dimanche 8 novembre 2020

Psychologie du bien et du mal, de Laurent Bègue



 Les publications de Laurent Bègue sur sa page Facebook ne font généralement pas beaucoup réagir (c'est lui qui le dit, je ne me le permettrais pas!). Pourtant, quand il a relayé la question de sa fille "quelles sont les preuves que la nature humaine est fondamentalement bonne?", les réponses (humoristiques pour certaines, mais pas seulement), les questionnements sur la question, ont fusé, de personnes venant de milieux académiques très divers. L'auteur, chercheur en psychologie sociale (et même détenteur d'un prix IgNobel), va détailler, dans un texte peut-être un peu trop long pour être diffusé en réponse à un post sur Facebook, les réponses que sa propre discipline peut apporter à la question. 

 Sociale, la question l'est en effet énormément ("notre moi moral n'existe que parce qu'il est un moi social", "être sportif, intelligent ou bricoleur est une indiscutable source de bénéfices sociaux, mais les aspects de la personnalité que les autres valorisent le plus concernent la sphère morale"). Même lorsqu'on est seul·e, on l'apprend dès le premier chapitre, un simple dessin d'yeux peut influencer le comportement. Et, si l'on est souvent le premier public de ce qu'on se raconte pour justifier nos actes répréhensibles ("l'auteur, quand à lui, n'est le plus souvent pas tourmenté par le mal qu'il commet : minimisation, autojustification et rationalisation l'en préservent"), la préoccupation de notre image... et de celle des autres occupe une part conséquente de notre espace psychique. La notion de bien et de mal dépassent toutefois le cadre des recommandations et interdits, fussent-ils implicites : une recherche auprès d'amish a permis de constater que même dans une société resserrée et isolée, aux règles de vie particulièrement strictes, une distinction était faite entre ce qui est effectivement néfaste, fait du mal à l'autre, et les interdits spécifiquement communautaires (en demandant, par exemple, si telle action serait immorale de la part d'une personne ne partageant pas les mêmes croyances).

 Le groupe pousse donc a priori à bien se conduire, mais peut aussi avoir l'effet inverse, en diminuant par exemple le sens des responsabilités ("l'alcool est utile au brouillage de soi, mais si vous n'avez pas de bouteilles à proximité, vous pouvez toujours trouver un groupe de congénères pour y parvenir, car la participation collective peut produire des effets analogues")... et ce n'est pas le seul facteur qui peut avoir des effets contradictoires : l'Enfer est pavé de faux amis. Estimer qu'on est quelqu'un de très moral (représentation activée, par exemple, par un questionnaire) peut diminuer notre générosité. L'empathie, même, peut se retourner contre nous, ou plutôt, pour le coup, contre notre prochain : l'empathie envers une personne qui souffre, passé un certain seuil, peut augmenter l'hostilité ressentie envers la personne souffrante ("ce sont les personnes les plus enclines à l'empathie qui dans le milieu médical deviennent le plus fréquemment épuisées et en viennent à éviter les patients en phase terminale"). La même chose se produit avec le sentiment d'impuissance, voire avec l'intensité de la souffrance ("un conducteur accidenté sera jugé d'autant plus responsable par des observateurs que les conséquences de l'accident sont sévères"). "Les grandes douleurs sont muettes", est-ce que ce ne serait pas plus une injonction qu'une réalité? Moins surprenant, les comportements moraux demandent aussi des ressources : le fait d'avoir réfléchi à l'instant à un problème compliqué, de s'être efforcé d'inhiber une pensée ou l'envie d'avaler un beignet plein de promesses, ou bien sûr l'alcoolisation (avec un effet placebo bien costaud pour ce dernier exemple), augmente l'agressivité, l'attraction pour la triche. Un manque de ressources peut toutefois aussi avoir un effet vertueux : selon des recherches faites auprès de militaires, certains soldats, sur le champ de bataille, n'ont pas tué... parce qu'ils ne s'en sentaient pas capables!

 Le livre s'appelle toutefois bien Psychologie du bien et du mal, ce qui implique de se préoccuper du bien. Si les commentaires attendus de l'expérience de Zimbardo à Stanford, de celle de Milgram, de la personnalité autoritaire et de la théorie du monde juste sont bien au rendez-vous, et en abondance, des éléments seront aussi donnés sur ce qui pousse à des comportements vertueux. Le mimétisme est un élément important : grandir dans un milieu bienveillant ("des enfants dont les parents consacrent du temps ou de l'argent à une cause ou pratiquent le don du sang sont plus enclins à s'en inspirer et à faire de même"), tendre à ressentir de la culpabilité (qui pousse à avoir envie de réparer les conséquences de ses actes) plutôt que de la honte (qui provoque des sentiments centrés sur soi, de l'hostilité) donc prêter à l'autre une certaine perception de nous-mêmes... supposer la bonté chez les autres est même un indice de notre propre prédisposition ("si vous souhaitez augmenter vos chances de savoir si votre voisin manipule les autres, trompe sa femme ou les services fiscaux, interrogez-le sur le pourcentage de gens qui s'y adonnent!").

 Les exemples donnés, les thèmes évoqués dans ce résumé ne recouvrent qu'une infime partie du livre, qui contient énormément, énormément d'exemples sourcés. Si la lecture est facile et agréable, ça ne dessert en rien la complexité des sujets traités : la plupart des affirmations sont nuancées par des éléments contradictoires qui contraignent à affiner la réflexion (c'est peut-être le seul défaut du livre : on apprend un peu trop vite pour digérer tout ce qui devrait l'être), et même un·e spécialiste apprendra probablement quelque chose, serait-ce un détail mais qui peut avoir son importance, sur les sujets concernés. 

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