Dans ce livre, les
auteurs font l'inventaire de ce que nous permettent de savoir les
recherches récentes en psychologie sociale (dont une part non
négligeable a été menée par les auteurs eux-mêmes) sur les
caractéristique d'un bon leader, un leader qui a l'adhésion
enthousiaste de ceux et celles qu'il dirige, qui bénéficie d'un pouvoir par
le groupe plutôt que d'un pouvoir sur le groupe.
En effet, diriger des individus qui obéissent sous
la contrainte, ou ont en tête d'œuvrer pour leur intérêt propre,
plutôt que de s'unir au service du groupe, n'a pas, on s'en doute,
le même effet. Cela implique qu'un bon leader doit donner la
sensation que les gens travaillent pour eux, et non pour lui, donc
qu'il soit lui-même perçu comme faisant partie du groupe. Une
expérience a particulièrement mis ce phénomène en lumière :
les expérimentateur·ice·s mettaient à la tête d'un petit groupe (en
informant le groupe des critères du choix) soit l'un·e des membres du
groupe sélectionné·e au hasard, soit un·e membre du groupe sélectionné·e
pour ses qualités de manager·euse. Les membres du groupe sélectionné·e·s
au hasard bénéficiaient de beaucoup plus de coopération,
semble-t-il parce que les membres du groupe estimaient que les
autres, de par leurs compétences, n'avaient pas spécialement besoin
de leur bonne volonté. Les auteurs expliquent ainsi le fait,
contre-intuitif, que le langage bien particulier de George W. Bush ne
lui ait pas porté préjudice : pour une part de son électorat,
ça contribuait surtout à le distinguer d'une élite hors-sol
(l'auteur d'un recueil des pires citations de Bush avait d'ailleurs
dit que, si son livre risquait d'avoir des conséquences négatives,
ce serait surtout sur les adversaires de Bush qui auraient l'idée
maladroite de se moquer de lui ouvertement). Les élections
présidentielles américaines de 2016 leur ont, c'est le moins qu'on
puisse dire, donné raison. En plus de faire partie du groupe, un bon
leader doit aussi, quand il prend des décisions, privilégier le
groupe. Dans une recherche effectuée en Australie, le·a responsable
d'un hôpital était mieux vu s'iel privilégiait, dans la liste
d'attente pour obtenir un organe, un Australien natif sur un autre
individu... alors que la même discrimination était perçue
négativement si l'hôpital n'était pas en Australie.
Les auteurs ne vont pourtant pas maintenir que
l'horizontalité est la condition du leadership, que le·a meilleur·e
dirigeant·e sera un individu pris au hasard, ou encore l'individu le
plus représentatif de tel ou tel groupe. D'une part, même si ces
critères ne sont pas les plus importants, la recherche s'accorde
pour considérer qu'un leader se doit d'être charismatique, juste et inspirant la confiance, ou du moins perçu comme tel. Mais, alors que la
notion de groupe est si importante, un bon leader est surtout celui
qui saura définir le groupe, insuffler la sensation de faire partie
d'un groupe. L'exercice est d'autant plus difficile que l'identité
de groupe est flexible : une photo de George W. Bush en casque
et uniforme de vol, prise en mai 2003 devant un public de militaires,
célébrant la victoire en Irak, a fortement contribué à faire
grimper sa popularité à 70%, mais elle aura aussi sa part dans le
record d'impopularité (71%) atteint par le même individu en mai
2008, alors que les effets de la même intervention militaire
apparaissaient bien moins flamboyants. La droite comme la gauche
écossaises pourront en appeler avec la même efficacité au
sentiment d'appartenance de la population, les uns en rappelant que
les Ecossais·es savent prendre sur eux, surmonter les pires difficultés
sans attendre d'assistance, les autres en définissant les
Ecossais·es comme une population unie et solidaire. Être un·e bon·ne dirigeant·e demande énormément de travail : de nombreuses
compétences devront être mobilisées au service de la faculté de
définir (puis redéfinir, et redéfinir!) une forte et inspirante
appartenance de groupe (entre autres "prouesses linguistiques,
rhétorique sophistiquée, expression poétique, chorégraphie,
maîtrise de l'espace, vision architecturale, grand sens de
l'organisation, instinct social").
Si les auteurs sont pédagogues pour expliquer et
problématiser leur sujet, le livre reste une revue de l'état de la
recherche, et est donc assez technique, avec beaucoup plus de
finesses que ce que le résumé peut laisser penser. Une seule
lecture ne suffira pas à tout apprécier à sa juste valeur, et ça
peut valoir la peine de s'attarder sur certains points pour les plus
motivé·e·s, en particulier en se penchant directement sur les recherches présentées
qui sont, bien sûr, toutes sourcées. Une lecture plus rapide reste
intéressante, d'autant que le propos est contre-intuitif, le leader
étant souvent associé à la verticalité, à l'homme providentiel.
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