lundi 13 décembre 2021

Authoritarian Nightmare, de John W. Dean et Bob Altemeyer

 


 Dans ce livre publié peu avant l'élection présidentielle de 2020, dans le but d'en éclairer certains enjeux, John W. Dean, commentateur politique, s'associe une nouvelle fois avec le chercheur Robert Altemeyer (il s'était beaucoup appuyé sur son travail, en 2006, pour Conservatives without Conscience... le lien avec le mandat de Trump n'est pas extrêmement dur à faire) pour mieux comprendre Donald Trump à la fois comme personne et comme politicien. Les références à la personnalité autoritaires sont quasi constantes (et les auteurs sont probablement les premiers à regretter que le lien soit aussi direct), donc ce résumé sera probablement plus clair si vous avez lu celui-ci , qui concerne le livre où Altemeyer vulgarise ses travaux.

  Je parlais de lien quasi-direct : je n'ai probablement pas été le seul, pendant la campagne électorale de Trump en particulier, à trouver aussi surréaliste la façon dont il illustrait ce qui était écrit dans le livre, au point de donner l'impression qu'il avait été écrit spécifiquement pour parler de lui. Les mensonges constants, y compris sur des choses facilement vérifiables, l'orgueil tellement démesuré qu'il a parfois l'apparence de l'autodérision, la violence louée chez ses allié·e·s et constamment prêtée à ses (innombrables) ennemi·e·s... et, surtout, le fait que ça marche, que ses soutiens non seulement ne se détournent pas de lui mais gagnent en ferveur, rarement une grille de lecture n'aura été aussi appropriée. Les travaux d'Altemeyer lui ont permis d'identifier deux profils importants : la personnalité autoritaire (Right Wing Authoritarian) et les dominateur·ice·s sociaux·ales (Social Dominance Orientation). Pour les second·e·s, le pouvoir est important, et mentir, manipuler, sont non seulement des moyens acceptables mais aussi des fins en soi. Chez les premier·ère·s, trois traits se démarquent : le conformisme, la soumission, et l'agressivité (de préférence contre des cibles qui ne sont pas en mesure de se défendre). Une extrême perméabilité aux préjugés, l'appétence pour la violence contre les ennemi·e·s (une catégorie pour eux·elles très très vaste), les rassemble. Un troisième profil, rare parce que l'attrait pour la soumission à une autorité estimée légitime et l'attrait pour le pouvoir sont contradictoires, est appelé Double High. Si Altemeyer estime que la plupart des politicien·ne·s identifiables comme autoritaires (soit ayant un résultat élevé au test RWA) sont aussi des Double High (puisque leur profession est très incompatible avec un profil autoritaire simple), et que les Républicain·e·s les plus extrémistes s'y trouvent, il pense que Trump est bien trop éloigné de la moindre valeur religieuse conservatrice pour être RWA, qu'il est uniquement dominateur social (certains items qui évaluent la domination sociale, et d'autres de tests qui évaluent par exemple la malhonnêteté, semblent en effet avoir été créés exprès pour Trump).

 Les auteurs estiment que l'obsession pour la domination de Trump doit énormément à sa famille. Sa mère était, selon les diverses biographies et interviews de proches disponibles, peu présente, alors que son père, qui a fait une fortune colossale dans l'immobilier, nourrissait un rapport obsessionnel envers le succès, les victoires. Dans une annexe au livre rédigée plus tard (disponible sur le site d'Altemeyer), Altemeyer suspecte que Donald Trump n'a pas seulement adhéré aux valeurs de son père mais que l'importance démesurée pour son image y compris voire surtout en passant des messages trompeurs (il s'affichait chaque semaine avec une femme différente, très attirante à chaque fois -effet garanti sur les étudiants de son école militaire non-mixte!-, qui était en fait plus ou moins recrutée par ses parents et n'était pas en couple avec lui), les week-ends passés à travailler avec lui à apprendre les ficelles de l'immobilier en menant ses études (très moyennes) en parallèle, étaient aussi motivés par la peur : lorsque son frère a fait l'affront d'être pilote plutôt que de s'inscrire dans les pas de leur père, celui-ci s'est engagé à lui pourrir la vie autant qu'il le pourrait, et semble avoir réussi puisque Fred Trump Jr est devenu alcoolique et est mort d'un infarctus à 42 ans. Le chercheur croit aussi constater (sans attendre l'annexe : il en parle aussi dans le livre) que les moments où Trump se vante le plus sont les moments où il se sent menacé. Autre influence, un associé de son père, l'avocat Roy Cohn, lui aura appris à répondre aux accusations d'une part en n'avouant rien quelles que soient les preuves, d'autre part en étant soi-même très agressif, en bombardant l'adversaire d'accusations le plus ostensiblement possible.

