Les auteurs relèvent le défi de consacrer un livre (et même une seconde édition) à ce sujet à la fois incontournable et même essentiel, mais tellement difficile à théoriser voire à saisir, sans parler du fait que ses manifestations observables n'en sont que la surface. Comme indiqué dans l'introduction et dans les deux premiers chapitres (fortement appuyés par la littérature scientifique puisque l'un des auteurs est Mick Cooper), la force de la relation thérapeutique est non seulement l'un des éléments les plus importants de la thérapie, mais peut même être thérapeutique en soi (servant de point d'appui aux client·e·s pour mieux se connecter aux autres -surmontant un vécu de rejet ou de violences, un attachement insécure, ...-, mais aussi à soi, ce qui peut avoir une importance particulière pour l'anxiété, les traumatismes, ...).
L'un des grands paradoxes de la relation thérapeutique est qu'elle ne doit pas être recherchée trop activement : s'il paraîtrait saugrenu d'imaginer un manuel de la relation thérapeutique profonde sur le modèle d'une notice pour monter un meuble, une telle entreprise ne serait probablement pas souhaitable même si elle était réaliste. En effet, avoir trop d'attentes, si vertueuses que soient les attentes, être trop actif·ve, c'est agir sur, et plus être avec, la personne, ce qui se fait au détriment de la relation, qui nécessairement demande du temps et, surtout, doit être profondément individuelle. Les larmes de la thérapeute devant le récit de Grace, qui ont été le point de départ d'un moment intense ("Ces larmes devraient venir de moi, n'est-ce pas?"), n'auraient pas nécessairement eu le même effet avec un·e autre client·e : c'est l'intimité acquise en amont qui a déclenché cette réaction pendant cet échange, qui a eu du sens pour Grace. Peut-être plus évident, lorsque Dave Mearns invite son client Dominic à ne pas "jouer au con avec lui", le message n'est pas que c'est nécessairement la meilleure idée du monde de parler comme ça à ses client·e·s à la troisième séance (mais si vous le faites, n'hésitez pas à partager votre expérience en commentaire!). L'écoute, l'empathie, l'entrée progressive dans le monde de l'autre, sont le préalable à ces échanges aussi individualisés que potentiellement puissants... pour le·a client·e comme pour le·a thérapeute ("rien ne garantit que les thérapeutes qui rencontrent leurs client·e·s à un certain niveau de profondeur relationnelle vont être exactement les mêmes personnes qu'avant de s'engager dans la rencontre").
Si c'est peut-être le plus paradoxal, l'attente n'est bien entendu pas le seul élément qui va permettre, si les conditions le permettent, d'accéder à la relation thérapeutique profonde. Les auteurs regrettent que la peur de la sur-implication soit si présente, en particulier chez les débutant·e·s, alors que le moment où on débute est le moment le·a plus encadré·e, donc le plus approprié pour situer la frontière fine entre une implication forte et une sur-implication. Des conseils sont donnés pour pouvoir être, le plus pleinement possible, là : le travail sur soi et la supervision, bien sûr, non pas pour gommer ses propres vulnérabilités mais pour les identifier et leur donner leur juste place, ou, encore plus terre à terre, des pratiques à mettre en place pour laisser toute la place possible aux client·e·s dans le temps qui leur est consacré (prendre des pauses -donc ne pas prévoir 9 consultations dans la même journée-, se détendre, faire le vide de ses pensées et jugements, rentrer en contact avec son propre corps, tourner son attention vers l'extérieur, prendre conscience de ce qui est notre vérité dans l'instant présent, et s'orienter en direction du ou de la client·e) (en anglais il y a l'acronyme PRESENCE pour retenir tout ça, mais en français ça fait PDVCEIO) (après si ça vous aide, gardez-le, hein!). D'autres gestes, peut-être plus contre-intuitifs, peuvent être au service de la relation : aller plus loin que le strict cadre thérapeutique (ça peut aller de proposer à un·e client·e d'appeler entre les séances s'il y a un besoin urgent à aider à monter les escaliers une personne pour qui c'est difficile), reconnaître ses erreurs ou même sa vulnérabilité... et écouter les critiques même quand elles paraissent injustes (l'expérience de Dave Mearns, en groupes de rencontres, est partagée... avec sa difficulté à progresser!).
Le sujet concerne bien entendu les thérapeutes quel que soit leur modèle théorique, mais le livre s'appuie très largement sur l'Approche Centrée sur la Personne et une connaissance du travail de Carl Rogers facilitera de beaucoup la compréhension (et ce n'est pas un problème puisqu'en toute objectivité l'ACP est mieux que toutes les autres approches). Du très concret (le livre présente en longueur deux thérapies de Dave Mearns, respectivement avec un client alcoolique et un autre, militaire, traumatisé au point d'être mutique, soit des situations où une relation thérapeutique forte est pour le moins difficile à établir) au très technique, le travail de Mearns et Cooper pourra profiter aux étudiant·e·s et thérapeutes, et même probablement formateur·ice·s (anglophones seulement, hélas) quel que soit leur niveau.
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