Si le titre est pour le moins intrigant (c'est vrai, ça, comment on fait pour faire rire un·e paranoïaque?), il semble pourtant viser un public extrêmement restreint (admettez que vous ne vous posez pas cette question très souvent...), d'autant que le livre ne s'adresse pas aux humoristes mais bien aux thérapeutes (plus particulièrement aux psychanalystes). Hors, c'est explicité dans l'avant propos, cet instant désigne en fait l'essence même de la thérapie : c'est l'instant où le·a thérapeute a suffisamment abaissé ses propres défenses, levé le masque du statut et de la technique, permettant au ou à la patient·e, même paranoïaque, d'être suffisamment sécurisé·e, de se permettre d'abaisser en retour ses propres défenses, et de rire avec le·a psychanalyste. C'est l'instant où la rencontre véritable peut enfin advenir.
Ce signe "égal" entre la rencontre véritable et la guérison est fait par l'auteur suite à un travail important sur la notion de transfert : le·a thérapeute, du point de vue du ou de la patient·e, est d'abord (et, potentiellement, longtemps) un·e thérapeute imaginaire, correspondant à ses représentations. Cette représentation prolonge l'enfermement dans les symptômes, dans la plainte, qui avaient initialement motivé la thérapie ("tant que demeure le transfert nous sommes tendus vers l'autre tout-puissant auquel nous demandons la reconnaissance"), et il sera d'autant plus difficile d'en sortir que la guérison en profondeur implique un saut du connu vers l'inconnu ("la tentation de se plaindre vient d'être retirée à l'analysant, celle d'attribuer ses malheurs", "il est désormais seul au monde face à la vie"), loin du confort du symptôme puis du transfert ("il s'agit pour commencer de distraire le patient de ce qu'il est venu explicitement demander, et de faire porter son attention sur ce qu'il est venu implicitement demander et qu'il fait tout pour ne pas considérer"). Hors ce saut dans l'inconnu nécessite, pour sortir de l'éventuel enlisement dans le transfert, un mouvement de l'analyste : pour toucher le·a patient·e, iel doit se laisser toucher aussi ("la fin de l'analyse commence par la modification de l'analyste"), et renoncer au confort que peut avoir le statut de thérapeute ("faire de l'autre peut donc consister à produire un automate, et c'est pratiquement toujours ce que ne peut pas s'empêcher de viser un éducateur (ou un analyste) avec toutes les justifications d'usage").
Si le propos, la thématique sont assez constants dans la série d'articles qui constitue ce livre, ils voisinent avec d'autres articles (un en particulier, "Sur l'épistémologie de la psychanalyse") qui critiquent fermement la psychanalyse. Il y a pourtant une continuité qui devient rapidement assez claire : lorsqu'il écrit que la psychanalyse est un mythe et non une science car les concepts développés ne servent qu'à créer une légitimité aux concepts précédents (on tire, par exemple, telle ou telle conclusion de l'existence de l'inconscient, mais lesdites conclusions ne démontrent pas l'existence de l'inconscient), que le passage de Lacan par la linguistique n'est que le même tour de passe-passe en plus élaboré, quand il constate que la première génération de psychanalystes s'est démarquée de Freud alors que la tendance, plus tard, était au contraire d'être d'accord avec ses propres maîtres ("nous prenons le discours de Freud si nous sommes freudiens, celui de Mélanie Klein si nous sommes kleiniens, celui de Lacan si nous sommes lacaniens, pour des discours qui disent le vrai, et que nous aurions seulement à assimiler, à reproduire et, éventuellement, à développer"), est-ce que ce n'est pas une invitation à renoncer activement à notre orgueil, à la confiance dans nos propres fondations, et à rechercher le mouvement? La relation thérapeutique proposée par François Roustang consiste à avoir comme objectif, quand c'est le moment, l'explosion plutôt que la continuité, de renoncer à la stabilité quand elle n'a plus sa place, ce qui ressemble furieusement à son attitude épistémique.
En parlant d'épistémie, difficile d'évaluer l'efficacité de la proposition, d'autant que peu (euphémisme) de vignettes cliniques sont proposées pour savoir comment il s'y prend concrètement. La démarche provocatrice de s'adresser à des expert·e·s (revues de psychanalyse, conférences, ...) pour critiquer avec virulence les limites de l'expertise reste intéressante, et constitue un plaidoyer très énergique pour une thérapie constituée d'ouverture authentique, de mouvement, de rencontre.
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