Dans ce livre qui rappelle par bien des aspects How clients make therapy work (il me semble d'ailleurs que c'est dans celui-ci que j'ai entendu parler de celui-là), les auteurs proposent des solutions pour aider ceux et celles que des années de thérapies ne sont pas parvenues à aider. Si les professionnel·le·s les plus désespéré·e·s sont parfois tenté·e·s de les appeler "tueur·se·s de thérapeutes", les auteurs préfèrent le terme de vétérans de la thérapie, car comme les vétérans iels sont expérimenté·e·s, portent des cicatrices, ont traversé des moments très durs.
Une méthode, dans 200 petites pages, pour résoudre des situations sur lesquelles des expert·e·s se sont cassé·e·s les dents pendant des années? Autant dire que j'étais intrigué avant la lecture. Et en effet, alors que vu le sujet on pourrait s'attendre à un guide détaillé avec des piles de recommandations, l'idée principale est de... mettre de côté sa propre expertise, ce qui fait pour le moins gagner de la place! Plus que desdits vétérans, le livre est une invitation à se méfier de soi-même. Trop de théorie peut en effet amener à décider unilatéralement de ce en quoi consiste le problème et sa solution, à accélérer au lieu de ralentir quand la thérapie ne fonctionne pas, voire à être de plus en plus rigide, devant l'échec, dans ses conceptions et ressentir une hostilité grandissante envers cette personne qui décidément ne veut pas rentrer dans les cases malgré tout nos efforts (c'est le contretransfert théorique, un concept qui revient souvent). A la lecture, on comprend vite pourquoi Carl Rogers, le créateur de l'Approche Centrée sur la Personne, et John Weakland, systémicien de l'école de Palo Alto, sont évoqués dans l'introduction : l'écoute empathique de l'ACP, la confiance dans les compétences de la personne écoutée, la richesse technique de l'école de Palo Alto pour faire des pas de côté et mieux délimiter les objectifs véritables, sont en effet au cœur du livre. Une autre clef importante, quand rien ne va plus, est de prendre de la distance... émotionnellement d'abord, potentiellement avec une pause au milieu de la séance, en expliquant ce qui se passe, mais aussi théoriquement, en demandant de l'aide à d'autres professionnel·le·s. Pour les auteurs, les difficultés doivent être communiquées aux client·e·s, qui tendent plutôt à ressentir de la gratitude envers les efforts qu'on leur accorde : s'ils continuent de souffrir, voire si leur état s'aggrave, iels auront de toutes façons parfaitement compris que leur thérapeute n'arrive pas à les aider.
Avant d'être une liste de solutions, le livre est donc un appel à l'humilité. La leçon est d'autant plus éloquente que certains propos particulièrement limpides sont tenus, via des vignettes cliniques, par les client·e·s même... et comme si ça ne suffisait pas, les premiers le sont par une enfant de 10 ans qui, malgré son jeune âge, peut déjà prétendre au statut de vétéran (plusieurs thérapeutes consulté·e·s, médication, thérapie de groupe, ...) : "Mes autres thérapeutes ne m'ont jamais demandé sur quoi je voulais travailler. Ils m'ont posé des questions sur des sujets où je n'avais pas vraiment envie de répondre. Ça ne devrait pas plutôt être à moi de vous dire ce que j'en pense?" "tu viens parler à une personne, pour te débarrasser de tes problèmes et travailler dessus. Et au lieu de ça il te dit ou elle te dit son avis sur ce qui s'est passé", "Je suis restée assise comme ça et elle a parlé pendant toute une heure et j'ai à peine pu en placer une", "En fait les psychiatres ne comprennent pas... tu as aussi les solutions, pour toi-même, mais ils disent "on va essayer ci, on va essayer ça", et ça n'aide pas". Si Molly est aussi remontée, c'est en partie parce que son problème a été réglé très vite une fois qu'on lui a... demandé son avis. Elle dit elle-même que la même solution proposée par un tiers aurait moins bien fonctionné. Elle avait des cauchemars, avait peur de dormir seule dans sa chambre, et la première solution qui est venue d'elle (faire une barricade d'oreillers et de peluches) s'est trouvée être efficace.
La théorie est très vite expédiée, mais comme elle consiste principalement en des variantes d'humilité, l'essentiel du livre consiste en des exemples concrets d'application, à travers des vignettes cliniques commentées, qui semblent plus ou moins rangées par ordre de difficulté. Du coup, tout va bien, il suffit d'être humble et de laisser tomber la théorie, et on est capable non seulement de soigner, mais de le faire mieux que des légions de thérapeutes? On peut fermer les facs de psycho, les instituts de formation? Malgré la sensation confortable que j'ai parfois eue en lisant des appels à prendre de la distance avec la théorie qui consistaient en grande partie à... appliquer la théorie à laquelle je me forme (écouter sans affirmer, laisser le·a client·e déterminer sa souffrance, son objectif, et les moyens qui lui conviennent pour s'en sortir), ce n'est pas si simple. Même en étant bien intentionné·e, surtout en étant bien intentionné·e, on peut vite se prendre les pieds dans le tapis. Les conseils même donnés dans le livre ont parfois contribué à l'échec. C'est dit de façon très claire, se placer au dessus, soi-même ou la méthode employée, des thérapeutes précédent·e·s, n'est une attitude ni pertinente ni constructive... et pourtant, n'est-ce jamais tentant quand des personnes placent leur espoir en nous en se plaignant des professionnel·le·s qui ont échoué avant? Un thérapeute tombe en plein dans ce piège, et ce n'est que quand il constate explicitement qu'il est dans une impasse que les client·e·s (un couple) commencent à aller mieux. Voir la personne en entier, plutôt que se concentrer sur ses déficits, permet de mieux orienter la thérapie... sauf pour ce client qui ne supporte pas la moindre suggestion qu'il pourrait aller bien, parce que ça lui donne la sensation qu'on veut se débarrasser de lui. Prendre le temps de définir les objectifs à partir de la demande des client·e·s, c'est primordial, mais lesdits objectifs peuvent vite être perdus de vue quand la plainte, dans le courant de la thérapie, contraste avec la demande faite au calme.
Difficile de choisir un thème plus approprié que celui des vétérans de la thérapie pour un appel à la capacité à se remettre en question, à croire en ses compétences (ce n'est certainement pas un appel à jeter la théorie à la poubelle, d'ailleurs les vignettes cliniques sont introduites par l'état de la science sur le sujet) mais aussi à cesser de s'y accrocher quand elles mènent à une impasse. Pourtant, l'humour, l'humilité des auteurs eux-mêmes, l'aspect concret des conseils donnés (ils ne disent pas juste de prendre de la distance, ils disent très précisément comment le faire), les compétences, abondamment illustré·e·s, des client·e·s pour surmonter les obstacles si imposants soient-ils, rend l'ensemble du livre plutôt motivant et apaisant. Il ne semble pas avoir été réédité depuis sa parution en 1997, mais seuls quelques passages discrets rappellent son ancienneté (en particulier sur le trauma dissociatif, identifié comme tel très récemment à l'époque). En revanche, il n'existe malheureusement pas en français.
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