L'autrice, thérapeute en Approche Centrée sur la Personne, a eu l'idée de ce sujet de recherche suite à un constat déstabilisant. Elle a observé que les sans-abris avaient tendance à lui adresser spontanément la parole dans la rue, sans qu'elle ne réussisse à expliquer pourquoi. Certes, elle était bénévole auprès de ce public, mais ce n'était pas écrit sur son front en dehors de son temps de bénévolat. Son apparence (la tenue vestimentaire, divers éléments non-verbaux, peuvent être autant de micro-indices -fiables ou non- sur la classe sociale, les opinions politiques, ...) ne constituait pas non plus une explication suffisante : alors qu'elle discutait avec une amie avec laquelle on la confondait souvent, une personne s'est adressée à elle, et non à son amie, alors même qu'elle lui tournait le dos et que son amie était de face. Une attitude corporelle qui suggère la bienveillance? Pour faire l'expérience, elle s'est forcée à continuer de regarder devant elle avec un regard froid en marchant dans la rue, et elle a tout de même été abordée pour une demande d'aide par une personne qui est revenue à la charge plusieurs fois (envers elle, et pas envers quelqu'un d'autre). Identifier les personnes disposées à aider est pour les sans-abris une question de survie : une erreur est au mieux une coûteuse perte d'opportunité, au pire un risque d'agression verbale ou physique. Sur quels indices, qui échappaient à l'autrice même malgré ses efforts actifs pour les identifier, reposaient cette confiance. A l'inverse, son compagnon s'est fait agonir d'injures en tentant d'adresser la parole à quelqu'un à un arrêt de bus. Quand il en a parlé avec elle, elle a répondu qu'elle savait qu'il ne fallait pas parler à cette personne (et qu'intervenir pendant qu'elle était déjà en colère allait aggraver les choses), mais même après réflexion demeure incapable d'expliquer pourquoi.
En Approche Centrée sur la Personne, le lien à l'autre est particulièrement important. On peut même argumenter que la connexion entre thérapeute et client·e constitue le cœur de la thérapie. L'autrice a donc voulu étudier cette danse invisible/implicite mais nécessairement présente. Elle a donc demandé à des étudiant·e·s, dans des expérimentations en binôme, de se mettre, intérieurement, en disposition d'aller vers l'autre puis en position de retrait vers soi, puis a recueilli leurs réactions. Je ne vais bien entendu pas rentrer dans le détail parce que c'est une thèse, mais le dispositif a permis d'observer que cette attitude intérieure générait bien un ressenti, potentiellement fort, chez l'autre. Plus surprenant (et intéressant à interroger dans le cadre d'une réflexion sur la thérapie!), aller vers peut être menaçant, et le retrait apaisant. Une personne participant à l'étude a par exemple pu bien mieux comprendre son besoin, mystérieux jusqu'ici, d'interrompre la thérapie en présentiel pour passer à une thérapie par e-mails.
Je suis frustré de ne pas développer pour la même raison que je ne développe pas : Rose Cameron explore un domaine à la fois incontournable et nouveau, extrêmement difficile à délimiter (elle a par exemple le souvenir d'une discussion avec une personne maîtrisant bien le concept de chi qui a surtout abouti à ce que les questionnements de départs soient encore plus obscurs à la fin de la conversation), et complexe malgré son enjeu important. Je ne peux qu'encourager les thérapeutes à lire la thèse en ayant une meilleure compréhension et une meilleure mémoire que moi à prendre conscience de l'existence de cette danse invisible/implicite, au delà du non-verbal et de l'attitude empathique bien plus familiers, et à l'inviter dans leur observation de leur propre pratique (ou, encore mieux, poursuivre les recherches initiées par Rose Cameron!).
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