Si l'Approche Centrée sur la Personne n'est pas réputée pour sa complexité (en caricaturant à peine, on pourrait dire qu'elle consiste à restituer ce que le·a client·e vient de dire, parfois en entrecoupant de "Hmm" - dans l'un des textes il est précisé que les thérapeutes ACP sont probablement les gens qui disent "hmm" le plus souvent au quotidien- ), l'entretien thérapeutique est moins simpliste qu'il n'y paraît. Chaque intervention du ou de la thérapeute, qu'iel le veuille, voire le perçoive, ou non, révèle un choix (méthodologique, thématique, ...) qui aura une influence sur la suite de l'échange. A travers des retranscriptions d'entretiens de Rogers (dont certains peuvent être retrouvés rapidement sur YouTube), intégralement restitués ou résumés, accompagnés de commentaires (c'est pour le moins conforme au titre, on n'est pas pris·e en traître!), les auteur·ice·s donneront des éléments pour comprendre plus finement les richesses de la méthodologie.
Le livre s'adresse plutôt à un public familier avec l'ACP, mais les bases sont tout de même rappelées. On peut donner l'exemple des six éléments thérapeutiques nécessaires et suffisants (1. il y a un contact psychologique entre les deux personnes, 2. le·a client·e n'est pas en état de congruence 3. le·a thérapeute est en état de congruence 4. le·a thérapeute ressent une approche positive inconditionnelle 5. le·a thérapeute ressent une compréhension empathique du cadre de référence du ou de la client·e et fait de son mieux pour communiquer ce ressenti 6. le·a thérapeute parvient à communiquer les éléments 4 et 5), ou encore d'un dictionnaire qui recense 13 types de relances (proposer une orientation, donner des marques d'attention -le fameux "hm, hmm"-, vérifier sa propre compréhension, reformuler de façon empathique, verbaliser des sentiments que le·a client·e n'a pas formulés, rassurer, interpréter, confronter, poser une question directe, renvoyer vers le·a client·e sa demande d'aide, garder ou briser le silence, parler de soi, accepter une rectification)... d'ailleurs, pour les fans de dictionnaire, vous pourrez en trouver un encore plus conséquent dans l'ACP Pratique et Recherche d'octobre 2019. C'est pourtant, au delà de la variété des contextes (une patiente hospitalisée en psychiatrie que Rogers prend trop au sérieux au goût de certains -ça date de 1958 mais hélas d'après certains témoignages ça pourrait être contemporain-, un entretien filmé avec une interlocutrice qui va faire la même chose avec deux autres thérapeutes emblématiques, un entretien dont l'essentiel du temps sera constitué de silences, un autre où le cadre sera timidement assoupli en invitant la cliente à regarder ses dessins, ou encore un client qui entrera implicitement mais clairement dans l'opposition, ...), les moments où Rogers prend des libertés avec sa propre méthode ("J'ai la chance d'être dans une position où je n'ai pas à être un Rogérien") ou encore ceux où il semble commettre des erreurs (le regard critique est dès l'intro présenté comme un hommage) sont ceux qui vont le plus intéresser les auteur·ice·s.
Il y a en effet de la place pour se laisser surprendre... un entretien qui de l'avis du thérapeute comme du client s'est mal passé qui a un impact qui continuera de se diffuser des années après, une remarque non préméditée de Rogers qui fait fondre en larmes un client qui malgré sa tristesse insoutenable semblait peu réceptif à l'entretien, l'intégration de dessins de la cliente dans l'entretien qui sera en fait contreproductif, la cliente n'étant ni tout à fait avec ses dessins, ni tout à fait avec Carl Rogers, ... Rogers prend avec le temps de plus en plus de libertés avec son propre cadre, mais le fait que ses initiatives fonctionnent viennent, selon les commentateur·ice·s et semble-t-il selon l'intéressé, de l'intensité de sa présence empathique mais aussi de son expérience (on peut donc argumenter que s'il peut se permettre ces sorties du cadre, c'est en partie parce qu'il a longtemps su s'astreindre à y rester). Les erreurs pointées ne sont pas moins intéressantes : on peut par exemple voir Rogers ralentir au moment d'explorer la part d'ombre d'une cliente (dans un cas c'est fait de manière subtile, il s'attarde bien sur le ressenti douloureux de culpabilité sans en diminuer la violence, mais traite cette culpabilité comme un sentiment sans laisser d'espace à l'exploration, potentiellement, de sa véritable cause -on ne saura pas si la cliente a effectivement fait quelque chose de grave-), ou inviter à plusieurs reprises un client à exprimer sa colère, à s'autoriser à parler de façon vulgaire, alors que c'est un énorme inconfort pour lui (ce dernier entretien a été traduit par votre serviteur)
Plus qu'un simple recueil d'entretiens, ce qui serait déjà pas mal et un support pour une quantité certaine de travail, ce livre propose donc des outils bien précis pour affiner considérablement la compréhension des mécanismes de l'entretien ACP, et constitue une belle invitation, appuyée par des pistes concrètes, à chercher constamment à évoluer.
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