Véronique Griner-Abraham est souvent en retard, a fait médecine
pour plaire à ses parents puis psychiatrie pour leur déplaire (et
aussi parce qu'elle avait du mal avec la vue du sang ou des cadavres,
ce qui peut poser problème dans d'autres spécialités), se fait
prêter un certain nombre d'origines différentes du fait de son nom
et de son teint, et surtout, depuis 25 ans, elle "fait les vieux"
("non, je ne fait pas les enfants, ou plutôt si, j'en ai fait deux,
Dieu merci, ça m'a suffi") en libéral, et travaille aussi en
Ehpad.
Vieillissimo, ça désigne un rythme, par opposition à
pianissimo, le rythme associé de façon stéréotypée à la vieillesse.
Et, en effet, le livre est rythmé, constitué de brefs extraits de
conversation avec des patient·e·s, rapportés par l'autrice avec humour,
et il a bien un aspect musical. Si les conversations sont classées
par thème ("histoires d'amour", "histoires de névrosés",
"histoires de maisons de retraite", "histoires de guerre", …),
c'est presque anecdotique tant l'enchaînement est fluide. Après,
bien entendu, ça fait un peu juste pour parler de vignettes
cliniques, d'ailleurs ce n'est pas l'objet... Du coup, ce n'est pas
évident de savoir si on a affaire à des vignettes tout court, à
des miettes cliniques, à l'un puis à l'autre...
C'est vers la fin du livre que sera donné un sens à cette
succession d'anecdotes, après une anecdote qui prend un ton bien
plus grave que les autres : l'autrice rapporte comment elle est
parvenue à faire raconter sa vie ("Sur le génogramme établi par
l'équipe, je vois que son mari était d'origine espagnole. Mariée
après la guerre, elle aura milité dans une association de déportés.
Ces deux éléments me mettent la puce à l'oreille. Je crois que
Valentine a autre chose à dire que sa passion pour le tricot") à
une patiente atteinte d'Alzheimer dont l'agitation inquiète l'équipe
de l'Ehpad. La conversation est longue, ponctuée de "ça ne vous
dit rien?", et permet de comprendre que la maison "dont il
avait fait la charpente et toutes les fenêtres" qu'elle a
quittée était tout ce qui lui restait de son époux, ancien
résistant déporté à Dachau et qui avait parlé à elle et elle
seule de cette période (l'autrice retrouvera sur Internet les noms et
matricules de l'époux et de son ami). "En sortant du bureau, mon
stagiaire me demande : "Vous croyez que ça sert à quelque
chose de lui avoir fait raconter tout ça? A elle, je veux dire?" Servir à quelque chose, je ne sais plus trop ce que cela veut
dire. Si cela ne sert à rien, je ne vois pas l'intérêt de
continuer ce métier".
Ça semble être précisément à ça, que sert le livre. Au delà
de la variété et de l'énergie des échanges présentés, qui
tranchent avec les différents stéréotypes sur les personnes âgées
(qui peuvent par ailleurs, comme ça au hasard, causer une
appréhension à travailler -ou, vraiment au hasard, à faire un stage-
dans le milieu du vieillissement), l'ouvrage illustre avec abondance (surtout pour un livre aussi court) le fait que les
personnes âgées, quand on passe du temps avec elles, ont quelque
chose à transmettre.
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