jeudi 11 octobre 2018

La pré-thérapie, de Garry Prouty, Marlis Pörtner et Dion Van Verde




 Le thérapeute Garry Prouty, spécialisé dans l’Approche Centrée sur la Personne, exerce dans un atelier d’entraînement au travail pratique qui propose un accompagnement à des personnes souffrant de retard mental ou de maladie mentale. Son superviseur, surpris de ses résultats, lui demande comment il s’y prend. Tout universitaire brillant qu’il soit, Garry Prouty est bien incapable de théoriser ce qu’il fait ("j’étais persuadé de ne rien faire d’autre que de la psychothérapie classique centrée sur la personne et expérientielle"), au point de provoquer la colère dudit superviseur, qui ne comprend pas que Prouty ne comprenne pas ses questions ("Rogers et lui-même n’obtenaient visiblement pas les mêmes résultats"). Comme pour l’Approche Centrée sur la Personne, la pré-thérapie est en effet presque simpliste à expliquer et à appliquer malgré sa puissance et sa richesse, mais comme l’Approche Centrée sur la Personne, elle peut cependant être théorisée, testée et développée, et c’est ce dont il va être question dans ce livre. La présentation de la pré-thérapie par Garry Prouty, dans la première partie du livre, peut se suffire à elle-même, mais il serait bien dommage de se passer de l’expérience, dans l’application concrète, des auteur·ice·s de la 2ème et de la 3ème partie.

 L’Approche Centrée sur la Personne repose avant tout sur l’engagement dans le contact entre thérapeute et patient·e : bien plus que de sélectionner la bonne relance, c’est la qualité de l’écoute empathique qui permettra le mouvement thérapeutique. Hélas, comme je l’ai moi-même expérimenté à plusieurs reprises lors d’un stage en Ehpad, ce contact est bien plus difficile à obtenir et à maintenir avec une personne délirante, ou dont les capacités cognitives ne permettent pas de tenir une conversation. La pré-thérapie permet de passer à ce niveau supérieur de l’Approche Centrée sur la Personne, et les mots de Rogers à Garry Prouty, "Vous avez tué le Bouddha", semble justifiés tant une limite forte de cette méthode se trouve surmontée (c'est une expression bizarre mais elle a du sens pour Rogers, qui avait tendance à être agacé par les personnes qui le considéraient comme une entité indépassable).

 Cinq techniques sont identifiées pour approcher une personne à l’aide de la pré-thérapie : les réflexions situationnelles ("le thérapeute considère la situation présente ainsi que l’environnement du client, puis reflète son comportement par rapport à cela", par exemple "Paul touche la table", "vous regardez la pluie par la fenêtre", …), les réflexions faciales ("le thérapeute considère le visage du client et perçoit quels sont les affects qui s’y ébauchent"), les réflexions corporelles (refléter l’attitude corporelle du ou de la client·e soit par la parole, soit corporellement), les réflexions mot à mot ("le thérapeute écoute attentivement et répète les mots reconnaissables, même s’il n’en saisit pas toujours le sens. Il s’agit de reconnaître que le client veut faire part de quelque chose") et les réflexions réitératives ("lorsqu’une réflexion a créé du contact, il faut la répéter. Il faut distinguer entre la réitération immédiate et la réitération à plus long terme"). Ces techniques permettent une entrée progressive en contact (contact entre client·e et thérapeute, mais surtout dans un premier temps reprise de contact du ou de la client·e avec la réalité qui l’entoure), sachant que le·a thérapeute devra souvent aussi assurer sa présence par… une grande patience. Les premières réactions ne sont pas toujours perceptibles ("un léger recul du corps, une expression du visage", "des sons à peine audibles ou de légers mouvements oculaires", …) et le·a thérapeute peut avoir la sensation d’agir dans le vide. Une vignette clinique rend par exemple compte d’une interaction qui a duré… douze heures. La patience de l’intervenante a toutefois été récompensée : un client, dont le traitement médicamenteux avait été arrêté, dans un état de catatonie sévère, a fini par lui parler, certes peu clairement au départ, d’affects douloureux ("ma tête me fait mal quand mon père parle", "mes frères ne peuvent pas me pardonner"), puis "a fait le tour de la ferme avec elle et lui a parlé des différents animaux sur un ton tout à fait normal". Une thérapie plus classique a pu être entamée par la suite. Si cette vignette clinique est particulièrement impressionnante, beaucoup d’autre décrivent un processus semblable : un comportement, des remarques décousues, finissent par laisser la place à un discours intelligible. Dans un autre cas, la source (un souvenir de maltraitance) d’une hallucination particulièrement effrayante finit par être identifiée. En allant moins loin, la pré-thérapie, en permettant un retour à la réalité, peut aussi plus simplement permettre un apaisement, pour mettre à distance par exemple une hallucination, revenir d’un épisode psychotique ou apaiser une agitation qui promet potentiellement mille complications en collectivité. Il reste important de respecter la distance souhaitée par le·a client·e : s’iel manifeste la volonté d’arrêter, ça peut être pour éviter de se confronter à un affect trop intense (et, dans plusieurs vignettes cliniques, le·a thérapeute prend soin de demander préalablement au ou à la client·e s’iel accepte sa présence).

 Si j’ai bien insisté au début sur le fait que la technique elle-même était presque simpliste, ce n’est pas tout à fait vrai : comme la deuxième partie, sur l’application dans un service psychiatrique, le montre, il n’est pas toujours évident, au jour le jour, de savoir comment s’exprimer, selon les capacités de l’interlocuteur·ice (si les pronoms personnels "tu" ou "vous" "peuvent, le cas échéant, sembler trop intimes pour le client car il vit les relations comme une menace", je pense que je vais m’abstenir, pour des raisons de prudence, de parler aux autres à la troisième personne dans le cadre des groupes de rencontre). "Pour décider s’il faut recourir aux réflexions de contact ou non, il faut constamment évaluer à quel niveau évolue le client". Si les auteur·ice·s ne dissimulent pas les réticences de l’institution, que ce soit les supérieur·e·s hiérarchiques sur le sujet critique du déblocage de budget et de temps, ou les soignant·e·s perplexes à l’idée d’appliquer une méthode en apparence trop passive par rapport à leurs habitudes, les avantages rapportés sont multiples : apaisement plus facile de situations de crise, qui permet un bien moindre recours, et c’est un sujet critique, à la contention, moindre besoin de médicaments, contacts moins impersonnels avec les patient·e·s, ce qui est appréciable même avec les patient·e·s qui étaient agréable parce que très calmes ("je m’occupais bien sûr de Michael, mais je ne savais pas vraiment qui était Michael ni ce qui se passait en lui", "on néglige les patients si on les laisse à leur état psychotique sans les aider").

 En plus de ces avantages pratiques, la pré-thérapie, tout en gardant les mêmes exigences de présence et d’écoute empathique ("je réponds présent", avait d’abord répondu Garry Prouty quand son superviseur lui demandait d’où venaient ses résultats) que l’Approche Centrée sur la Personne, lui offre une toute nouvelle dimension en permettant non seulement un apaisement, mais une entrée en contact avec des personnes qui semblaient difficilement accessibles (la lecture m’a par exemple fait remonter de nombreux souvenir de frustration de mon pourtant court stage en Ehpad). C’est pour moi une étape essentielle de l’Approche Centrée sur la Personne, voire même de la psychothérapie en général.

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