Après La douleur, quelle chose étrange et L'anxiété, quelle chose étrange, Steve Haines et Sophie Standing reviennent respectivement au texte et au dessin pour atténuer l'étrangeté du trauma. On commence par la citation de David Livingstone décrivant son vécu effectivement étrange lorsqu'il s'est retrouvé face à un lion, ce qui permet d'introduire et d'illustrer la notion de dissociation. Les manifestation physiques et psychologiques du traumatisme seront détaillées, ainsi que la façon de s'en sortir, la plupart des affirmations étant accompagnées de références bibliographiques.
Sauf que... contrairement à ce que le titre m'avait laissé supposer, la démarche de l'auteur et de l'illustratrice semble être de renforcer l'étrangeté de leur sujet, et non de l'atténuer. C'est personnel, mais j'ai trouvé les dessins plutôt déstabilisants et malaisants (même si, oui, un bonhomme avec plein de nerfs dedans, ça fait scientifique), ce qui peut paraître une drôle d'idée dans un livre de vulgarisation qui a, j'espère, vocation à clarifier (et, vu le sujet traité, rassurer -sans bien sûr minimiser- ça pourrait être une bonne initiative aussi). Moins subjectif, la structure a de quoi laisser perplexe : on passe joyeusement d'un sujet à l'autre (symptômes, fonctionnement du psychisme, solutions, éléments observables, ...) avec la prévisibilité du roman Alice au Pays des Merveilles tout en piochant dans un modèle théorique ou dans un autre (en plus la théorie de l'attachement est évoquée de façon particulièrement succincte et obscure, grrrr), le tout en bombardant de mots compliqués, on se demande ce que Haines et Standing ont vraiment voulu faire aux lecteur·ice·s.
Une raison qui fait que je ne peux vraiment pas aimer le livre est que la qualité des références est aussi aléatoire que le reste. Il est question du cerveau tripartite, pseudoscientifique, et énormément question de la théorie polyvagale, pseudoscientifique aussi dans la mesure où même son auteur a dit que ses affirmations n'avaient pas vocations à être prouvées (mais pleine de mots compliqués donc dans un livre destiné aux profanes ça fait très très sérieux). La vulgarisation est pour moi extrêmement importante, mais elle implique qu'en plus du devoir de clarté, il y a un devoir de fiabilité bien plus fort que dans une publication destinée aux étudiant·e·s ou aux professionnel·le·s, qui sont censé·e·s connaître au moins un peu le sujet et être habitué·e·s à (et avoir le temps et l'énergie de) croiser les sources. La moindre des choses, si on présente des informations de fiabilités différentes à des personnes non spécialistes en tant qu'expert·e·s, c'est quand même d'indiquer que la fiabilité n'est pas la même, ce qui est solidement validé par la recherche et la pratique, ce qui est controversé, ce qui est réfuté mais peut être une simplification utile, ...
Un livre qui a donc en théorie une utilité énorme (pouvoir comprendre les bases du trauma en 30-60 minutes de lecture peut être utile à tou·te·s) devient donc un gloubi-boulga certes avec un certain sens de l'esthétique, et avec de nombreuses apparences de sérieux, mais qui a tout pour embrouiller (structure difficile à suivre, vocabulaire inutilement complexe, sentiment d'étrangeté avec les illustrations, ...) en manquant en plus de rigueur.
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