Dans ce livre qui reprend
sa recherche de thèse, l'autrice s'attarde sur la question, sur
laquelle chacun à probablement un avis, de savoir quel élément,
dans une psychothérapie, est le plus efficace, le mieux à même de
provoquer un changement, de faire quelque chose au ou à la patient·e qui
"l'empêche d'utiliser ses stratégies d'existence décidées
dans un moment crucial de sa vie et appliquées systématiquement
depuis", pour reprendre la formulation de Tobie Nathan, qui
est cité (on peut vite être tenté de remplacer cette
question par : "quelle est la méthode thérapeutique
la plus efficace", mais ce sont bien deux questions
distinctes). Et comme le sujet n'était pas assez compliqué comme
ça, ce n'est non pas le changement sur des individus qui va être
abordé, mais le changement sur des familles, sur le système de
fonctionnement de ce type de groupe bien particulier ("comme
le sportif a des membres qu'il apprend à coordonner de manière
optimale, le système familial apprend à coordonner les cognitions,
les affects et les comportements individuels de chaque membre de sa
famille"). S'il y a plus, à la fin de la recherche, de
questions que de réponses ("ma recherche m'amène à conclure sur
l'impossibilité de construire un modèle rigoureux du changement en
thérapie familiale systémique du fait de la complexité et du
caractère imprévisible des systèmes humains"), il serait
bien dommage, vous vous en doutez, d'en déduire qu'elle est sans
intérêt.
Après avoir présenté l'état de la science sur
le sujet, trois thérapies familiales seront donc suivies de près
(l'une d'un an et demie, les deux autres de quatre ans et demie), en
analysant le contenu des séances mais aussi en interrogeant les
patient·e·s, les thérapeutes, les superviseurs, y compris plusieurs
années après la fin de la thérapie. L'objectif est d'identifier
les instants précis qui ont provoqué un changement, et la façon
dont ils ont été perçus par le·a patient·e et par le·a thérapeute. Sont
passées en revue la personnalité du ou de la thérapeute (la thérapeute A
dégage une aura rassurante, alors que le thérapeute C fonctionne
énormément à travers la provocation), la relation (les concepts de
résonance, de transfert et de contre-transfert sont distingués et
analysés pour chaque thérapie), les émotions ressenties et
montrées, mais aussi la façon dont la famille se perçoit plus ou
moins consciemment ou encore le statut du symptôme, qui ne disparaît
pas forcément même quand la thérapie est estimée réussie ("dans
les trois thérapies étudiées, le patient désigné présente
encore des symptômes à la fin de la thérapie") et qui a,
dans la théorie systémique, le statut paradoxal à la fois de
facteur d'homéostasie (il entretient et maintient le fonctionnement
collectif source de souffrances) et de moteur du changement (c'est le
symptôme qui motive la consultation).
Le livre permet quelques éclairages sur le
fonctionnement de la thérapie systémique, sur les moments clef qui
vont, parfois plus grâce à l'insistance du ou de la thérapeute que suite à
un brusque coup de génie, provoquer une prise de conscience chez le·a
patient·e (ça peut même être fortuitement provoqué par
l'intervention d'un tiers : dans une thérapie menée par
l'autrice, la responsable du centre, alarmée par une sonore dispute
entre les patient·e·s, est venue lui demander si elle avait besoin
d'aide... l'autrice a décliné mais les échanges se sont malgré
tout apaisés, et surtout l'un des membres de la famille lui a dit à
la fin de la séance qu'elle était maintenant en confiance, avec une
thérapeute capable de faire face à la virulence des conflits
intrafamiliaux). On peut aussi observer que ce qui fonctionne avec
une personne ne fonctionnera pas nécessairement avec une autre. Par
exemple, la méthode consistant à transformer un symptôme en quelque
chose de positif est plutôt reçue avec froideur quand un adolescent
se voit suggérer qu'il fume du cannabis pour aider ses parents à
rester ensemble : si l'inquiétude commune des parents a
effectivement solidarisé ce couple en difficulté, la remarque les
fait culpabiliser, alors que l'adolescent s'offusque en expliquant
qu'il fume simplement parce qu'il aime fumer. Si les provocations du
thérapeute C fonctionnent bien avec Mme C, qui est d'ailleurs lucide
sur le fait que ça correspond à son tempérament, elles laissent de
marbre M. C qui tend à les prendre au premier degré ou à se mettre
en retrait.
Contrairement à l'impression que peuvent donner le
titre et la couverture, qui risquent de laisser penser qu'il s'agit
d'un livre grand public qui fournit des clefs pour mieux se sortir
d'une situation familiale pas évidente, le texte est souvent
technique et complexe, et le·a lecteur·ice familier·ère avec la théorie
systémique sera probablement bien plus à l'aise avec l'ensemble.
Pour qui veut faire l'effort de s'attarder sur les passages les moins
évidents, c'est l'occasion d'avoir des connaissances poussées en
systémique bien sûr, sur le fonctionnement de la recherche (aspect
qui risque d'avoir un intérêt tout particulier pour les étudiant·e·s
de Paris VIII qui font un mémoire dirigé par Nathalie Duriez!), sur
les différents mécanismes de la thérapie, ...
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