jeudi 18 octobre 2018

Maltraitance chez l’enfant, dirigé par Caroline Rey-Salmon et Catherine Adamsbaum




 Sujet grave, particulièrement impliquant émotionnellement, multiforme (de l'âge de nourrisson à celui d'ado, l’enfant peut être exposé à des violences physiques, sexuelles, psychologiques, …), la maltraitance chez l’enfant est, c’est rappelé dès le début du livre, très mal recensée en France. On imagine la tension d’un·e adulte, professionnel·le ou non, face à une situation ambiguë, tant l’erreur dans ce type de cas, que ce soit par la non-dénonciation ou par une fausse accusation, peut causer une tragédie. Ce livre, principalement destiné aux médecins, donne de nombreux éléments précis pour établir quelles situations sont suspectes, savoir comment examiner l’enfant, les éventuelles procédures (recueil de preuves, …) en cas de signalement à la justice, …

 Le livre est avant tout technique, comme l’illustrent les titres des différents chapitres (lésions viscérales, lésions squelettiques, imagerie post-mortem, hémorragies rétiniennes, agressions et mutilations sexuelles, maltraitance psychologique, formes particulières de maltraitance selon l’âge, …). Cependant, inutile de comprendre toutes les subtilités des modifications taphonomiques, de l’union tiers-moyen tiers distal du radius ou du voile de rétraction vitréen pour en retirer des éléments particulièrement concrets sur les signes qui doivent alerter, sur la conduite à tenir. Certains de ces éléments sont récurrents : si le récit des faits est confus, voire changeant, et contradictoire avec ce qui est observé (des jeux, des accidents, sont souvent avancés et incompatibles avec les traces présentes), si l’état de l’enfant s’améliore particulièrement vite en l’absence des parents (reprise de poids, cheveux qui repoussent après une alopécie, voire, dans le cas du syndrome de Münchhausen par procuration, les symptômes surprenants qui ont mené à l’hospitalisation qui s’arrêtent rapidement), si les blessures sont fréquentes ou encore souvent aggravées par une absence de soins, cela doit éveiller la vigilance. L’insistance est particulière dans le chapitre sur le syndrome du bébé secoué : des statistiques établies a posteriori ont montré que de nombreux décès avaient lieu après de premières hospitalisations qui avaient insuffisamment alerté. Dans ce cas spécifique, la gravité des symptômes est en général incompatible avec les explications apportées (souvent une chute), et en plus des examens plus précis, des ecchymoses voire des dégâts osseux au niveau des côtes peuvent aller dans le sens de ce diagnostic. Des blessures involontaires, du domaine de l'accident, sont dans certains cas potentiellement des signes de négligence. Par exemple en cas de morsure de chien, c'est quand l'adulte insiste sur le fait que l'enfant est responsable qu'il convient de s'inquiéter : il ne prendra probablement pas les précautions pour éloigner l'animal, ce qui est particulièrement dangereux dans la mesure où "un chien qui a mordu récidive toujours en présence du même enfant". Certains traces doivent aussi être rapidement conservées (prises en photo pour les traces visuelles) et datées car elles disparaissent vite (ecchymoses, traces de morsure, vêtements portés en cas de violences sexuelles à transmettre à un professionnel pour conserver les traces qui serviraient à identifier l'auteur, ...) : les résidus corporels de l'agresseur (salive, sperme, ...) doivent être gardés dans un sac en papier plutôt que dans un sac en plastique, non pas pour la planète mais pour ne pas endommager les traces ADN.

