vendredi 19 janvier 2018

Les groupes de rencontre, de Carl Rogers



 La psychothérapie et le développement personnel se pratiquent le plus souvent individuellement avec un·e client·e/patient·e et un·e thérapeute, mais peuvent aussi se pratiquer en groupe. Carl Rogers parle ici d'une forme bien spécifique de groupe (les groupes de rencontre) où l'on rencontre certes d'autres personnes mais qui permettent surtout de se rencontrer soi (oui, dit comme ça ça fait un peu illuminé, du coup je vais dire "qui permet l'exploration de sa personnalité propre à travers l'écoute empathique et l'expression sincère de ses émotions" pour que vous arrêtiez de me regarder bizarrement). La plupart du temps je ne peux parler sur ce blog que de théorie du fait de mon absence d'expérience clinique (à part 100 heures de stage en EHPAD), ce post sera donc un peu différent puisque je suis en ce moment en formation à l'Approche Centrée sur la Personne, formation qui consiste pour sa première partie, précisément, en des groupes de rencontre (d'ailleurs, même si ce post n'est pas sponsorisé, vous pouvez si ça vous intéresse venir expérimenter ce processus, ACP France par exemple en organise régulièrement, en particulier un séminaire annuel).

 Si les résultats à attendre d'un groupe de rencontre sont assez spécifiques (accepter ses émotions, y compris celles qu'on se refusait à percevoir avant, dans l'ici et maintenant, les exprimer et se les approprier au sein du groupe, prendre conscience de son propre changement de personnalité, s'intéresser à son processus propre plutôt qu'aux éléments externes, …) et ce quelles que soient la durée et l'effectif du groupe (Rogers se sent obligé de préciser, suite à des rumeurs, que les groupes de nudistes sont rares!), le cadre est, et paradoxalement se doit d'être, assez souple. Une première étape récurrente est d'ailleurs l'agacement envers les facilitateur·ice·s devant ce manque de cadre explicite. La non-directivité est importante au point que, pour décrire le rôle du facilitateur·ice, Rogers parle de sa propre pratique, en précisant bien qu'il s'agit de son approche personnelle. S'il donne quelques conseils de phrases de lancement de session ("J'ai comme l'impression qu'on se connaîtra bien mieux à la fin de ces sessions qu'on ne se connaît maintenant", "Nous y voilà. On peu faire absolument ce qu'on veut de cette expérience de groupe", "Je ne suis pas très détendu, mais ça me rassure un peu quand je vous regarde et que je me rends compte que c'est la même chose pour tout le monde. Alors, comment on se lance?", …), ou qu'il liste des choses à éviter chez le·a facilitateur·ice (centrer le groupe sur sa personne -oui, ça semble préférable!- ou au contraire le survoler sans s'impliquer émotionnellement, faire trop d'interprétations, mesurer la qualité du groupe par l'intensité des émotions exprimées, avoir un mode d'approche rigide, …), il va surtout s'attarder sur ce qui fonctionne pour lui. Cela passe principalement par des anecdotes, par exemple la fois où il a donné une consigne pour relancer le groupe (se répartir en deux cercles distincts, ceux de l'extérieur essayant de percevoir le ressenti de ceux qui sont plus à l'intérieur), consigne qui a sur le moment été superbement ignorée mais qui a au fur et à mesure amené à plus de tentatives, dans les échanges, de percevoir le ressenti de l'autre, ou encore cette fois où, agacé par un groupe qui s'éternisait dans des conversation anodines (alors que les participant·e·s avaient dit qu'iels ne voulaient surtout pas faire ça) mais ne se sentant pas légitime à secouer tout le monde, il a fini par partir, ce qui a provoqué diverses réactions à son retour.

 Si forts que soient les effets du dispositif, il ne s'agit pas non plus d'une formule magique. Sa plus grande limite, selon Rogers, est que lesdits effets risquent d'être temporaires : le cadre très spécifique, où la qualité des échanges et les relations entre les membres se sont construits peu à peu, contraste avec le retour au quotidien et ses multiples injonctions (je l'ai personnellement ressenti assez fort à une occasion, où je m'étais fait la réflexion que j'avais appris à communiquer avec des personnes en formation à l'Approche Centrée sur la Personne -c'est déjà pas mal!- mais que ça n'avait pas pour autant résolu tous mes problèmes de communication dans les autres contextes). Le changement de mode de fonctionnement dans la vie professionnelle, en particulier, implique parfois de bousculer l'ensemble de l'institution, ce qui ne demande pas la même implication qu'un changement personnel. Rogers donne pourtant l'exemple de personnes qui ont changé durablement, en particulier à travers sa correspondance commentée avec une participante à qui l'expérience de groupe à donné l'impulsion, par des changements et prises de conscience successifs sur une période de 6 ans, pour améliorer une relation tendue et conflictuelle avec sa mère, qui avait un impact important sur elle et qu'elle n'avait fait qu'effleurer au cours du groupe de rencontre. Si la récompense, temporaire ou non, est le plus souvent là (les recherches sur les effets des groupes de rencontre confirment que les personnes insatisfaites, si elles existent, sont minoritaires), le processus n'est pas de tout repos. L'agacement initial devant le manque de cadre est par définition inconfortable, écouter et exprimer ses émotions les plus authentiques, donc les plus intimes, ne va pas de soi (briser la glace, ça implique d'abord un impact, des fissures, ...), et écouter l'autre c'est aussi parfois écouter sa colère, qui peut être dirigée contre soi, et qui n'est pas toujours exprimée de la façon la plus diplomatique, comme c'est illustré dans un exemple!

 L'ensemble du livre articule avec fluidité illustrations concrètes, apports théoriques, commentaires de recherche scientifique, et explique bien en quoi consistent les groupes de rencontre, y compris dans leurs limites. Une partie est aussi consacrée à leur éventuel usage pour résoudre un problème spécifique (crise de management en entreprise, voire même conflit diplomatique international) mais je dois admettre que je l'ai lu moins attentivement, ayant du mal à me représenter la recherche d'authenticité dans ce type de contexte. La lecture est intéressante que ce soit pour comprendre spécifiquement les groupes de rencontre ou pour en savoir plus, de façon générale, sur l'Approche Centrée sur la Personne.

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