Dans ce livre que je pensais bien plus ancien (il date de 1996), Eugene Gendlin expose dans une première partie, de façon détaillée, le fonctionnement pratique du focusing, puis, dans une seconde partie, explore les passerelles existantes avec différentes approches, ce qui l'amène à des développements personnels sur l'essence, selon lui, de la thérapie.
Gendlin fait remarquer que comprendre un problème ne suffit pas à le régler, même si l'explication est super classe et élaborée et, pire, même si elle s'incrit parfaitement dans le modèle théorique supériorissime du ou de la thérapeute. Il parle d'impasse quand la compréhension est aboutie mais que le changement ne suit pas (tout en actant qu'il existe aussi des impasses avec le focusing, d'autant plus qu'il consacre un chapitre aux techniques pour les contourner). Si le focusing inclut bien la partie rationnelle du psychisme (l'auteur doit le rappeler plusieurs fois, parce que ce n'est vraiment pas le point de départ), c'est le corps, puis l'intuition, qui sont d'abord écoutés, permettant d'identifier plus précisément ce qui se vit, d'explorer des pistes potentiellement inattendues, de confirmer avec le ressenti si la direction prise est ou non la bonne : le·a client·e ne se dit plus "ça doit être ça", mais "c'est ça". Le point de départ est un sens corporel ("felt sense"), sur lequel l'attention sera dans un premier temps dirigée, avant de laisser la place aux émotions, images qui surviennent, de les préciser (seulement dans un second temps : les vignettes cliniques le rappellent, les silences ont une place très importante dans le processus), puis de chercher à les comprendre. Un problème lourd peut parfaitement avoir de nombreuses strates, et la répétition (en plusieurs séances! Gendlin invite d'ailleurs à finir la séance sur quelque chose de léger -voire prendre le thé, au sens propre- quand une avancée importante a été faite) fait aussi partie intégrante du focusing. Le livre rentre vraiment dans le détail de la technique, exemples à l'appui (avec la bonne idée d'utiliser des extraits d'entretiens de thérapeutes en formation), des moyens de déclencher le sens corporel (inviter le·a client·e à se dire que tout va bien semble être extrêmement efficace!) à son exploration, ce qui demande un équilibre complexe entre guider, être présent·e, et laisser de l'espace.
Le focusing est une influence majeure de l'Approche Centrée sur la Personne (d'où ma surprise devant la date de parution du livre), au point que j'identifiais presque la méthode comme une fraction de l'ACP. La filiation se fait encore plus sentir dans la seconde partie : si l'ouverture de Gendlin à la psychanalyse et même au behaviorisme le plus classique (répéter un comportement, lorsque ça implique de surmonter un blocage, génère aussi un changement intérieur) est réelle alors qu'on pourrait (très) difficilement l'imaginer chez Rogers, l'intransigeance envers la liberté du ou de la client·e (la séance lui appartient, c'est dit en ces termes), l'importance de la relation et de l'authenticité ("heureusement le thérapeute n'a pas à être un type particulier de personne, juste une personne. C'est un fait qui est générateur d'une solide sensation de paix. Je dois simplement être là pour qu'on puisse me trouver"), l'humilité nécessaire du ou de la thérapeute (pour Gendlin c'est même important que le·a client·e intègre rapidement que le·a thérapeute peut se tromper, pour pouvoir le·a corriger quand c'est nécessaire sans que ça ne nuise à la fluidité de l'échange) sont autant d'échos pour le moins limpides. Il va même plus loin que Carl Rogers lorsqu'il dit que l'effort d'empathie du.de la thérapeute n'a pas à être ressenti par le.a client.e (l'une des conditions nécessaires et suffisantes selon la théorie de l'ACP), mais simplement être là pour que le.a client.e puisse le percevoir quand ce sera le moment. Le chapitre sur la relation client·e-thérapeute, l'un des plus longs du livre, aurait d'ailleurs probablement pu faire l'objet d'un résumé à lui seul, et le chapitre sur la définition de la thérapie, très personnel, est riche aussi. Gendlin a aussi une approche intéressante et originale du Surmoi : aussi irrationnel que le Ça, c'est une amplification, en plus virulent, des injonctions parentales et sociales. Pire, cette voix est contreproductive, amenant à s'autoflageller plus qu'à faire des efforts. Si la meilleure réponse au quotidien est de l'ignorer, comme une personne bavarde qui a tendance à dire des choses inintéressantes, il reste possible d'en extraire du positif en explorant la vulnérabilité qui est dissimulée derrière l'agressivité (l'auteur fait un parallèle avec le magicien d'Oz, homme chétif caché derrière un paravent qui projette l'image d'une créature impressionnante).
Les deux parties, technique et théorico-philosophique, sont donc riches et intéressantes pour des raisons très différentes. Le livre constitue une brique de plus, précieuse, dans l'édifice de la psychologie humaniste.
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