lundi 27 juillet 2015

Ego, Hunger and Agression, de Fritz Perls


 Le livre date un peu, puisque le père de la Gestalt-thérapie l'a publié en 1947... et écrit dans la préface de 1969 qu'il est en grande partie obsolète. En d'autres termes, aborder la Gestalt-thérapie en commençant par lire les ouvrages les plus anciens de son créateur est à peu près aussi malin que d'aborder la psychanalyse en commençant par lire Etudes sur l'hystérie. Mais, comme il n'y a pas de raisons que je sois le seul à perdre mon temps, je vais quand même en faire un résumé O:)

 La théorie développée est extrêmement (et explicitement : Freud, Adler, Jung et d'autres sont régulièrement cités) proche de la psychanalyse, au point qu'on peut penser que si l'auteur n'avait pas créé la Gestalt-thérapie, on aurait probablement pu parler de psychanalyse perlsienne. Perls attache une importance particulière à la dimension économique de la psychanalyse (qui n'a rien à voir avec les séances courtes... tsss, mauvaises langues!) : les souffrances proviennent d'un déséquilibre entre différentes injonctions internes, réduire une pulsion au silence amène à ce qu'elle se manifeste autrement. Il estime ainsi, par exemple, que la guerre est en grande partie le résultat du refus d'accepter la part animale de notre psychisme, mais insiste principalement sur le mécanisme de la projection, et selon lui la partie sémiotique de la psychanalyse (analyse des symboles) est le plus souvent inutile. Les exemples de situations cliniques qui vont suivre illustrent sa démarche. La thérapie d'un patient impuissant, centrée sur la recherche d'une peur de la castration, est infructueuse jusqu'à ce que le thérapeute ne réalise (et n'explique au patient) qu'avant d'être impuissant sexuellement, il se sent surtout impuissant tout court, le problème n'a donc au départ rien à voir avec la sexualité mais est le résultat de la projection par le patient de son problème sur une partie de son corps. Un autre patient évite soigneusement de passer à proximité de tuiles (ce qui on lui accorde ne doit vraiment pas être pratique) car il a peur qu'une tuile ne lui tombe sur la tête. Le thérapeute lui expliquant que quand même objectivement il ne risque pas grand chose, le patient finit par brandir triomphalement un article de journal qui évoque une personne tuée par une tuile malicieuse (si ça avait été une thérapie cognitivo-comportementale, la partie cognitive aurait probablement pris du temps). Sa crainte venait en fait de sa propre envie de balancer des tuiles sur les gens, qui était en effet plus palpable que le risque qui le terrifiait. Sa colère, difficile à accepter socialement, avait été attribuée à d'autres donc transformée en peur.

 La projection est un phénomène particulièrement subjectif, ce qui explique probablement que Perls parle beaucoup dans les premiers chapitres de l'importance du point de vue. Un signe rond sera un chiffre s'il est intégré dans un nombre, une lettre s'il est intégré dans un mot. Un champ de maïs est un point de repère pour un·e pilote, une ressource pour un·e agriculteur·ice, un endroit pour s'isoler (le terme est de Perls) pour un couple, un élément à dessiner pour un·e peintre, … Préciser que quelqu'un est un acteur peut vouloir dire qu'il n'est pas réalisateur, qu'il n'est pas le personnage qu'il joue, qu'il n'est pas une actrice, qu'il n'est pas au chômage, … Modifier son point de vue peut également permettre de se déresponsabiliser : l'auteur reprend la plaisanterie de Freud "l'obscurité m'a pris ma montre". Sans aller jusqu'à cet exemple, il arrive d'entendre "le temps est passé trop vite", "la colère m'a envahi" : dans ces situations, dire "je n'ai pas pris le temps de faire ce que j'avais à faire" ou "je me suis énervé" est déjà un progrès. Un autre aspect sur lequel Perls insiste beaucoup est le ressenti. Dans une illustration clinique, il explique à un patient souffrant d'une névrose du cœur (je ne sais pas non plus ce que ça peut bien être) qu'il souffre en fait d'anxiété. Le patient sourit et répond qu'il y a erreur, il n'est vraiment pas quelqu'un d'anxieux, d'ailleurs il peut s'imaginer dans un avion en flammes sans la moindre once d'anxiété. Perls lui demande alors s'il peut s'imaginer ce qu'il ressentirait dans ledit avion en flammes... et déclenche une belle attaque d'anxiété.

 Si le terme de gestalt apparaît bien dans le livre, ce n'est le cas que deux ou trois fois. En revanche, la notion de holisme (voir l'être -psychisme et corps- comme un ensemble) est très présente, ce qui a déjà été évoqué avec l'importance de la notion d'équilibre. La notion d'énergie ou fonction liante, opposée à son contraire, est proposée dès les premières pages (l'affection est entièrement constituée d'énergie, la défense -ou destruction- de son contraire, le sadisme est consitué des deux dans les mêmes proportions, l'agressivité est constituée à 75% de l'anti-énergie, …) et revient à plusieurs reprises. Perls présente la novatrice pulsion de faim, qu'il considère comme la plus importante de toutes (contrairement à ce qu'avance Freud en donnant ce rôle à la pulsion sexuelle), et prolonge cette notion avec l'inconscient dentaire (oui, c'est le terme utilisé). Selon Perls, l'individu tend trop souvent à avaler les informations, les ressentis, donc les digère mal, alors qu'il faudrait prendre le temps de les mâcher. Allant au delà de la métaphore, il propose même un exercice thérapeutique qu'il estime essentiel et qui ressemble à s'y méprendre à... la méditation de pleine conscience : s'habituer, lors des repas, à faire l'effort conscient de mâcher, se concentrer sur les morceaux de nourriture que l'on déchire, sur la saveur, la température, la consistance des aliments... Une séance de méditation plus orthodoxe permet également, en s'intéressant cette fois-ci aux moments d'inconfort qui surviendront probablement, d'identifier par le corps ce qui va mal dans le psychisme. Ce lien surprenant entre méditation de pleine conscience et psychanalyse est illustré de façon particulièrement concrète... dans un chapitre qui explique comment guérir de la constipation, d'une part en acceptant qu'il y a effectivement quelque chose dont on ne veut pas se débarrasser et éventuellement en l'identifiant par introspection, d'autre part en se concentrant sur les processus de l'excrétion au lieu de se concentrer sur autre chose et d'en fuir les sensations.

 La structure du livre de Perls est beaucoup moins holiste que sa conception du psychisme : les éléments décrits plus haut et d'autres encore sont éparpillés dans de brefs et nombreux chapitres, ce qui explique en partie que le résumé est un peu décousu. Le livre est peut-être obsolète mais certainement pas orthodoxe, en plus de couvrir de nombreux aspects du psychisme, et reste intéressant à lire.

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