dimanche 11 février 2018

Les enfants de parents fous, de Yves-Hiram Haesevoets



 Eduquer est un "métier impossible" selon Freud : c'est une des rares affirmations du fondateur de la psychanalyse qui, sauf erreur de ma part, n'a pas été contredite! C'est difficilement contestable pour l'enseignant·e, mais ça l'est encore encore moins pour les parents... même dans les meilleures conditions, l'éducation parfaite n'existe pas. Qu'en est-il lorsque le parent doit, en plus, faire face à des souffrances parfois écrasantes? Lorsque l'enfant est confronté aux délires, aux troubles de l'humeur, d'un parent dépressif, alcoolique, schizophrène? Aux regards de la société, voire de la famille, qui n'est pas nécessairement imperméable aux jugements de valeur et aux stéréotypes? Quels impacts négatifs, quels développements de ressources les soignant·e·s ont pu constater? Y a-t-il des conseils particuliers à donner aux parents concernés? Ces questions sont rarement traitées en tant que telles, même si elles peuvent l'être indirectement lorsqu'on se préoccupe du développement de l'enfant en général, ou lorsque dans la recherche de connaissances sur une pathologie en particulier on s'intéresse à son impact sur la parentalité. Hélas, ce livre n'aidera pas particulièrement à y voir plus clair.

 Le livre traite en effet plutôt de la maltraitance en général, avec des critères qui restent valables que les parents souffrent d'une pathologie diagnostiquée ou non, ce qui ne répond pas tout à fait aux questions qu'on se pose quand on cherche à en savoir plus sur les parents relevant de la psychiatrie n'ayant pas une attitude maltraitante. Certes, quinze maigres pages seront consacrées aux mères psychotiques (parce que les pères psychotiques, OSEF), et le syndrome de Münchhausen par procuration et les homicides conjugaux seront examinés de plus près, mais la sensation de hors-sujet demeure, d'autant qu'il est bien plus question des parents que des enfants.

 Plus que le hors-sujet, le problème est pourtant le manque de rigueur, criant (voire hurlant) au fur et à mesure qu'on tourne les pages. J'avais vaguement tiqué quand l'auteur affirmait une chose ("le diagnostic psychopathologique stigmatise, jusqu'à la dénaturer, la relation de l'enfant à son parent", "loin de donner du sens à ce que ces enfants vivent, ces concepts déshumanisent la personne du parent") avant d'illustrer l'exact opposé dans une vignette clinique ("A partir du moment où j'ai compris le sens du mot schizophrène, comme me l'a expliqué la psychologue qui me suivait, j'ai commencé à démystifier les peurs que je ressentais depuis mon enfance", "J'étais comme libérée d'un poids, celui de l'ignorance"), ou encore quand des termes porteurs de jugements de valeurs étaient utilisés dans d'autres vignettes cliniques (une patiente "se met dans tous ses états", une autre est "très bizarre", un père est "insupportable", …), mais rien ne m'avait préparé au chapitre où, sans aucune distance, les parents sont désignés comme responsables de la schizophrénie de leurs enfants! Le·a lecteur·ice se voit proposer le choix entre la notion de double lien (message verbal contradictoire avec le message non-verbal du parent, l'enfant se voyant reprocher sa réaction quelle qu'elle soit... si la notion est intéressante et que l'impact négatif sur l'enfant est difficilement discutable, l'hypothèse du lien avec la schizophrénie est ancienne et n'a jamais été démontrée) ou, s'il préfère la parodie de psychanalyse à la parodie de thérapie systémique, le fait que les parents d'enfants schizophrènes n'inculquent pas assez la différence des sexes et des générations. L'auteur a pourtant lui-même des difficultés avec la différence des générations, puisqu'il relaye en 2015 comme des vérités des hypothèses plutôt anciennes qui n'ont jamais été confirmées. Il semble en revanche au point sur la différence des sexes, puisque dans une vignette clinique sur une situation de violence conjugale il reproche à la mère de ne pas aller mieux et de se victimiser, voire de mentir, plutôt qu'au père (certes éloigné par une décision de justice) d'être violent. Il évoque aussi le Syndrôme d'Aliénation Parentale en omettant de préciser que le concept n'a aucune légitimité scientifique, a été écarté par les tribunaux qui se sont penchés spécifiquement sur la question, et que son utilisation a parfois (voire souvent) pour but de protéger les auteurs de violences.

 Le manque de rigueur général est tel que l'auteur ne parvient parfois pas à rester cohérent sur l'ensemble d'une vignette clinique (écrivant au départ qu'un homme a épousé jeune une femme psychotique "sous la pression de leur (sic) famille respective" sans savoir qu'elle souffrait d'une pathologie, et se demandant à la fin "pour quelle motivation réelle a-t-il épousé une personne malade en connaissance de cause") et que, au-delà de la paresse dans l'écriture (nombreuses phrases commençant par "n'empêche", usage très fréquent de guillemets), le tout ne semble même pas avoir été relu (d'un côté ça peut se comprendre!) puisque des expressions erronées sont dans le texte imprimé ("permet à l'enfant de […] trouver certains repérages", "laissé pour contre", …). On en est presque à se réjouir que le livre ne soit pas parsemé de fautes d'orthographe!

 Vous aurez compris que je ne recommande pas particulièrement l'ouvrage... en dehors des structures psychiques de la psychanalyse qui sont assez clairement et brièvement expliquées, ou l'utilité de l'objet pour une personne de mauvaise foi qui voudrait faire croire que tous les psychanalystes/systémiciens ont la même tendance aux affirmations fantaisistes, je vois mal son utilité : certains éléments pourraient sembler intéressants, mais comment savoir si on peut les prendre au sérieux? C'est d'autant plus dommage que l'enjeu du sujet traité est important, et à ma connaissance peu documenté directement.

2 commentaires:

  1. Alors finalement, si j'ai bien compris, un bouquin sans intérêt sur un bon sujet avec un titre accrocheur ?

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    1. Je trouve le sujet annoncé par le titre intéressant, mais le livre est une telle catastrophe (c'est surréaliste, je crois que je n'ai jamais vu ça) que ce qui est effectivement traité dedans n'a aucune importance

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