dimanche 25 avril 2021

Le cerveau attentif, de Jean-Philippe Lachaux



 Difficile à mesurer et même à définir, l'attention est pourtant une préoccupation fréquente. Jean-Philippe Lachaux, chercheur en sciences cognitives, nous éclaire dans ce livre sur ce que la science peut nous en dire, avec des aller-retours entre le fonctionnement détaillé du cerveau et les applications au quotidien.

 Ne pas perdre (encore!) ses clefs ou renverser son café (ceci n'est absolument pas autobiographique), finir d'apprendre ce chapitre de psy sociale malgré la tentation pressante et répétée de faire un tour sur les réseaux sociaux ou sur Animal Crossing (la tentation inverse s'avère souvent, tant mieux ou tant pis, beaucoup moins irrésistible), écouter ce que dit le.a prof plutôt que cette voix intérieure qui joue et rejoue une conversation à venir ou qui chante Ça fait rire les oiseaux... l'attention, on y prête généralement son attention quand elle nous fait défaut. Et si l'auteur sympathise avec cette frustration ("les contraintes de l'esprit sont plus difficiles à admettre que celles du corps, parce que leur cause est moins immédiatement visible") et qu'il donne des astuces pour mieux s'en sortir, il insiste surtout sur leurs limites, comparant l'attention à un animal sauvage, qui réagit mieux aux tentatives d'apprivoisement qu'à la contrainte.

 L'attention, c'est d'abord un choix, celui de sélectionner parmi l'infinité de stimuli de notre environnement celui sur lequel nos sens, voire nos capacités exécutives (dans un deuxième temps... l'auteur compare le processus à un policier appelé sur une enquête, qui décide ensuite éventuellement d'informer le commissaire qu'il faut y consacrer des ressources), vont se centrer. Et les candidat.e.s sont nombreux.ses : ce qui est nouveau, ce qui se démarque (couleur vive, son bruyant, ...), ce qui alerte de l'éventualité d'un plaisir (la certitude et l'intensité du plaisir en perspective augmentent d'autant la sensibilité) ou d'un danger... Ce premier niveau de capacité attentionnelle est facilement capté, et implique non seulement les sens mais aussi le mouvement (Jean-Philippe Lachaux met au défi le.a lecteur.ice de se déplacer en se forçant à regarder pendant tout le trajet dans une direction fixe). Ça a certes bien des inconvénients, mais fait aussi office de signal d'alarme, ce qui constitue un avantage certain (Platon rapporte que Thalès a déjà été plongé dans ses réflexions mathématiques au point de tomber dans un puits). Et la liste d'obstacles, déjà longue, ne s'arrête pas là : les sources de distraction ne sont pas seulement externes, mais aussi internes. Ceux.elles qui ont essayé de s'adonner à la méditation, même (surtout?) brièvement, ne le savent que trop bien : les conversations intérieures démarrent vite, très vite, et tendent à se prolonger un temps certain avant même qu'on ne s'en aperçoive.

 Tout ceci serait moins contrariant si l'attention n'était pas si sélective... Mais, hélas, on peut difficilement à la fois se concentrer sur sa respiration et converser passionnément avec soi-même, se préoccuper la couleur de chaque voiture qui passe et arriver dans un délai raisonnable à la destination choisie, ... Le fait que cette sélectivité permette aussi d'inhiber (on ne peut pas suivre deux conversations à la fois, mais on peut écouter l'une ou l'autre même si on entend deux conversations à la fois) n'est potentiellement qu'une maigre consolation. Un comble : trop de concentration peut nuire à la concentration, comme le.a soldat.e qui ne sait plus marcher au moment où il.elle apprend la marche militaire qui n'est pourtant qu'une amplification du pas normal, ou le.a sportif.ve de haut niveau qui perd ses moyens quand l'enjeu est trop élevé (tirs au but, ...). Vous pouvez faire l'expérience en faisant scrupuleusement la chasse aux erreurs d'orthographe dans un texte : malgré une lecture extrêmement attentive, vous n'en aurez probablement pas retenu le sens. 

 Mieux connaître ces spécificités, en grande partie liées au fait que le cerveau est partisan du moindre effort ce qui permet, précisément, de faire plusieurs choses à la fois (réfléchir sans tomber dans un puits, sauf si on est Thalès, ne pas rester planté devant sa casserole pendant tout le temps de la cuisson des pâtes -ou du baekeoffe!-, ...). L'auteur conseille en particulier de créer des bulles, c'est à dire à la fois de décider en amont de ce qu'on veut, et de ce qu'on ne veut pas. Les bulles impliquent de bien connaître son environnement et ses préoccupations : combien de temps je peux consacrer à cette activité, et à rien d'autre? A quoi je dois rester vigilant (appel téléphonique potentiel, chat qui veut renverser la plante verte, rendez-vous à venir, ...), et combien de temps je peux relâcher complètement ma vigilance en toute sécurité? S'écouter, c'est aussi savoir remettre concrètement et activement à plus tard les préoccupations qui ne pourront être gérées de façon productive que plus tard ("nous sommes face à nos distractions comme un enfant au cinéma, convaincu que l'acteur meurt vraiment"). L'auteur donne aussi des conseils plus techniques pour mieux maîtriser l'attention au niveau chimique (et il le fait.... dans l'épilogue, moment où traditionnellement l'attention baisse!), mais je n'ai pas un niveau de maîtrise suffisant du sujet pour les restituer ici.

 Le livre est exigeant au niveau technique tout en restant très accessible, et permet d'y voir beaucoup moins flou dans les dimensions diverses de l'attention même si on ne maîtrise pas les détails les plus spécialisés, en particulier neurologiques, fournis (ils sont explicités, mais comme j'ai pu le constater sur mon bulletin de notes en L1, la neurologie ne s'apprend pas de façon express même si on peut vite comprendre pas mal de concepts). Les expériences scientifiques sont reliées aux aspects les plus concrets de la vie quotidienne, et, hommage cohérent tant le zen a exploré le domaine longtemps avant les neurosciences, les chapitres sont introduits par des haïku (la lecture pourra vous permettre de considérablement développer, par exemple, "Eternuant/Je perds de vue/L'alouette" ou "Le rossignol!/ Mes mains au dessus de l'évier/S'interrompent").

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