Sous la forme, le plus souvent, de récits commentés
(dont celui du mariage de l'auteur!), Carl Rogers propose des
éléments pour identifier ce qui fait qu'un mariage (ou une relation
de couple, mais il est surtout question de mariages) sera ou non
heureux, les difficultés et échecs étant tout autant source
d'enseignements que les succès.
Sans surprise, la communication est un élément
central. Si essentiel que soit cet élément, il n'en est pas pour
autant facile : la communication sincère implique l'écoute de
l'autre, y compris pour entendre des choses désagréables, et
l'éventuelle remise en question qui s'ensuit. Une connaissance de
Carl Rogers a par exemple, alors que son mariage, de l'extérieur,
semblait idéal en tous points (confort matériel, enfants, vie
sociale riche, …), souffert de découvrir qu'elle ressentait de
l'agacement en entendant la voiture de son époux rentrant du
travail : elle a alors pris conscience de tout ce qui n'allait
pas, et lui a tout envoyé à la figure. Pris au dépourvu, il en a
conclu que comme tout allait bien de son point de vue, le problème
venait de son épouse qui du jour au lendemain le faisait souffrir
bien injustement. Les échanges auraient pu être plus fructueux si
le couple avait pris plus tôt l'habitude d'échanger, mais aussi si
elle avait pris conscience plus progressivement de ce qui n'allait
pas : s'écouter soi-même est un élément non négligeable de la
communication.
L'un des obstacles à s'écouter soi se glisse dans
les injonctions de la société : personne ne se met en couple,
ne se marie, en étant affranchi d'un certain nombre de conceptions
plus ou moins rigides du rôle de chacun, du comportement à avoir, du
statut que ça implique. Le risque est de diriger ses efforts pour
"faire marcher" la relation vers la conformité à un modèle,
plutôt qu'à l'écoute de ses valeurs et désirs. Une personne
interrogée, qui n'a trouvé le bonheur qu'à son troisième mariage
(ce qui a demandé un travail sur elle-même, sur la relation, et un
changement de perspective) s'est mariée jeune avec des
attentes urgentes d'émancipation de ses parents, et la volonté d'avoir une
sexualité, sujet sur lequel elle n'était presque pas informée.
Elle a ainsi mis trop de temps à se rendre compte que le premier, puis le second mariage étaient insatisfaisants, et n'a pu apprécier
pleinement sa relation avec son troisième époux que quand elle
s'est demandée ce qui la rendait heureuse, plutôt que quel objectif
elle voulait atteindre. Le couple heureux est d'ailleurs un couple en
mouvement : Rogers a très largement montré dans l'ensemble de
son œuvre que mieux se connaître tel que l'on est permet
paradoxalement de changer. Dans la mesure où le couple implique de
mieux se connaître et de mieux connaître l'autre, on peut
s'attendre dans une relation à de riches changements de personnalité
(le dernier couple présenté -auquel Rogers avait d'abord prédit
une longévité très limitée!- réalise vers la fin de l'entretien
que, si chacun rencontrait maintenant l'autre tel qu'iel était
au début de la relation, il n'y aurait probablement pas d'attirance
mutuelle).
Les couples présentés impliquent rarement
(jamais ? je n'ai pas revérifié) seulement deux personnes :
que ce soit uniquement érotique ou qu'il y ait eu des sentiments
plus intenses, d'autres personnes ont, serait-ce temporairement, été
en situation d'intimité avec au moins l'un des deux membres du
couple interrogé. Une fois encore, l'ensemble des entretiens permet
de constater que la communication est au centre : plus que la
non-exclusivité, c'est l'extra-conjugalité qui pose
problème. Cette non-exclusivité peut en effet être acceptée
voire, comme c'est le cas pour le dernier couple interrogé, enrichir
la relation et renforcer finalement l'exclusivité du couple, lorsque
les termes sont négociés ensemble, les motivations explorées
sincèrement (Rogers n'ayant lui-même pas assez communiqué au
préalable, les compétences diplomatiques de sa fille ont du être
appelées à la rescousse pour sauver son couple!). Les communautés
où la sexualité est explicitement ouverte entre tous les membres ne
sont par ailleurs pas à l'abri des disputes, des accès de jalousie,
… L'ensemble des entretiens permet de constater que la sexualité
est en soi une part importante du couple, la communication est donc
là aussi source d'enrichissement de la relation. Rogers fait part
des difficultés qu'il a lui-même connues : alors qu'il avait
répondu à des questionnaires en tant que sujet (rémunéré, lui
semble-t-il quand il essaye de se souvenir de sa motivation initiale) d'une recherche, parler de ce sujet avec un chercheur
l'a aidé à décider d'en parler avec son épouse, plutôt que de se
contenter de constater son insatisfaction. Surmonter le tabou n'était
que la première étape : comme toute communication en cas
d'insatisfaction, celle-ci implique d'entendre des choses
désobligeantes et de se remettre en question, mais comme toute
communication, elle a permis une amélioration considérable sur le long terme.
Si les conclusions sur ce qui fonctionne ou non -si
vous avez le livre sous la main, c'est expliqué beaucoup mieux
qu'ici sur une dizaine de pages dans le neuvième chapitre- sont
assez transparentes et récurrentes à la lecture des entretiens (Rogers assure que
ce n'était pas prémédité), l'enjeu du livre, plus ambitieux, est
de redéfinir les relations amoureuses (c'est plus explicite dans le titre français, le titre anglophone se contentant d'un moins intimidant Becoming Partners). Alors que l'auteur se demande
dans l'introduction à quoi ressemblera le mariage dans 30 ans (vu
que le livre date de 1973, le suspense pour le·a lecteur·ice ne sera pas
tout à fait insoutenable), il est plus direct dans la conclusion en
déplorant que la société s'accroche au carcan du mariage et s'alarme des expérimentations alternatives sur ce
sujet pourtant essentiel (il constate que l'adultère, l'érotisme, les divorces, voire dans un cas la consommation de cannabis, cauchemars aux yeux des personnes conservatrices, ont permis à certains couples de s'épanouir -j'ai failli écrire tenir, brrr- ) au lieu de les étudier et les encourager
comme dans d'autres domaines (agriculture, ingénierie, …). Au delà
de la définition d'un couple épanoui comme un couple qui se
redéfinit sans cesse, il invite donc l'ensemble de la société à
redéfinir la relation amoureuse.
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