 Une part importante est consacrée aux violences psychologiques, sans oublier de préciser que, même dans le cas des violences physiques (sans parler des violences sexuelles!), l'impact grave sur le long terme sera avant tout psychologique. Les auteur·ice·s reconnaissant qu'il est difficile de donner une définition précise aux violences psychologiques, mais les critères qu'iels retiennent sont à la fois clairs et portant peu à controverse : les violences doivent être délibérées (une éducation extrêmement stricte par des parents pensant bien faire pourra avoir des effets délétères, mais ce ne sera pas comparable aux conséquences de propos quotidiens délibérément blessants) et habituelles (il peut arriver que des parents bienveillants, sous l'effet d'une colère particulièrement forte, tiennent des propos dangereux... la situation reste distincte de celle d'un climat de violence). Six catégories de comportement malveillants sont distinguées : le rejet ("rabaisser, critiquer et humilier l'enfant"), la terreur ("les comportements visant à menacer l'enfant (d'abandon, blessure ou meurtre) et à entretenir un climat de terreur"), l'isolement ("refuser à l'enfant la satisfaction de ses besoins d'interaction et de communication avec ses pairs et avec les adultes"), la perversion ("encourager les enfants à développer des comportements inappropriés"), l'ignorance ("tous les comportements qui caractérisent l'indifférence absolue et l'absence de réaction de l'adulte aux demandes et aux besoins affectifs de l'enfant") et la négligence (ne pas faire appel à une aide professionnel ou extérieure en cas de problèmes de santé, troubles psychiques, difficultés scolaires, ...). Le rejet et la terreur sont désignés comme les plus dangereux. Il est rappelé que les violences entre parents sont des violences psychologiques sur l'enfant! L'accent est aussi mis sur la complexité des interactions avec l'adolescent·e, qui parfois dissimule des violences pour préserver un·e proche, et parfois en invente pour couvrir, par exemple, une fugue. Il est donc important d'être particulièrement attentif·ve au récit, le comparer aux éléments vérifiables, éventuellement identifier et ouvrir le dialogue sur des craintes implicites. Cette nécessité de vigilance est mise en avant dans sa complexité à travers une vignette clinique où une adolescente décrit une séquestration de 15 jours par quatre personnes, confinée dans une pièce sans même un accès aux toilettes, et pensant avoir été violée pendant des pertes de conscience. Les éléments observables à l'examen, en particulier sa propreté, sont incompatibles avec ce récit. Une épilation ayant entre autres été constatée, l'adolescente change de version et indique que trois personnes l'ont enlevée dans le seul but de l'épiler. Les doutes des professionnel·le·s de santé, bien qu'argumentés, sont difficilement supportables pour la mère : elle même a été agressée sexuellement dans son enfance, et n'a pas été crue. Concernant l'adolescence, même lorsqu'il n'y a pas de plainte, des fugues, une grande agressivité, doivent interroger. En cas de grossesse prématurée, il est important de sensibiliser l'adolescente au consentement et de s'assurer qu'il n'y a pas eu de contrainte.

 Un chapitre particulièrement intéressant, dont la lecture, autonome, vaut largement la dizaine de minutes nécessaire, est celui sur le positionnement du ou de la soignant·e, rédigé par l'infirmière puéricultrice aux urgences médico-judiciaires Patricia Vasseur. Le chapitre reprend beaucoup de thèmes du reste du livre, mais y sensibilise particulièrement bien. Il est entre autres rappelé non seulement de ne pas sortir de son métier (identifier une maltraitance ne revient pas à identifier l'auteur·ice, et vouloir obtenir des aveux est louable mais risque surtout de saboter l'enquête quand le cadre et la formation ne s'y prêtent pas, en plus de nuire à la relation thérapeutique, donc à l'intérêt de l'enfant), mais aussi, avec application, de se contenter de rapporter des faits, tant la conviction est influencée par les préjugés de chacun. Sur ce sujet, l'autrice est assez sournoise adroite pour multiplier les exemples, de sorte que le·a lecteur·ice se sente concerné·e à un moment ou à un autre. Il est ainsi question d'une conviction qui contribue à être une prophétie autoréalisatrice (de très jeunes parents, intimidés par une infirmière suspicieuse, sont plus maladroits en sa présence, et s'occupent mieux de leur enfant en présence d'une autre infirmière qui leur fait confiance), de parents pour qui, à l'anxiété devant l'état de santé de leur bébé à la suite d'un syndrome du bébé secoué, s'ajoute la douleur d'endurer la froideur des soignant·e·s convaincu·e·s de leur responsabilité (ils rapportent que l'expérience était pire que celle de la garde à vue) alors que les violences ont en fait été commises (et avouées) par la nourrice, ... Moins intuitif, l'autrice met en garde contre la tendance de certain·e·s soignant·e·s à surinvestir l'enfant, d'une part parce que c'est souvent au détriment des autres enfants, et d'autre part parce que la séparation sera plus difficile à supporter pour l'enfant, déjà dans une situation psychologiquement éprouvante. La question de la confiance dans le secret médical est aussi abordée : si l'obligation de signalement est effective, il est important, en particulier quand la confidentialité a été assurée au préalable, d'expliquer ce qui va se passer. L'enfant ou l'adolescent·e découvrant par des tiers que le secret a été brisé risque de souffrir de cette trahison, voire de revenir sur ses propos.

 Le contenu du livre est riche, les indications sont précises et sourcées. La lecture est toutefois épouvante... en particulier parce que le livre est illustré de beaucoup de photos dont on imagine facilement la violence : c'est une chose de savoir que des actes horribles sont commis, c'en est une autre d'en voir la trace sur des corps d'enfants. L'intérêt du livre pour une meilleure prévention reste considérable, et en plus d'être utile aux médecins et aux juristes auquel il semble particulièrement destiné, il peut être salutaire pour tout·e professionnel·le au contact d'enfants, qui hésiterait sur la conduite à tenir dans un contexte de doute.

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