mardi 15 décembre 2020

Dibs, de Virginia Axline


  Dibs a cinq ans, et met vraiment en difficulté le personnel, pourtant bienveillant, de l'école privée dans laquelle il est scolarisé. S'il sait parfaitement exprimer son désaccord en frappant l'élève qui aurait l'indélicatesse de trop s'approcher de lui, ou en rendant la tâche ardue à la personne qui lui met son manteau au moment de partir, il ne parle pas ou presque, reste seul l'essentiel de la journée, semble parfois apprécier de regarder longtemps un livre "comme s'il le lisait". Les réunions d'équipe ne permettent pas de trouver une réponse (bien que le sujet revienne souvent!), le pédiatre de l'école n'en a pas plus. Autisme? Retard? Psychose? "Le plus souvent il semblait que son univers était une réalité douloureuse, faite de tourments et de malheur". Les autres parents d'élèves marquent des signes d'impatience envers cet enfant qui frappe et griffe, et il est décidé, en dernier recours avant un renvoi, de l'envoyer en thérapie avec une psychologue clinicienne qui se trouve être Virginia Axline.

 L'autrice est une thérapeute rogérienne, et sa façon de procéder est assez orthodoxe : l'enfant fait et dit ce qu'il veut (dans la limite d'éventuelles interdictions... mais en l'occurence Dibs renverse un pot de peinture par terre pendant une séance, donc niveau interdictions ça n'a pas l'air super strict) avec ce qui est disponible dans la salle de thérapie ("play room", salle de jeux), le ou la thérapeute l'accompagne de façon empathique, sans orienter, juger ni interpréter. Virginia Axline se retiendra par exemple de féliciter Dibs pour ne pas envoyer le message implicite que certains comportements sont plus souhaitables que d'autres (et en effet elle constatera que Dibs a tendance à faire une démonstration de performance scolaire/intellectuelle, comme un pas en arrière, quand il sent que ses émotions commencent à avoir trop d'emprise), et ne cherchera pas à le réconforter en minimisant une situation quand il ira mal (ce sera surtout le cas à la fin des premières séances, où il fera comprendre assez clairement qu'il n'a vraiment pas envie de partir... la stratégie de la thérapeute sera alors de l'amener à distinguer ses pensées, ses émotions et la réalité de la situation). Mais sa plus grande difficulté avec l'approche non-directive sera probablement de... ne pas se renseigner sur les progrès à l'école et à la maison.

Des progrès, Dibs en fera pourtant très vite. Dès la première séance, il parle, montre qu'il sait lire (en fait de retard mental, son QI sera évalué à 168 après la thérapie), et même si "Mme A" se refuse à interpréter, ses premiers jeux ont un contenu assez riche. Au fur et à mesure des séances, la communication sera plus fluide, la frustration et en particulier la séparation seront de mieux en mieux gérées, au point que Dibs décidera lui-même de mettre fin à la thérapie (en choisissant de faire une dernière et unique séance après la longue pause des vacances d'été). Il répétera régulièrement à quel point cette heure hebdomadaire est importante pour lui. La colère exprimée contre sa mère, sa sœur mais surtout son père à travers les jeux sera de plus en plus explicite, mais aussi plus apaisée à la fin de la thérapie. Virginia Axline finit aussi par obtenir des informations de l'école : il semble infiniment plus heureux, parle et joue avec les autres enfants, danse et invente des chansons, et apprend à lire avec les autres (à la grande surprise de la thérapeute, il fait en fait semblant de ne pas savoir tout à fait lire et de déchiffrer au même rythme que les autres). Mais des moments essentiels ont pourtant eu lieu sans Dibs : à deux reprises, sa mère, qui a dit avec beaucoup d'insistance qu'il n'était pas question qu'elle donne des informations sur elle ni sur le père, demande un entretien et s'effondre (Axline, lorsqu'elle rapporte ces moments, insiste sur l'importance fondamentale du non-jugement, et sur l'importance de laisser la personne qui a demandé l'entretien de prendre l'initiative de la parole, même si ça implique de commencer par un silence).

 L'arrivée imprévue de Dibs a été un choc pour elle et son époux, un frein insupportable à leurs brillantes carrières (elle est chirurgienne et lui scientifique). Ni l'un ni l'autre n'avaient envie d'avoir un enfant, ne s'en sentait les compétences. La parentalité a été appréhendée sous l'angle de la performance : elle a cherché à lui apprendre le plus de choses possible le plus vite possible, l'essentiel de leur relation se résumait à l'utilisation de matériel éducatif. Le père, lui, est intransigeant, dénigre et punit vite (Dibs est particulièrement marqué par la fois où il a été enfermé dans sa chambre pour avoir renversé quelque chose en courant le rejoindre alors qu'il rentrait). Son état qui pouvait évoquer l'autisme ou le retard mental a été d'autant plus insupportable pour eux : en fait de performance à présenter à leurs proches, la sensation était celle d'un échec, alors que la parentalité était déjà un sujet de honte puisqu'elle les avait freinés professionnellement. La douleur de voir Dibs si distant a finalement permis à sa mère de voir le problème que posait sa propre distance, et leur relation s'améliore radicalement pendant la thérapie (c'est le cas aussi, mais infiniment plus progressivement, avec le père).

 La théorie de l'attachement n'existait pas encore (ou alors dans ses balbutiements) au moment de l'écriture du livre, mais difficile de ne pas y penser! Tous les besoins de Dibs sont remplis, mais l'absence de véritable relation avec son père et sa mère génère la douleur insupportable qui explique son état au début du livre. Il a énormément de mal à supporter la séparation (à l'école comme en thérapie, même si des progrès rapides sont faits), et il exprime assez clairement pendant une séance que s'il reste loin des autres élèves, c'est qu'il a envie de jouer avec eux mais ne peut pas prendre le risque d'être rejeté. L'approche positive inconditionnelle, pilier de l'Approche Centrée sur la Personne de Rogers, la régularité des rendez-vous (toujours le même jour à la même heure, pour la même durée), ont donc probablement été pour beaucoup dans la réussite de la thérapie.

 L'autrice précise dans le dernier chapitre et l'épilogue que l'histoire de Dibs a inspiré nombre de ses élèves, et elle a eu de ses nouvelles par hasard à plusieurs reprises. En dehors de l'aspect inspirant difficile à contester, c'est aussi une bonne illustration du potentiel et du fonctionnement de l'ACP adaptée aux enfants.

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