dimanche 7 mars 2021

Meeting the shadow, dirigé par Connie Zweig et Jeremiah Adams

 


 Le titre est assez limpide, le livre propose au ou à la lecteur·ice de rencontrer sa part d'ombre. Comme son nom l'indique, l'ombre est cachée, projetée, et l'observer directement est une démarche active. Pourtant, faire comme si elle n'était pas là relève du déni ("tout ce qui a de la substance projette une ombre", "chacun porte une ombre, et moins elle est incarnée dans la vie consciente de l'individu, plus elle est noire et dense"), voire de la prétention à la sainteté qui, c'est rappelé plusieurs fois, n'est ni accessible ni souhaitable pour l'être humain. Pire, chercher l'intransigeance absolue (fondamentalisme religieux, projet totalitaire, ...), c'est lui ouvrir la porte en très grand. Paradoxalement, si l'ombre individuelle est cachée, s'il est souvent jugé convenable de faire comme si elle n'était pas là, l'ombre collective est omniprésente, du moins médiatiquement : guerres, exploitations, meurtres, sont offerts presque constamment à notre regard. 

 Le livre est constitué de nombreux (65 quand même!) textes brefs qui exploreront les enjeux de cette ombre et de son invisibilité et ce qu'on peut faire pour apprivoiser ce lion qui risque de nous dévorer si on lui tourne trop le dos (oui, les textes sont plus ou moins nuancés). Le modèle théorique est en grande majorité la psychanalyse jungienne (que je ne connais presque pas, du coup c'est parfaitement possible que beaucoup de subtilités m'aient échappé), les réflexions sur la religion sont aussi très présentes (christianisme, bouddhisme et judaïsme). Un message particulièrement récurrent est qu'on est beaucoup plus prompt·e à voir l'ombre chez l'autre (par exemple racisme revendiqué, ennemi très officiel en cas de guerre, ou, de façon plus terre à terre, les traits de caractère qui vont nous agacer de façon disproportionnée sans qu'on ne puisse l'expliquer), ce qui peut être une piste pour une première exploration. Plusieurs auteur·ice·s situent la croissance de l'ombre dans l'éducation, les premiers refoulements dans les parties de soi-même dont on nie inconsciemment l'existence pour plaire à nos parents, puis pour mieux s'intégrer dans notre milieu social (faux-self pour les psychanalystes, introjects pour les Gestaltistes).

 Ecouter et apprivoiser son ombre permet paradoxalement de moins passer à l'acte. L'un des auteurs estime d'ailleurs que l'Eglise a fait une erreur fondamentale en condamnant non pas seulement les actions, mais aussi les pensées. Plusieurs analyses de Dr Jekyll  et Mr Hyde (assez proches de celle-ci que je recommande très fortement) vont dans ce sens : en choisissant de littéralement se diviser en deux, Jekyll s'est tourné vers une solution de facilité qui n'était pas tenable. Ne pas voir son ombre, comme dit plus haut, c'est non seulement lui offrir plus de place, mais aussi l'attribuer à l'autre. Katy Butler, rapportant de douloureux souvenirs personnels dans des mouvements bouddhistes aux Etats-Unis, montre aussi qu'il est dangereux de ne pas (vouloir) voir l'ombre de l'autre. Des leaders, vénérables par leur statuts, l'étaient beaucoup moins par leur comportement. Plus que leur conduite, c'est pourtant le poids du secret (un alcoolisme dissimulé et surtout tabou -au point de réprimer sévèrement l'alcoolisme des disciples et leurs tentatives de s'en sortir- malgré l'ostensibilité croissante, une sexualité très active -avec probablement un rapport au consentement assez douteux- qui a abouti à une épidémie de MST parmi les disciples, le leader admettant les faits mais refusant toute responsabilité) qui a détruit les mouvements concernés, occasionnant des souffrances pour de nombreux membres.

 Difficile de nier l'importance du sujet, d'autant qu'il est magnifiquement problématisé, mais l'ensemble est malheureusement inégal (est-ce que c'est la part d'ombre du livre?). L'idée que ce qu'on voit chez l'autre est d'abord sa propre ombre n'est pas toujours très nuancé et ressemble parfois à "boomerang boomerang tout ce que tu dis ça revient sur toi" en un peu mieux écrit, j'ai été assez perplexe d'apprendre qu'on se mettait en couple avec une personne qui représente notre part d'ombre ou encore que, toujours pour le couple, les traits qui nous attirent chez l'autre sont ceux qu'on va détester ensuite (il paraît que tous les thérapeutes le savent, d'ailleurs c'est tellement évident que ce n'est pas sourcé), un chapitre livre un inventaire de situations où la sexualité est et a été réprimée avant d'affirmer que c'est réprimé parce que ça s'approche du divin, conclusion pas évidente à comprendre puisqu'aucune des situations listée n'est explorée de près (pourquoi parler de contrôle des corps et de la procréation quand on peut dire "les gens ont peur du divin", ça en jette quand même beaucoup moins), et j'ai été intrigué (pour le dire aussi gentiment que possible) de lire que l'asthme c'était de l'angoisse existentielle et la diarrhée une culmination d'incontinence psychique ("ah merde, j'aurais pas du manger ces restes suspects dans le frigo, je suis paralysé depuis 20 minutes par une culmination d'incontinence psychique carabinée, quoi que ça veuille dire"). Mais bon, je suis myope et j'ai des prédispositions aux brûlures d'estomac, donc si je dis ça c'est probablement parce que j'ai du mal à voir et digérer ce qui ne m'arrange pas... Ah et tant qu'on y est les scandales sanitaires c'est une fatalité... parce que c'est tabou de critiquer le progrès technologique (parce que d'une part les gens n'ont pas d'esprit critique à part Chellis Glendinning -heureusement qu'elle est là!- et ensuite tout le monde est aveuglément à l'aise avec la nouveauté, c'est assez universel).

 Les passages critiqués ne sont bien sûr pas représentatifs de l'ensemble du livre (encore une fois, il y a 65 textes!), d'autant que, comme les textes sont à la fois variés et courts, avec des styles d'écritures différents, des problématiques différentes, certaines richesses m'ont probablement échappé. Les personnes les plus intéressées pourront continuer avec Romancing the Shadow et Meeting the Shadow of spirituality, aussi dirigés ou co-dirigés par Connie Zweig.

 

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