vendredi 20 septembre 2019

When dad hurts mom, de Lundy Bancroft




 L’auteur, spécialiste des violences conjugales et thérapeute pour hommes violents, traite dans ce livre le sujet spécifique de l’impact de cette situation sur les enfants, et donne des solutions pour s’en sortir dans les meilleures conditions possibles. S’il précise bien que la violence conjugale ne concerne pas uniquement les couples hétérosexuels (il donne d’ailleurs des ressources spécifiques pour les couples lesbiens… mais n’évoque pas les couples gay) et que les hommes peuvent être victimes de violences par des femmes (il explique qu’il ne traite pas ce cas spécifique dans son livre car les mécanismes sont différents, ce qui personnellement m’a surpris), le livre dans son ensemble traitera de violence d’hommes envers des femmes. Il utilisera donc systématiquement le masculin pour parler de l’auteur, et le féminin pour parler de la victime, configuration que je vais garder dans ce résumé malgré quelques réserves.

 L’auteur écrit avant tout pour donner des solutions aux victimes, que ce soit sur le plan thérapeutique, matériel ou juridique, et son objet, conformément au thème, est avant tout de se soucier des enfants… ce qui implique de se soucier de leur mère ("c’est important de faire de votre mieux pour faire preuve de compassion envers vous même") car, il y reviendra souvent, il est indispensable qu’elle prenne soin d’elle pour être en mesure de prendre soin au mieux de ses enfants. L’une des premières questions qui peut venir à l’esprit est de savoir si un homme violent, verbalement ou physiquement, avec sa conjointe, fait nécessairement du mal à ses enfants. C’est un sujet que l’auteur va beaucoup développer, mais à toute fin utile il fournit aussi une réponse courte ("élever des enfants est peut-être la tâche la plus difficile qu’on puisse imaginer dans le cours de la vie humaine. Le faire alors qu’on est discréditée, dénigrée ou brutalisée par son conjoint est plus dur encore"). Si chaque cas est différent, l’auteur liste des comportements, et des conséquences, dont les victimes pourront reconnaître tout ou une partie chez leur conjoint ou ex-conjoint. Les hommes violents envers leur conjointe sont par ailleurs six fois plus nombreux à être violents aussi envers leurs enfants (ce qui peut inclure des violences sexuelles, à surveiller particulièrement lorsqu'il tend à ne pas respecter leur espace). Les garçons qui ont grandi dans cette atmosphère ont plus de chances de devenir violents à leur tour une fois adultes, les filles d’être victimes de violences. Même quand les violences n’ont pas lieu devant les enfants, ils en ont, l’auteur insiste beaucoup dessus, presque nécessairement conscience : les cris peuvent les réveiller, les traces de coups, les meubles cassés, sont autant d’indices qu’ils apprennent à repérer, et l’angoisse de leur mère peut être plus visible qu’elle ne le pense. Le rapport à l’autorité est perturbé aussi : l’auteur distingue trois modèles de rapports à l’autorité selon les parents. Le modèle permissif consiste à laisser les enfants faire à peu près ce qu’ils veulent quand ils veulent, jusqu’à une éventuelle explosion de colère quand l’adulte n’aura plus de patience. Le modèle autoritariste maintient au contraire les enfants dans la peur, soumis au dénigrement, sans espace pour s’exprimer, avec des exigences irréalistes, des punitions fréquentes et sévères mais aléatoires (sans proportionnalité avec la faute reprochée). Le modèle autoritaire, qui malgré son drôle de nom est celui que l’auteur considère comme souhaitable, se base sur des règles fermement établies, claires et justes, qui laissent des libertés aux enfants, des sanctions cohérentes avec lesdites règles, et une écoute des enfants par les parents. Selon l’auteur, il n’est pas rare que le conjoint violent alterne entre une parentalité permissive (par paresse) et autoritariste (par besoin de contrôle, trait de personnalité récurrent chez les auteurs de violences conjugales)… tout en ignorant l’autorité de la mère. Les enfants seront donc potentiellement face à un père qu’il est plus prudent de ne jamais contredire, et une mère dont les décisions ne sont pas respectées, qui se fait dénigrer voire insulter. Ils pourront donc être tentés à leur tour d’être insolents envers leur mère, et seulement leur mère, quand ils n’auront pas envie d’obéir. Plus insidieux, ils risquent de s’en prendre à leur mère pour la peur, la colère que la situation leur fait ressentir, dans la mesure où leur sécurité n’est pas garantie s’ils s’en prennent à leur père. L’auteur ne se contente pas de dresser ce portrait sombre, mais donne des solutions pour prendre soin des enfants, à commencer par ne pas culpabiliser : personne n’est un parent parfait, a fortiori dans ce type de situations, et l’unique responsable des violences, quel que soit le prétexte avancé, est l’auteur des violences, ce qu’il est aussi important de préciser aux enfants qui peuvent eux mêmes se sentir mal, soit parce qu’ils sont l’objet du prétexte de départ, soit parce qu’ils voudraient pouvoir mieux protéger leur mère. Il est important, aussi, d’accepter de parler des violences (sans utiliser les enfants comme support émotionnel, responsabilité trop lourde pour eux). Ils perçoivent beaucoup de choses de la situation, et chercher à dissimuler les faits les prive d’un espace pour exprimer ce qu’ils ressentent, et peut leur envoyer le message que le sujet est tabou. Sans dénigrer leur père en tant que personne, il est souhaitable aussi de verbaliser que ce qu’il fait n’est pas acceptable (c'est le cas aussi, peut-être plus encore, quand les comportements malveillants continuent après la séparation).

