Il n'y a rien de plus pratique qu'une bonne théorie, disait Kurt Lewin cité par Anne Ancelin Schützenberger. Les réflexions riches, exigeantes et novatrices de Carl Rogers, appuyées sur des vérifications empiriques, constituent (en toute objectivité!) une excellente théorie. Et en plus, elle est, sur le papier, particulièrement facile à mettre en pratique, au point qu'elle est parfois caricaturée en disant qu'elle consiste à répéter les trois derniers mots prononcés par le ou la client·e. Et pourtant...
Rogers est le premier à le dire, une approche dont les fondamentaux sont la rencontre et l'horizontalité ne peut s'enfermer dans des pages imprimées. Les surprises (bonnes ou mauvaises), la remise en question, font partie intégrante du parcours du ou de la thérapeute ACP. Mearns et Thorne (et John McLeod pour le dernier chapitre, sur la recherche), dans ce livre qui en est à sa quatrième édition (la dernière pour Dave Mearns qui va maintenant écrire des romans), se consacre aux questionnements que le·a thérapeute a l'opportunité de découvrir en passant, comme le titre original l'indique, à l'action. L'empathie, la congruence, l'approche positive inconditionnelle, sont des concepts relativement simples à saisir de loin, mais dont la richesse se révèle parfois un peu brusquement quand il faut se positionner en direct face à un·e client·e.
Certains développements seront pratico-pratiques, comme comment démarrer une thérapie, quelle attitude tenir quand ça tourne en rond (ce qui fait partie intégrante du processus -"ce qui est probablement le plus difficile à prédire dans le processus thérapeutique est sa rapidité. Parfois le client démarre lentement et va ensuite très vite, alors que d'autres fois le début est rapide, pour s'enchaîner sur une accalmie"-), quand le·a client·e cherche le conflit ou comment finir la thérapie, ou encore sur les différents niveaux de profondeur avec lesquels le·a thérapeute peut répéter les trois derniers mots restituer le propos du ou de la client·e (du niveau 0, qui ne donne pas d'indication que le propos a été compris -conseil, jugement, ...- au niveau 3, qui révèle un niveau de compréhension qui va au-delà de ce que le·a client·e a exprimé), sachant que même une réaction de niveau 1 (compréhension partielle) a une valeur thérapeutique (parce que c'est faire preuve d'une volonté de comprendre qui n'est pas si répandue qu'on ne pourrait le penser au quotidien, parce que se tromper c'est aussi donner à l'autre la possibilité de rectifier donc d'aller, pour chacun·e, vers une compréhension plus précise, ...). D'autres iront explorer des interstices plus complexes, comme les injonctions sociales pas forcément visibles qui rendent difficile de saisir en quoi l'approche positive inconditionnelle consiste vraiment (distinction entre aimer une personne et lui accorder de la valeur, risque de vouloir "être sympa" parce que c'est ce qui est généralement associé à une attitude positive par défaut -" "être sympa" est un masque porté en société - c'est un visage à projeter au monde pour recouvrir ce qu'on ressent vraiment pour se prémunir de tout jugement négatif. Être sympa n'aide pas le client à voir et faire confiance à l'aspect inconditionnel de la relation thérapeutique"-), ce qui est l'occasion de donner une magnifique définition de ladite approche positive inconditionnelle ("l'approche positive inconditionnelle implique de ne pas être illusionné par les diversions de tels boucliers d'autoprotection mais d'attendre, de continuer d'accorder de l'importance à la valeur de la personne et ainsi gagner le droit d'être autorisé à aller au delà du bouclier"), ou encore la difficulté d'offrir une écoute sans préconceptions et sans attentes alors que, qu'on le veuille ou non, des préconceptions et des attentes, on en a forcément.
Le livre est riche, les difficultés évoquées sont parlantes (on sent bien qu'elles sont nourries de nombreuses années de pratique et de supervision), et la promesse d'un ouvrage axé sur la pratique est vraiment tenu, au point qu'à mon avis c'est préférable de le lire quand on a commencé à pratiquer et qu'on s'est déjà heurté·e à quelques unes des difficultés évoquées (et j'ai peu de doutes sur le fait que le·a thérapeute expérimenté·e trouvera aussi de quoi affiner sa pratique, peut-être avec des passages différents de ceux qui lui auraient parlé quelques années avant ou qui lui parleront quelques années après). Comme les auteurs ont l'air de trouver que le sommeil c'est pour les faibles, ils ont écrit d'autres livres qu'ils présentent comme complémentaires à celui-ci, comme ce livre là par exemple.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire