samedi 22 juillet 2017

Les cliniques de la précarité, dirigé par Jean Furtos



  Les auteur·ice·s, dans le cadre du Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française, se penchent sur le sujet qui, bien qu'essentiel, est par nature trop souvent invisible, de l'exclusion et de la précarité. Si les auteur·ice·s sont pour la plupart des médecins, l'aspect politique du sujet est bien présent, la mécanique d'exclusion étant par définition peu dissociable, même si le contraire rendrait les choses plus simples ("voici une tendance forte des pouvoirs, quels qu'ils soient : demander à la médecine de soigner un mal social en rapport avec une causalité connue et méconnue sans rien vouloir changer dans le fond"), d'une société qui inclut certains individus et en exclut d'autres.

 Cette articulation met en difficulté les soignant·e·s-même. Par exemple, si les personnes sans domicile fixe sont plus souvent alcooliques, ou schizophrènes, que la population générale, est-ce parce que la précarité les provoque ou parce que ces pathologies précipitent plus facilement vers la précarité? Dans une problématique voisine, un psychiatre explique qu'il a parfois dû rappeler, dans le cadre d'une demande d'hospitalisation sans consentement, la différence entre psychopathologie et ordre public : un comportement qui préoccupe les forces de l'ordre ne justifie pas nécessairement un séjour contraint en hôpital psychiatrique. On pourrait aussi évoquer le cas de cette demandeuse d'asile, pour laquelle les soins ont surtout consisté à attester, par certificat médical, de la réalité et de la gravité de son traumatisme : si la raison du traumatisme était bien distincte du risque d'expulsion beaucoup trop concret, une situation plus stable était un préalable indispensable à la guérison.

 Le contexte fait aussi que le sujet de la demande est particulièrement complexe. Jean Furtos parle d'ailleurs de syndrome d'auto-exclusion, quand la personne, par anticipation d'un éventuel rejet, se coupe elle-même de toute stabilité familiale, professionnelle, … Michel Bon insiste pour rencontrer l'exclu·e là où il ou elle vit, après avoir été présenté par ses interlocuteur·ice·s habituel·le·s, et d'accepter une éventuelle réaction initiale de rejet, Sylvie Tordjman dans sa propre intervention dit elle aussi que le fait de pouvoir intervenir de façon mobile, de laisser le·a patient·e choisir où la rencontre aura lieu, peut avoir une grande influence positive, d'autres proposent de contourner la réticence en émettant une demande en tant que soignant·e ("je veux vous aider car vous êtes important"), Olivier Douville évoque une personne qui est aller le chercher à son cabinet pour partir sans un mot, dans le but de se faire suivre pour guider le soignant vers une personne qui avait besoin d'aide en urgence, …

 Les situations de précarité présentées sont diverses (pauvreté, migration, prostitution, syndrome de Diogène, …), les dispositifs soignants aussi, et il va de soi que la difficulté n'est pas niée (vignettes cliniques sans visibilité sur la résolution parce que la thérapie a été interrompue brusquement, retours soudains et inattendus vers la précarité après une amélioration rapide, qu'il conviendra de comprendre voire d'anticiper, …). Certaines interventions sont assez techniques et seront lues avec plus de confort par quelqu'un qui a de bonnes connaissances en psychanalyse. Le livre a en tout cas le mérite d'explorer un pan de la clinique qui ne l'est probablement pas assez, et de compenser la brièveté des interventions en donnant des éléments pour approfondir.

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