapie en commençant par
lire les ouvrages les plus anciens de son créateur est à peu près
aussi malin que d'aborder la psychanalyse en commençant par lire
Etudes sur l'hystérie. Mais, comme il n'y a pas de raisons
que je sois le seul à perdre mon temps, je vais quand même en faire
un résumé O:)
La théorie développée est extrêmement (et
explicitement : Freud, Adler, Jung et d'autres sont
régulièrement cités) proche de la psychanalyse, au point qu'on
peut penser que si l'auteur n'avait pas créé la Gestalt-thérapie,
on aurait probablement pu parler de psychanalyse perlsienne. Perls
attache une importance particulière à la dimension économique de
la psychanalyse (qui n'a rien à voir avec les séances courtes...
tsss, mauvaises langues!) : les souffrances proviennent d'un
déséquilibre entre différentes injonctions internes, réduire une
pulsion au silence amène à ce qu'elle se manifeste autrement. Il
estime ainsi, par exemple, que la guerre est en grande partie le
résultat du refus d'accepter la part animale de notre psychisme,
mais insiste principalement sur le mécanisme de la projection, et
selon lui la partie sémiotique de la psychanalyse (analyse des
symboles) est le plus souvent inutile. Les exemples de situations
cliniques qui vont suivre illustrent sa démarche. La thérapie d'un
patient impuissant, centrée sur la recherche d'une peur de la
castration, est infructueuse jusqu'à ce que le thérapeute ne
réalise (et n'explique au patient) qu'avant d'être impuissant
sexuellement, il se sent surtout impuissant tout court, le problème
n'a donc au départ rien à voir avec la sexualité mais est le
résultat de la projection par le patient de son problème sur une
partie de son corps. Un autre patient évite soigneusement de passer
à proximité de tuiles (ce qui on lui accorde ne doit vraiment pas être
pratique) car il a peur qu'une tuile ne lui tombe sur la tête. Le
thérapeute lui expliquant que quand même objectivement il ne risque
pas grand chose, le patient finit par brandir triomphalement un
article de journal qui évoque une personne tuée par une tuile
malicieuse (si ça avait été une thérapie
cognitivo-comportementale, la partie cognitive aurait probablement pris du temps). Sa crainte venait en fait de sa propre envie de balancer
des tuiles sur les gens, qui était en effet plus palpable que le
risque qui le terrifiait. Sa colère, difficile à accepter
socialement, avait été attribuée à d'autres donc transformée en
peur.
La projection est un phénomène particulièrement
subjectif, ce qui explique probablement que Perls parle beaucoup dans
les premiers chapitres de l'importance du point de vue. Un signe rond
sera un chiffre s'il est intégré dans un nombre, une lettre s'il
est intégré dans un mot. Un champ de maïs est un point de repère
pour un·e pilote, une ressource pour un·e agriculteur·ice, un endroit pour
s'isoler (le terme est de Perls) pour un couple, un élément à
dessiner pour un·e peintre, … Préciser que quelqu'un est un acteur
peut vouloir dire qu'il n'est pas réalisateur, qu'il n'est pas le
personnage qu'il joue, qu'il n'est pas une actrice, qu'il n'est pas
au chômage, … Modifier son point de vue peut également permettre
de se déresponsabiliser : l'auteur reprend la plaisanterie de
Freud "l'obscurité m'a pris ma montre". Sans aller
jusqu'à cet exemple, il arrive d'entendre "le temps est
passé trop vite", "la colère m'a envahi" :
dans ces situations, dire "je n'ai pas pris le temps de faire
ce que j'avais à faire" ou "je me suis énervé"
est déjà un progrès. Un autre aspect sur lequel Perls insiste
beaucoup est le ressenti. Dans une illustration clinique, il explique
à un patient souffrant d'une névrose du cœur (je ne sais pas non plus ce que ça peut bien être) qu'il souffre en fait d'anxiété. Le patient sourit
et répond qu'il y a erreur, il n'est vraiment pas quelqu'un
d'anxieux, d'ailleurs il peut s'imaginer dans un avion en flammes
sans la moindre once d'anxiété. Perls lui demande alors s'il peut
s'imaginer ce qu'il ressentirait dans ledit avion en flammes... et
déclenche une belle attaque d'anxiété.
Si le terme de gestalt apparaît bien dans le
livre, ce n'est le cas que deux ou trois fois. En revanche, la notion
de holisme (voir l'être -psychisme et corps- comme un ensemble) est
très présente, ce qui a déjà été évoqué avec l'importance de
la notion d'équilibre. La notion d'énergie ou fonction liante,
opposée à son contraire, est proposée dès les premières pages
(l'affection est entièrement constituée d'énergie, la défense -ou
destruction- de son contraire, le sadisme est consitué des deux dans
les mêmes proportions, l'agressivité est constituée à 75% de
l'anti-énergie, …) et revient à plusieurs reprises. Perls présente la novatrice pulsion de faim, qu'il considère comme la
plus importante de toutes (contrairement à ce qu'avance Freud en
donnant ce rôle à la pulsion sexuelle), et prolonge cette notion
avec l'inconscient dentaire (oui, c'est le terme utilisé). Selon
Perls, l'individu tend trop souvent à avaler les informations, les
ressentis, donc les digère mal, alors qu'il faudrait prendre le
temps de les mâcher. Allant au delà de la métaphore, il propose
même un exercice thérapeutique qu'il estime essentiel et qui
ressemble à s'y méprendre à... la méditation de pleine
conscience : s'habituer, lors des repas, à faire l'effort
conscient de mâcher, se concentrer sur les morceaux de nourriture
que l'on déchire, sur la saveur, la température, la consistance des aliments... Une
séance de méditation plus orthodoxe permet également, en
s'intéressant cette fois-ci aux moments d'inconfort qui surviendront
probablement, d'identifier par le corps ce qui va mal dans le
psychisme. Ce lien surprenant entre méditation de pleine conscience
et psychanalyse est illustré de façon particulièrement concrète...
dans un chapitre qui explique comment guérir de la constipation,
d'une part en acceptant qu'il y a effectivement quelque chose dont on
ne veut pas se débarrasser et éventuellement en l'identifiant par
introspection, d'autre part en se concentrant sur les processus de
l'excrétion au lieu de se concentrer sur autre chose et d'en fuir
les sensations.
La structure du livre de Perls est beaucoup moins
holiste que sa conception du psychisme : les éléments décrits
plus haut et d'autres encore sont éparpillés dans de brefs et
nombreux chapitres, ce qui explique en partie que le résumé est un
peu décousu. Le livre est peut-être obsolète mais certainement pas
orthodoxe, en plus de couvrir de nombreux aspects du psychisme, et
reste intéressant à lire.
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