lundi 4 septembre 2023

Brise le silence. Histoire de vie régénérante, de Melkior Capitolin

 

 Dans ce récit autobiographique fort, l'auteur, que j'ai connu comme formateur ACP sur le thème de l'addiction, recoud son identité en assemblant les pièces de puzzle de son histoire, qu'il n'a eues que très progressivement, et qu'il fait remonter à Zizi Capitolin, esclave affranchi ("l'officier civil du registre des nouveaux libres m'a affublé d'un prénom dégradant qui se réfère à une partie de mon anatomie, qui n'est pas exposée normalement") dont le mariage en 1851 est le "premier acte libre", et à Petry dit de Grangia Contat, paysan savoyard ("le soin que j'apporte à cette terre conforte le sentiment collectif d'être savoyard et aussi je me relie à cette communauté  à laquelle je suis uni") né en 1413. Comme le rappelle avec éloquence la postface de Martine Lani-Bayle, l'histoire familiale est nécessairement complexe : "sur 10 générations avec une amplitude temporelle d'environ 2 siècles 1/2 à peine, voilà un total de 1022 personnes : que d'évènements se cachent derrière tout ce monde, qu'est-il possible d'en savoir et selon quels critères de choix". Pour l'auteur, cette complexité est démultipliée par un secret pesant dont il n'obtiendra les éléments que par bribes, souvent dévoilées involontairement.

Il subit, enfant, "un cauchemar, toujours le même : tu tombes, tu te vois tomber du ciel, tu as peur, tu es terrifié, tu te réveilles avant de toucher le sol". L'atterrissage, violent ("tu touches le sol, tu t'écrases brutalement"), aura lieu à l'adolescence, quand la famille, sans bienveillance, confirme ce qu'une voisine a révélé par mégarde : celle qu'il appelait "maman" est sa grand-mère, et sa mère est celle qu'il pensait être une de ses sœurs. Une place particulièrement dure à trouver, à comprendre, sur fond de transferts d'un internat à l'autre, et de la conscience de son métissage ("j'ai entendu : -Café au lait, -Noir -Black -Métis -Negro (une fois)"). D'autres secrets continueront d'être révélés, encore à l'âge adulte : son père, dont l'identité lui aura longtemps été cachée malgré ses demandes répétées, est l'oncle de sa mère, et reste connu pour avoir tué son psychiatre. Il a été arraché, à l'âge de 8 mois, à la marraine à qui il avait été confié, qui voulait le garder ("il y a en moi un malaise qui s'installe quand je suis dans une relation amoureuse autour des huit mois"). Il a une sœur, qu'il rencontrera très tard, avec la sensation apaisante de trouver une nouvelle famille ("Quelqu'un a vécu la même folie et traversé les mêmes manques. Vous parlez du passé et construisez le présent. Tu te retrouves "oncle" et tu as un beau-frère.").

Une écriture puissante est au service de ce récit marquant, et ce qui est annoncé dans le poème qui ouvre le livre ("je me décris vulnérable et fort") et gagne à être relu à la fin décrit bien l'ensemble.

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