 La solution qui peut sembler la plus évidente… en particulier aux yeux des personnes extérieures, est de partir. Pour de nombreuses raisons, ce choix et sa faisabilité dépendent de la situation (la sécurité immédiate de la mère et des enfants étant le premier critère!). L’auteur fournit des outils pour peser le pour et le contre, et le cas échéant partir dans les meilleures conditions. Il donne en particulier des conseils pour interagir avec les services sociaux, et les services judiciaires. En cas de doute avant d’entamer une procédure, il conseille de contacter, anonymement pour que la procédure ne soit pas lancée par quelqu’un d’autre, une association spécialisée dans les violences conjugales, qui saura à quoi s’en tenir en ce qui concerne les services locaux. L’auteur est particulièrement méfiant envers la justice : les professionnel·le·s sont souvent insuffisamment formé·e·s aux spécificités de la violence conjugale, mais, il l’a abondamment constaté dans le cadre de son travail, sont tout aussi exposé·e·s, hommes ou femmes, que le reste de la population aux stéréotypes de genre. Des exemples sont donnés dont celui, alors que la mère avait une sérieuse suspicion d’inceste (sa fille qui a des gestes bizarres en rentrant de visites avec le père, par exemple l’embrasser avec la langue, et évoque des attouchements), où un juge a ordonné que l’enfant cesse tout contact non pas avec le père mais… avec son psychothérapeute, avec des résultats désastreux jusqu'à ce qu'une décision de justice plus appropriée ne soit prise. Le poids de la responsabilité des enfants est par exemple porté entièrement sur la mère, qui peut ainsi être regardée d’un œil suspicieux en tant que victime, pour ne pas avoir su protéger ses enfants de l’environnement violent. Quand le père demande des droits, cette bonne volonté paternelle, trop rare, est souvent vue avec une grande bienveillance, et le niveau d’exigence envers lui est très bas. La colère de la mère est perçue comme un manque de self-control, la colère du père comme l’indignation légitime de l’homme qu’on salit pour lui retirer ses enfants. L’opinion publique, prolongée par les tribunaux, impose une injonction contradictoire : la victime de violence conjugale ne protège pas ses enfants si elle reste, et ose les priver de leur père pour se protéger elle-même si elle part. L’auteur conseille de rester calme, quelle que soit l’injustice de la situation, pour augmenter les chances de victoire, et rappelle qu’en cas de revers même absurde, la procédure suivante sera peut-être la bonne. Il insiste aussi pour prendre un·e avocat·e spécialisé·e et impliqué·e. Le livre est américain mais, selon les témoignages des associations féministes, la situation est semblable dans la justice française. Si l’auteur appelle, en ce qui concerne les services sociaux, à la vigilance concernant, le cas échéant, les stéréotypes racistes, de classe, et homophobes, et a conscience de la peur d’être confronté à des professionnel·le·s qui ont le pouvoir de placer les enfants, il est plus optimiste que pour le système judiciaire en général. Pour mettre toutes les chances de son côté, il invite à coopérer même quand ça semble injuste, à mettre en avant les efforts faits pour protéger les enfants (les carences risquent de plus attirer l’attention), à ne pas dissimuler les failles qui vont être découvertes (consommation de drogue, violences éducatives) et à faire preuve de volonté de changer, à garder les éléments matériels pour prouver les violences conjugales donc la nécessité d’éloigner l’homme violent, …

 Une dernière partie du livre concerne le rétablissement, et invite à la persévérance (le processus peut être long et irrégulier) et à la bienveillance, qui sera le pilier qui permettra tout le reste. Le processus va potentiellement être long et irrégulier, le père peut par exemple être haï ou sembler oublié pendant des mois puis idéalisé. Des actes malveillants de sa part, insidieux (montrer ostensiblement à quel point il est malheureux depuis la rupture ô combien injuste, gâter les enfants pendant leurs visites pour contraster le plus possible avec le quotidien avec la mère, ...) ou ouverts (pression sur les enfants pour qu'ils aillent vivre avec lui, propos insultants et répétés envers la mère voire incitations explicites à lui désobéir ou à la surveiller pour lui) si le contact est maintenu avec lui, compliqueront considérablement les choses : l'auteur invite dans ce cas à rompre ce contact malsain si c'est possible, sinon de faire le maximum pour que les visites soient surveillées par un·e professionnel·le. D'autres recommandations consistent par exemple à laisser l'enfant exprimer ses émotions même négatives (il précise que les pleurs sont un signe de soulagement et non de détresse) et même quand c'est spectaculaire, à être ferme sur les manifestations de manque de respect (en particulier entre frères et sœurs), à avoir une vie sociale riche ou encore à développer l'esprit critique pour être moins vulnérable à l'aliénation que peut provoquer un vécu de violences et aux injonctions sociales de la société patriarcale (sexualisation excessive des femmes, violence vue comme un signe de virilité, ...). Pour ce dernier point, il recommande en particulier la discussion autour des publicités, qui ont pour but de faire passer l'objectif commercial de la marque pour le désir propre du ou de la spectateur·ice.

 Des ressources supplémentaires sont proposées, dont des livres de l’auteur, mais il fait aussi l’éloge de beaucoup d’autres livres, que ce soit sur le thème du système judiciaire, de l’éducation des enfants, des relations abusives en général… Si la partie théorique est claire et au service du reste, le livre est avant tout extrêmement pragmatique, orienté sur l’objectif de protéger et préserver les enfants le plus concrètement possible, et propose des conduites à tenir dans une grande diversité de situations. On peut d’autant plus regretter qu’il ne soit pas traduit en français, d’autant qu’au moment où je rédige ce résumé 107 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint cette année en France.


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