Sur le sujet du syndrome d'aliénation parentale, les échanges sont généralement vifs, avec une fermeture complète au point de vue opposé (je parle d'échanges et non pas de débats car ça suggérerait qu'il y a une certaine équivalence de la qualité des arguments de part et d'autre). Cette situation fait que c'est difficile pour le grand public, et même pour certain·e·s professionnel·le·s, de se faire une idée claire, d'où cet ouvrage constitué d'échanges théoriques et de propositions pratiques, avec comme objectif final de mieux protéger les enfants, en particulier d'un point de vue judiciaire (le livre est dirigé par une chercheuse en droit), lors de séparations conflictuelles des parents.
La définition la plus consensuelle du syndrome d'aliénation parentale, concept venant du psychiatre Richard Gardner et jamais validé scientifiquement, présentée par Hubert Van Gijseghem, docteur en psychologie et expert psycholégal, se caractérise par une forte alliance à un parent, et un rejet fort de l'autre parent, jusqu'au refus de tout contact. Il recommande un diagnostic en trois étapes (la dernière étant l'identification de la source), en s'appuyant sur huit critères de Gardner : campagne de dénigrement contre le parent rejeté, rationalisations absurdes, manque d'ambivalence du rejet, enfant qui se présente comme le soutien du parent aliénant, animosité qui s'étend à tout ce qui concerne le parent rejeté, scénarii empruntés (l'enfant répète des choses qu'il a entendues mais pas vécues), absence de culpabilité par rapport au rejet. Quatre critères sur huit doivent être observés, dont nécessairement les deux premiers. Selon les critères officiels, si des violences du parent aliéné sur l'enfant sont avérées, il ne s'agit pas d'un syndrome d'aliénation parentale, mais les lecteur·ice·s du livre verront les défenseur·se·s du concept faire preuve d'une flexibilité spectaculaire sur le sujet (mention particulière quand une hostilité de l'enfant qui aurait vu le père exercer une violence sur la mère est mentionnée... j'ai du mal à saisir la tournure d'esprit qui permet d'occulter que les violences d'un parent sur l'autre sont par définition des violences sur l'enfant, donc que c'est lui aussi qu'il chercher à protéger s'il prend des distances).
Les promoteur·ice·s du concept avancent une volonté de protéger l'enfant bien sûr, mais aussi le parent aliéné de la souffrance à la fois de la calomnie et de la séparation. Les personnes qui s'y opposent avancent le besoin que les accusations de violences, conjugales ou intrafamiliales, soient prises au sérieux, et surtout qu'elles ne soient pas décrédibilisées a priori par un concept qui n'a jamais eu de validation scientifique.
On comprend, avec des perspectives aussi opposées et sur un sujet aussi sensible, que les échanges soient hostiles. Difficile par exemple de comprendre pourquoi Paul Bensussan, promoteur actif du syndrome d'aliénation parentale en France, déplore l'aspect émotionnel de l'opposition : est-ce qu'il trouve inapproprié de vouloir avec trop de ferveur protéger des enfants des violences psychologiques, physiques, sexuelles, potentiellement quotidiennes, de l'un de ses parents? D'autant que les émotions n'ont jamais empêcher d'avancer des arguments solides, et, là dessus, Bensussan pêche, décrédibilisant son propos à lui tout seul avant même que d'autres auteur·ice·s n'avancent des arguments contre.
Il écrit par exemple que la non inscription du syndrome d'aliénation parentale dans le DSM-5 et le CIM-11 viendrait en grande partie d'une pression populaire, alors que les deux classifications sont le résultat d'un travail entre chercheur·se·s et non une sorte de consensus de l'opinion publique (le DSM-5 a par exemple été accusé une infinité de fois d'être au service de l'industrie pharmaceutique et des assurances, sans que sa ligne ne bouge d'un millimètre). Il en vient donc dans un raisonnement circulaire à déplorer que le syndrome d'aliénation parentale n'est pas jugé crédible scientifiquement parce qu'il n'est pas dans le CIM-11 et le DSM-5... sauf que justement, il n'y figure pas parce que les éléments scientifiques étaient insuffisants. Son souci de protéger les enfants se fait par ailleurs particulièrement discret quand il déplore que des psychologues et des médecins écoutent les enfants et font des attestations quand un enfant est mal avant ou après la visite chez un parent (en effet, quel rapport ça pourrait bien avoir avec de la maltraitance!), estime que c'est un indice de syndrome d'aliénation parentale si un parent ne cherche pas à maintenir le lien dans le cadre d'accusations de maltraitance (!), ou encore que la marche à suivre est d'imposer la résidence chez le parent aliéné. Il se présente comme un défenseur des enfants faisant face à une idéologie par trop passionnelle et par dessus le marché à du sexisme anti-hommes, et je ne peux que lui recommander de tenir cette posture (malheureusement assez efficace en rhétorique) parce que sur le terrain de la crédibilité des arguments, c'est mal engagé.
