La psychothérapie et le
développement personnel se pratiquent le plus souvent
individuellement avec un·e client·e/patient·e et un·e thérapeute, mais
peuvent aussi se pratiquer en groupe. Carl Rogers parle ici d'une
forme bien spécifique de groupe (les groupes de rencontre) où l'on
rencontre certes d'autres personnes mais qui permettent surtout de se
rencontrer soi (oui, dit comme ça ça fait un peu illuminé, du coup
je vais dire "qui permet l'exploration de sa personnalité propre à
travers l'écoute empathique et l'expression sincère de ses
émotions" pour que vous arrêtiez de me regarder bizarrement). La
plupart du temps je ne peux parler sur ce blog que de théorie du
fait de mon absence d'expérience clinique (à part 100 heures de
stage en EHPAD), ce post sera donc un peu différent puisque je suis
en ce moment en formation à l'Approche Centrée sur la Personne,
formation qui consiste pour sa première partie, précisément, en
des groupes de rencontre (d'ailleurs, même si ce post n'est pas
sponsorisé, vous pouvez si ça vous intéresse venir expérimenter
ce processus, ACP France par exemple en organise régulièrement, en
particulier un séminaire annuel).
Si les résultats à attendre d'un groupe de
rencontre sont assez spécifiques (accepter ses émotions, y compris
celles qu'on se refusait à percevoir avant, dans l'ici et maintenant,
les exprimer et se les approprier au sein du groupe, prendre
conscience de son propre changement de personnalité, s'intéresser à
son processus propre plutôt qu'aux éléments externes, …) et ce
quelles que soient la durée et l'effectif du groupe (Rogers se sent
obligé de préciser, suite à des rumeurs, que les groupes de
nudistes sont rares!), le cadre est, et paradoxalement se doit
d'être, assez souple. Une première étape récurrente est
d'ailleurs l'agacement envers les facilitateur·ice·s devant ce manque de
cadre explicite. La non-directivité est importante au
point que, pour décrire le rôle du facilitateur·ice, Rogers parle de sa
propre pratique, en précisant bien qu'il s'agit de son approche
personnelle. S'il donne quelques conseils de phrases de
lancement de session ("J'ai comme l'impression qu'on se connaîtra
bien mieux à la fin de ces sessions qu'on ne se connaît
maintenant", "Nous y voilà. On peu faire absolument ce
qu'on veut de cette expérience de groupe", "Je ne suis pas très
détendu, mais ça me rassure un peu quand je vous regarde et que je
me rends compte que c'est la même chose pour tout le monde. Alors,
comment on se lance?", …), ou qu'il liste des choses à éviter
chez le·a facilitateur·ice (centrer le groupe sur sa personne -oui, ça
semble préférable!- ou au contraire le survoler sans s'impliquer
émotionnellement, faire trop d'interprétations, mesurer la qualité
du groupe par l'intensité des émotions exprimées, avoir un mode
d'approche rigide, …), il va surtout s'attarder sur ce qui
fonctionne pour lui. Cela passe principalement par des anecdotes,
par exemple la fois où il a donné une consigne pour relancer le
groupe (se répartir en deux cercles distincts, ceux de l'extérieur
essayant de percevoir le ressenti de ceux qui sont plus à
l'intérieur), consigne qui a sur le moment été superbement ignorée
mais qui a au fur et à mesure amené à plus de tentatives, dans les
échanges, de percevoir le ressenti de l'autre, ou encore cette fois
où, agacé par un groupe qui s'éternisait dans des conversation
anodines (alors que les participant·e·s avaient dit qu'iels ne voulaient
surtout pas faire ça) mais ne se sentant pas légitime à secouer
tout le monde, il a fini par partir, ce qui a provoqué diverses
réactions à son retour.
Si forts que soient les effets du dispositif, il ne
s'agit pas non plus d'une formule magique. Sa plus grande limite,
selon Rogers, est que lesdits effets risquent d'être temporaires : le
cadre très spécifique, où la qualité des échanges et les
relations entre les membres se sont construits peu à peu, contraste
avec le retour au quotidien et ses multiples injonctions (je l'ai
personnellement ressenti assez fort à une occasion, où je m'étais
fait la réflexion que j'avais appris à communiquer avec des
personnes en formation à l'Approche Centrée sur la Personne -c'est déjà pas mal!- mais
que ça n'avait pas pour autant résolu tous mes problèmes de
communication dans les autres contextes). Le changement de mode de
fonctionnement dans la vie professionnelle, en particulier, implique
parfois de bousculer l'ensemble de l'institution, ce qui ne demande
pas la même implication qu'un changement personnel. Rogers donne
pourtant l'exemple de personnes qui ont changé durablement, en
particulier à travers sa correspondance commentée avec une
participante à qui l'expérience de groupe à donné l'impulsion,
par des changements et prises de conscience successifs sur une
période de 6 ans, pour améliorer une relation tendue et
conflictuelle avec sa mère, qui avait un impact important sur elle
et qu'elle n'avait fait qu'effleurer au cours du groupe de rencontre.
Si la récompense, temporaire ou non, est le plus souvent là (les
recherches sur les effets des groupes de rencontre confirment que les
personnes insatisfaites, si elles existent, sont minoritaires), le
processus n'est pas de tout repos. L'agacement initial devant le
manque de cadre est par définition inconfortable, écouter et
exprimer ses émotions les plus authentiques, donc les plus intimes,
ne va pas de soi (briser la glace, ça implique d'abord un impact,
des fissures, ...), et écouter l'autre c'est aussi parfois écouter
sa colère, qui peut être dirigée contre soi, et qui n'est pas
toujours exprimée de la façon la plus diplomatique, comme c'est
illustré dans un exemple!
L'ensemble du livre articule avec fluidité
illustrations concrètes, apports théoriques, commentaires de
recherche scientifique, et explique bien en quoi consistent les
groupes de rencontre, y compris dans leurs limites. Une partie est
aussi consacrée à leur éventuel usage pour résoudre un problème
spécifique (crise de management en entreprise, voire même conflit
diplomatique international) mais je dois admettre que je l'ai lu
moins attentivement, ayant du mal à me représenter la recherche
d'authenticité dans ce type de contexte. La lecture est intéressante
que ce soit pour comprendre spécifiquement les groupes de rencontre
ou pour en savoir plus, de façon générale, sur l'Approche Centrée
sur la Personne.
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