Sur le sujet des discriminations, les productions théoriques de l’Approche Centrée sur la Personne que j’ai pu lire étaient plutôt radicales et exigeantes, malgré les contresens qui auraient pu être à craindre ("l’intolérance c’est très mal mais nous c’est pas pareil on travaille d’humain à humain et en plus on est empathiques"), que ce soit dans le manuel de l’ACP ou même dans la critique directe d’entretiens de Rogers. Ce livre ne fait donc pas tout à fait figure d’OVNI, et, sans surprises, est axé sur l’ampleur du travail à faire, qu’il soit individuel ou dans les institutions.
Si les chapitres sont pour leur grande majorité divisés par thématique (homosexualité et identité de genre, racisme, sexisme, classisme, personnes défigurées, réfugié.e.s, …), les approches sont assez différentes entre elles, constituées par exemple de témoignages personnels (récit autobiographique ou vécu de thérapeute), d’approche historique de la lutte contre les discriminations (pour l’homosexualité par exemple, de la fin de la pathologisation au postmodernisme et sa déconstruction du genre), ou encore de réflexions plus directement cliniques ou institutionnelles (par exemple en rappelant la douloureuse réalité de l’absence physique et théorique des personnes pauvres, les thérapies et plus encore la formation n’étant pas accessibles à tou.te.s, ce qui, cercle vicieux, fait que les personnes défavorisées qui accèdent tout de même à la formation se sentent incompétentes ou pas à leur place). Une petite place est même laissée à l’intersectionnalité, avec un chapitre sur les personnes qui sont à la fois noires et handicapées. Je regrette en revanche que la discrimination des personnes en surpoids ne soit pas évoquée (elle est peut-être moindre au Royaume-Uni -les auteur.ice.s sont pour l’essentiel britanniques-, mais j’en doute).
Les suggestions pour s’améliorer sont, en revanche, assez répétitives : il s’agit, vous ne devinerez jamais, de faire un travail sur soi. Ce n’est toutefois pas une raison pour ne pas lire le livre, d’une part parce que ledit travail sur soi est guidé, avec des questions spécifiques, et d’autres part parce que les chemins que peuvent prendre les stéréotypes pour s’immiscer dans la thérapie (sans parler de la formation) sont nombreux. Comment s’assurer qu’on ne parle pas à une personne âgée de façon plus condescendante qu’on ne le ferait avec une personne plus jeune? Qu’on s’adapte de façon appropriée à ses troubles physiques et cognitifs? Que la qualité de l’écoute est suffisante pour faire face aux injonctions sociales à se préoccuper de son déclin plutôt que de développement personnel? Quel·le thérapeute peut prétendre avoir un regard neutre et apaisé sur la religion, et pourra appliquer l’approche positive inconditionnelle avec le·a client·e qui est dans des questionnements spirituels, parfois extrêmement douloureux, qui pourront paraître saugrenus? Mick Cooper, dans l’introduction, précise que l’état de la science confirme que les stéréotypes concernent tout le monde, et qu’ils sont un obstacle particulièrement lourd quand la thérapie se passe mal. Mais, comme en témoigne une vignette clinique, même quand la thérapie se déroule bien par ailleurs, un inconfort peut venir se mettre en travers du processus thérapeutique. Gina accompagne Andy, en couple avec un homme. Andy a plus de désir que son compagnon, et, en accord avec lui, couche avec d’autres hommes. Gina est mal à l'aise quand les récits d’Andy se font trop explicites. Andy perçoit une part de cet inconfort, et évite progressivement le sujet. Ce n’est que quand Andy fait part de sa gène à lui que Gina partage de façon appropriée ce qu’elle ressentait malgré elle, et que ce sujet, par ailleurs important dans le tournant que prend la vie amoureuse d’Andy, peut être exploré plus sereinement. L’ACP a cette particularité d’avoir souvent les mêmes réponses aux difficultés rencontrées (travailler sur soi, rentrer dans le cadre de référence de l’autre), mais accepter d’explorer une gène peut être plus difficile quand le nœud du problème est un ressenti, par exemple, raciste, sexiste ou homophobe.
Les auteur·ice·s ne se sont toutefois pas réuni·e·s juste pour dire de travailler sur soi. Des notions plus originales sont présentées, comme le concept inattendu de sandwich (pour une personne qui a subi de nombreux traumatismes, prendre le temps d’identifier la tranche supérieure -l’attachement à la mère-, la tranche inférieure -l’attachement au père- -oui, pour un livre sur les stéréotypes, c’est super hétérocentré-, et, pour la garniture du sandwich, délimiter et réfléchir à chaque traumatisme connu -violences physiques ou sexuelles, injonctions contradictoires, deuils, insécurité, isolement, ...-), les nombreuses exigences du travail avec des réfugié·e·s (barrière de la langue et présence de l'interprète, difficulté pour la personne de comprendre le concept de psychothérapie, divergences culturelles, traumatismes durs à révéler, risque d’absences à cause d’un quotidien précaire et imprévisible, ou... colère contre l'administration qui peut se faire envahissante), ou encore l’importance de la prise en compte du contexte patriarcal, et l’importance encore plus cruciale de l’empowerment, dans la thérapie de certaines femmes (en particulier lorsqu’elles sont victimes d’oppression dans leur couple et/ou leur famille). Un autre conseil, simple mais qui ne vient pas nécessairement à l’esprit, quand l’entrée dans le cadre de référence de l’autre semble encore compromise, est d’adapter les relances en fonction ("qu’en penserait tel·le membre de votre famille ? telle autorité religieuse ?" …). Si son identité appartient d’abord au ou à la client·e (percevoir ses propres préjugés est vital, focaliser de soi-même sur la vie de la personne en fonction de la couleur de sa peau parce qu’on se sent une poussée d’antiracisme n’est pas souhaitable pour autant), il est aussi souvent suggéré, quand la distance ressentie est plus grande qu’elle ne devrait l’être, d’aller plus loin que la simple écoute et se renseigner activement sur la culture de l’autre.
Le sujet est important, si tentant que ça puisse être de ne pas en prendre la mesure, et les enjeux sont traités avec le sérieux nécessaire, que ce soit sur le plan social ou thérapeutique. Les auteur·ice·s parviennent à développer la théorie dans des espaces courts (chaque chapitre fait une petite dizaine de pages) tout en revenant régulièrement au concret voire au terre à terre, avec des questions précises à se poser à soi-même. S’il est probablement accessibles à tout·e thérapeute (anglophone), la lecture sera plus aisée pour les thérapeutes ACP, habitué·e·s aux problématiques développées sur l’écoute et l’empathie. C’est probablement aussi un outil pertinent pour accompagner les supervisions sur ces sujets là.
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