lundi 20 mai 2019

Beautiful boy, de David Sheff




Dans ce récit autobiographique, le journaliste David Sheff raconte l’enfer qu’il a vécu, pendant des années, suite à l’addiction de son fils aîné. De la peur ressentie, l’impossibilité de trouver la bonne attitude (est-ce qu’il ne prend pas de risques inconsidérés en étant trop sévère? en ne prenant pas assez l’incident au sérieux? en n’étant pas assez dans une attitude d’écoute?) en trouvant une première boulette de cannabis dans le sac à dos de son ado de 12 ans au basculement bien plus définitif, quand Nic adulte disparaîtra pendant plusieurs jours et admettra la consommation de méthamphétamines (selon de nombreux·ses spécialistes consulté·e·s par l’auteur, cette drogue se démarque des autres par les conséquences directes de sa consommation et les difficultés du sevrage) pour arriver, de nombreuses mais surtout interminables années plus tard, au soulagement (relatif : même après 20 ans de sobriété, la rechute n’est pas impossible). La difficulté de s’en sortir est telle que Nic a fait une rechute après la sortie du livre, pourtant publié dans une période encourageante : ce n’est que lorsqu’une psychiatre, insatisfaite du fait de considérer les rechutes comme faisant partie du processus, a pu faire un diagnostic de bipolarité et dépression, qu’un traitement a pu être proposé et que la stabilisation a pu être bien plus solide.

Si le livre est très documenté (l’auteur a publié d’autres livres sur le même thème), c’est avant tout son vécu de père que David Sheff partage. Les éléments factuels même font d’ailleurs partager son angoisse : les statistiques sont variables ("on ne sait jamais si notre enfant va faire partie des 9, 17, 40, 50 ou je ne sais quoi pour cent qui constituent la vraie proportion de ceux qui s’en sortent") et le seul consensus et que l’adversaire est d’une puissance formidable, il est d’autant plus difficile de se renseigner sur les centres de désintoxication que c’est aussi un business juteux, les réponses ne sont satisfaisantes que temporairement et amènent d’autres questions (certes la drogue modifie le cerveau et c’est un raccourci d’en faire une question de volonté, mais est-ce que ce ne serait pas aussi un raccourci d’absoudre la personne dépendante de la moindre part de responsabilité? et quel espace laisserait cette perspective aux solutions à proposer?), les conseils, des proches et même des thérapeutes, sont contradictoires, … Adroitement, l’auteur fait rentrer dans l’introduction (Nic rentre pour les vacances d’été) l’essentiel des éléments de son calvaire : le jeune adulte joyeux, adoré de son frère et de sa sœur de 10 et 12 ans plus jeunes, la peur glaçante quand il ne rentre pas à l’horaire imposé, à essayer de garder son calme en attendant d’avoir des nouvelles, l’esprit successivement se préparant au pire ou recherchant des explications rassurantes, puis Nic apparaissant enfin, menteur et agressif, avec les signes de consommation que son père sait maintenant instantanément identifier.

Le récit, tragiquement, tourne d’ailleurs beaucoup sur la répétition. La défiance, la colère, l’espoir, la culpabilité (est-ce que le divorce, dans de mauvaises conditions, y est pour quelque chose? est-ce que fumer un joint avec Nic ado, dans l’espoir de le mettre en confiance et de rompre le cercle du mensonge, a été un point de non-retour?), et surtout la douleur, intense, reviennent régulièrement. Le·a lecteur·ice devient vite familier·ère avec le rituel d’appeler les commissariats et les hôpitaux à chaque disparition, la consigne de ne jamais donner d’argent à Nic quel que soit son récit parce qu’il le dépensera immédiatement pour consommer (Nic ira jusqu’à voler l’argent de poche de son petit frère), le poids sur l’ensemble de la famille de l’angoisse constante, les périodes de sobriété en sortant de centre de désintoxication puis la rechute, puis le combat éprouvant pour réussir à communiquer avec lui pour le faire retourner en centre de désintoxication, … Ce récit est aussi celui de l’importance de ne pas rester seul·e : le fait que la famille soit soudée aide Nic mais aide aussi la famille à tenir, le fait de briser le tabou et d’en parler permet à l’auteur de découvrir que de nombreuses personnes de son entourage sont dans une situation similaire mais le gardent pour eux, les groupes de parole (Al-Anon) en plus d’offrir un espace d’échange proposent des mantras qui sont parfois difficiles à écouter (les trois C, "you didn’t cause it, you can’t control it, you can’t cure it" -vous ne l’avez pas provoqué, vous ne pouvez pas le contrôler, vous ne pouvez pas le soigner-) mais qui sont salutaires à d’autres moments, …

Le livre donne souvent l’impression d’être celui que l’auteur aurait aimé lire pour traverser ces épreuves, qui l’ont amené à des endroits dont il n’aurait jamais soupçonné l’existence (changer les verrous de sa maison pour se protéger contre son propre fils, être surpris de comprendre des gens soulagés que leur proche soit en prison car au moins ils savent où il est et il est relativement en sécurité, …). Il a d’ailleurs été beaucoup contacté par des personnes concernées suite à sa publication, mais aussi suite à un article qu’il avait écrit bien plus tôt pour le Times. La fin est moins autobiographique et concerne plus les orientations qu’il souhaite pour la lutte contre l’addiction en général, soulignant que la criminalisation du problème a des effets désastreux et que le fait de l’approcher comme une question de santé publique (couverture des soins par les mutuelles, thérapies correspondant aux conclusions de la recherche scientifique, …), en plus d’être économiquement rentable, fonctionne (c’est la direction prise par Obama avant que Trump ne fasse marche arrière). En plus d’être bien écrit et documenté, le livre a le courage de montrer à quel point les solutions existantes sont limitées, et appelle à la compassion (et l’autocompassion!) pour les victimes directes d’addiction et les proches.

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