 Les préjugés (racistes en particulier), l'orgueil démesuré qui n'est jamais ébranlé par rien, les appels à l'éthnocentrisme -nous VS les autres- ("America First") et à un passé forcément merveilleux ("Make America Great Again"), les appels à la violence, font de Trump l'homme providentiel pour un public RWA... et réciproquement, des personnes qui appellent de leur vœux un leader à adorer, qui ont l'esprit suffisamment compartimenté pour ne même pas prêter attention à ses mensonges et qui au contraire auront tendance à être extrêmement réceptives aux accusations de malveillance envers ceux et celles qui relèveront les mensonges, constituent le public idéal pour quelqu'un qui a un besoin maladif d'être admiré, ne supporte pas qu'on le contredise (le turnover à la Maison Blanche battra des records pendant son mandat, et quelle que soit l'importance du sujet, écouter des expert·e·s l'ennuiera ou l'énervera). Les auteurs partagent dans le livre les données obtenues sur un échantillon important grâce à la participation d'un grand institut de sondages : la personnalité autoritaire, l'adhésion aux préjugés, en plus de critères plus démographiques (évangélistes blancs et hommes blancs ayant un diplôme inférieur à 4 ans d'université), sont des prédicteurs extrêmement fiables du vote Trump. Dans The Authoritarians, Altemeyer passe un temps conséquent à dire ce que ses données ne permettent pas de déduire. Là, elles sont tellement claires et unanimes qu'il n'a pas d'espace pour nuancer. Cette recherche aura aussi permis d'identifier un taux de Double High plus élevé que dans les recherches habituelles d'Altemeyer : les auteurs supposent (mais sans avoir d'éléments pour confirmer ou infirmer) que soit c'est dû à l'effectif élevé, soit au fait que Trump a augmenté le nombre de Double High, probablement en nourrissant la fibre de dominateur·ice·s sociaux·ales de personnes RWA.

 Je pense que vous l'aurez compris, Trump est considéré dans le livre comme un danger pour les Etats-Unis, et c'est bien pour ça que les auteurs ont tenu à sortir leur livre avant l'élection de 2020 (qui leur a donné raison!). En cohérence avec le livre précédent d'Altemeyer, ce qui lui est reproché n'est pas son conservatisme (sauf pour sa réaction au mouvement Black Lives Matter) mais sa violence, son instabilité, son non-respect des institutions, son incompétence déjà considérable mais aussi activement entretenue par son refus d'écouter tout propos qui lui déplaît (le livre s'ouvre sur ses nombreux revirements au début de la pandémie, avec un rappel du nombre de morts évitables que ça a entraîné). Et, en cohérence avec le précédent livre d'Altemeyer, les auteurs insistent sur le fait que le problème ne prendra pas fin quand Trump quittera la Maison Blanche : la mentalité RWA influence (voire réquisitionne) le Parti Républicain depuis des décennies, et l'idéologie imprimée (dans les cadres du parti et dans la population), les personnes recrutées, resteront en embuscade... la démocratie américaine n'est pas renforcée mais affaiblie par le passage de Trump.

 Le livre se lit plutôt vite (en anglais uniquement, par contre), les passages plus scientifiques (les élans d'Altemeyer ont dû être freinés plusieurs fois... pour les explications techniques, mais pour les jeux de mots aussi, celles et celles qui ont lu The Authoritarians comprendront) alternent avec une narration plus classique, et les enjeux sont assez clairement présentés. Certes, si vous avez fait une overdose de Trump pendant 4 ans et  si vous avec déjà lu The Authoritarians, vous allez lire pas mal de choses que vous savez déjà, mais vous en apprendrez aussi.

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