lundi 7 janvier 2019

Ma voix t’accompagnera… , de Sidney Rosen et Milton Erickson



 Sidney Rosen regroupe dans ce livre de brèves histoires, pédagogiques, de Milton Erickson (créateur de l’hypnose ericksonienne), le plus souvent des anecdotes familiales ou des vignettes cliniques. Si la plupart des textes peuvent sembler simples voire simplistes, le recueil n’est pas (contrairement à ce que peut laisser craindre la très élogieuse intro) une simple invitation à s’émerveiller de la sagesse d’Erickson : chaque histoire illustre une, voire des, indications cliniques précises, et parfois comporte plusieurs niveaux de lecture, indiqués ou non en commentaire.

 Si des termes comme transe bien sûr, mais aussi l’opposition entre niveau conscient et niveau inconscient ou la notion de marquer certains mots ou certaines phrases sont présents, il est en fait très peu question de la technique même de l’hypnose, et ce sont des principes thérapeutiques qui sont présentés. L’idée qui réunit peut-être l’essentiel des textes est que la demande du ou de la client·e, si on y répond trop directement, va plutôt le·a conduire à perfectionner ses propres symptômes qu’à vraiment aller mieux. Si l’idée d’un·e thérapeute assertif·ve et autoritaire est rejetée, ça semble surtout être parce que c’est contre-productif (sinon à titre de provocation pour déclencher une réaction) : l’horizontalité est bien présente dans la mesure où le·a client·e est pris·e au sérieux en tant qu’individu, où ses valeurs sont respectées, mais Erickson garde le contrôle total de ce qui a lieu, souvent par une manipulation certes bienveillante. Ça peut passer par la prescription du symptôme (à une adolescente qui suce constamment son pouce, au grand désespoir de ses parents et enseignants, Erickson prescrit de sucer son pouce très bruyamment à des moments bien précis qui vont être particulièrement désespérants pour son entourage, ce qui la poussera rapidement à arrêter, par agacement), par une attitude inattendue (il rentre d’office dans le conflit avec une enfant particulièrement réticente à rencontrer un thérapeute, avant de lui dire quelque chose de gentil là où elle attendait une méchanceté), en faisant le contraire de ce qui avait été essayé jusqu’ici (une étudiante qui arrivait toujours en retard en promettant à chaque fois de ne jamais recommencer est accueillie par une révérence de toute la classe en arrivant dans le cours d’Erickson, elle devient ensuite ponctuelle alors qu’aucun reproche des enseignant·e·s ne l’avait fait arriver à l’heure), en proposant aux client·e·s un point de vue différent sur le symptôme (il reproche à une cliente qui a développé une phobie sociale grave suite à des flatulences en classe, très religieuse, de manquer de respect, par sa honte, à la complexe construction divine qu’est le corps humain), … Si des solutions plus conventionnelles sont parfois proposées (optimiser la concentration de tireurs sportifs, par l’hypnose, en leur permettant de percevoir chaque tir de la compétition comme le premier, surmonter quelque chose qui semble impossible en imaginant, en transe hypnotique, se rapprocher de l’objectif très progressivement), il n’est pas surprenant qu’un chapitre soit consacré à la confrontation avec des prestidigitateurs, et un autre à des blagues faites par Milton Erickson et des membres de sa famille. Surprendre l’autre, c’est un point récurrent, implique non seulement d’être très attentif·ve à ses valeurs, à sa demande explicite, à sa situation, à ses résistances, à son langage non verbal, mais aussi à élargir le spectre des perceptions du ou de la thérapeute comme celles du ou de la client·e.

 Si l’intérêt pédagogique du livre est son intérêt principal, et que le·a professionnel·le de l’hypnose y verra probablement un nouvel enseignement à chaque lecture (s’iel a suffisamment élargi le spectre de ses perceptions depuis la lecture précédente!), l’alignement de réussites, renforcé par le fait qu'Erickson est souvent présenté comme un faiseur de miracles (ne faites pas de jeu à boire où vous buvez chaque fois qu'il est dit qu'il est consulté en dernier recours, ce serait dangereux même avec de l'eau), ferait presque oublier qu’utiliser la déstabilisation comme ressort thérapeutique est une prise de risques. On n’est plus dans la thérapie brève mais dans la thérapie ultrabrève, et même les client·e·s qui quittent le cabinet en exprimant leur désapprobation de manière pas tout à fait ambigüe se manifestent des mois ou des années plus tard, éventuellement en envoyant d’autres client·e·s, expliquant à quel point Erickson leur a sauvé la vie. J’aurais été curieux d’avoir au moins quelques anecdotes où il s’est planté, ou même d’avoir à peu près la proportion de fois où il a échoué.

 Le livre reste précieux dans la mesure où il présente une approche originale, et, qu’on s’intéresse ou non à l’hypnose, donne un point de vue intéressant sur la relation thérapeutique et la relation au symptôme, à la distinction éventuelle entre demande exprimée et besoin réel, tout en rappelant le besoin d’être attentif·ve à l’infinité de modes d’expression des client·e·s.

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