Gérard Poussin prend un chemin différent en faisant tout le long de son chapitre, qui est illustré par des cas cliniques qu'il a observés lui-même, comme si l'enjeu d'exposer l'enfant à la violence n'existait pas. Il ne parle que de situations où cet enjeu n'est pas présent, ce qui est certes efficace pour donner la sensation que des souffrances sont niées par pure idéologie, mais qui occulte complètement la réalité de l'instrumentalisation du concept, en particulier pour faire croire à de fausses accusations. C'est ce qui sera développé dans le chapitre de Pierre-Guillaume Prigent et Gwénola Sueur, ou dans celui dirigé par Simon Lapierre, cette fois-ci avec des arguments sourcés (Bensussan déplore que le concept n'est pas validé scientifiquement malgré de nombreuses parutions, mais balance des références sans les commenter de façon critique plutôt que de développer une argumentation détaillée et sourcée... sans doute qu'il ne savait pas par où commencer). Le concept a par exemple beaucoup été promu par des associations masculinistes dites de défense des pères, et peut générer par son invocation (alors, une fois encore, qu'il n'y a aucune preuve de son sérieux) une inversion de la charge de la preuve, l'expression d'un besoin de protéger l'enfant devenant intrinsèquement suspecte. "Lorsque le SAP est invoqué, entendu et pris en compte par le juge aux affaires familiales, l'enfant devient l'ennemi de ses besoins fondamentaux". Des descriptions du comportement des mères aliénantes "correspondent aux stratégies de protection mises en place par les femmes victimes de violences conjugales". Et même quand les violences conjugales sont reconnues, "les femmes sont accusées d'exagérer les manifestations ou les conséquences de cette violence". Et, de fait, "aux Etats-Unis, l'usage de l'aliénation parentale par un père accusé de violences conjugales divise au moins par deux la probabilité que le juge reconnaisse la violence".
On a donc d'un côté un "syndrome" dont la validité n'a jamais été prouvée, et de l'autre des conséquences avérées sur les victimes de violences conjugales et intrafamiliales, avec une composante militante avérée, et qui s'inscrit pour le coup dans la continuité de mécanismes très très avérés des violences conjugales (instrumentalisation de la justice, et souvent des enfants, pour poursuivre les violences).
C'est observé par plusieurs auteur·ice·s : pour un concept venant de la psychologie clinique, le syndrome d'aliénation parentale est très axé sur le judiciaire, la réponse préconisée étant, en lieu et place d'un protocole thérapeutique, de rapprocher l'enfant, de force s'il le faut, du parent rejeté. Des échos à la théorie de l'attachement, au mécanisme de l'emprise, sont évoqués. Et en effet le syndrome d'aliénation parentale pose aussi un problème épistémique : une grille de lecture qui, c'est un comble, n'explique rien du tout, est posée d'autorité sur des situations qui ont leur complexité et mériteraient d'être explorées avec d'autres outils (l'attachement et l'emprise évoqués plus haut, la psychologie du développement pour éclairer l'attitude de l'enfant selon son âge, la psychologie systémique, ...).
Blandine Mallevaey déplore dans la conclusion que le manque de distinction entre syndrome d'aliénation parentale, le concept de Gardner, et les situations d'aliénation parentale, qui peuvent exister (certaines sont rapportées dans le livre), "conduit à obscurcir les choses et suscite de la méfiance". Sauf qu'il a été largement démontré que le syndrome d'aliénation parentale était instrumentalisé, et l'était efficacement, par un militantisme masculiniste, pour mettre encore plus en danger les victimes de violences conjugales et intrafamiliales qui sont déjà protégées de façon extrêmement insuffisante. L'appel à l'apaisement dans cette conclusion ("il est dès lors loisible de s'affranchir des approches parfois dogmatiques") est donc selon moi hors de propos puisque le danger de l'utilisation de ce concept est plus qu'avérée, et la voie pour "s'intéresser concrètement aux situations qui correspondent à la définition de ce que certains nomment "aliénation parentale" " ne peut être que de le renvoyer, fermement, à sa juste place.
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