samedi 12 juin 2021

Ecouter, parler : soigner, de Philippe Aïm

 

 

 Frustré de ne pas avoir de référence bibliographique de synthèse à conseiller aux soignant·e·s rencontré·e·s lors de formations sur les clefs utilisables pour faciliter la relation thérapeutique, Philippe Aïm a fini par l'écrire. Si le cadre théorique est très (très) clairement celui de la thérapie systémique, l'idée est de proposer des outils opérationnels et simples à comprendre, sinon à utiliser, pour tout·e soignant·e (médecin, infirmier·ère, psychothérapeute, ... -"ces outils sont à ajouter aux vôtres. Il n'existe pas d'ordre véritable et vous pouvez jongler parmi eux au gré de la conversation").

 Si les propositions sont diverses, elles ont en commun d'être autant de pistes pour surmonter des impasses, qu'elle soient relationnelles ("si le problème est le patient, vous exposez la relation à être une lutte contre le problème, donc contre le patient") ou liées à un problème, une souffrance, qui semble insurmontable (et, par la force des choses, c'est souvent le cas : les patient·e·s ont généralement épuisé un certain nombre de solutions avant de se tourner vers un.e thérapeute). Plus qu'une solution, l'important est de créer un espace de mouvement. L'auteur fait une analogie avec une personne qui serait bloquée sur un mur d'escalade. Peut-elle bouger un bras? Non. Peut-elle bouger une jambe? Non. Peut-elle bouger la tête? Oui, certes, mais ça ne sert à rien... ah si, il y a cette prise que la personne n'avait pas vue. Même dans les situations de contrainte (Philippe Aïm est psychiatre, donc a probablement été confronté professionnellement plusieurs fois à ce type de situation), il insiste là-dessus, c'est essentiel de toujours laisser un choix ("vous voulez que je vous amène un verre d'eau?", "nous allons devoir vous isoler pour que vous puissiez vous calmer, est-ce que vous souhaitez aller dans votre chambre ou dans une autre pièce?").

 Pour que la parole du ou de la soignant·e soit entendable, iel doit d'abord écouter, et surtout faire savoir qu'iel écoute : pour s'accorder sur la façon d'avancer vers des solutions, des objectifs, encore faut-il s'assurer que ce soient ceux du ou de la patient·e. Cette délégation au moins partielle de l'expertise aux patient·e·s est appelée position basse, et le terme reviendra très souvent. Elle permet aussi de rendre plus constructive une relation qui s'inscrirait sous le signe de la défiance ("si une bonne idée, mal exprimée n'a aucune chance de passer, l'inverse, en revanche..."), par exemple de la part d'une personne qui a eu un parcours difficile avec d'autres soignant·e·s (une première étape peut alors être de souligner le courage qu'elle a de consulter encore, plutôt que de déplorer un manque de confiance d'office, ce qui pourrait déclencher une escalade symétrique, autre terme qui revient souvent). Reconnaître la souffrance (tout en étant sincère, sinon ça se verra... "vous souffrez beaucoup de cette situation" est à préférer à "c'est terrible ce qui vous arrive", si intérieurement vous ne voyez vraiment pas ce qu'il y a de si terrible), reformuler pour s'assurer de la compréhension tout en utilisant des termes dits "parachute" pour souligner qu'on peut se tromper et être corrigé·e ("si je comprends bien", ...), permettent à la fois d'avoir plus d'éléments sur la situation et de créer une situation de coopération (en position haute, c'est par définition le·a patient·e qui attend du ou de la soignant·e qu'iel fasse tout le travail, et en prenne toute la responsabilité). Une bonne prise en compte de la demande peut permettre d'avancer... même quand le·a patient·e est quelqu'un qui demande rien : une vignette clinique est présentée où un homme consulte parce que son épouse l'y oblige (il reconnaît à demi-mot une addiction aux jeux mais, selon ses dires, aujourd'hui tout est sous contrôle). Le thérapeute lui demande alors ce qu'il faudrait faire... pour que son épouse ne l'oblige plus à consulter, et peu à peu un travail thérapeutique démarre, avec un véritable engagement.      

 Une fois la demande entendue, des outils sont fournis pour la décomposer, mieux comprendre la situation dans son ensemble, percevoir d'autres angles d'approche, en d'autres termes sortir d'une souffrance qui serait un bloc insoluble ("mon couple va mal", "je n'arrive pas à arrêter la cigarette", ...). Une première approche proposée est de s'appuyer sur les ressources du ou de la patient·e : ce qu'iel a fait jusque là, ce qui a fonctionné, les moments où ça va mieux, voire les aspects positifs du symptôme. Une solution complémentaire est de se concentrer sur ce que la personne veut (ce qu'elle ne veut pas, en général, c'est extrêmement clair) : qu'est-ce que le changement va lui apporter? Quand ça ira mieux, comment le saura-t-elle, qu'est-ce qu'elle pourra observer concrètement? Si des éléments sont apportés pour faire des pas supplémentaires (prescription de tâches par exemple), en général, rien que dans le dialogue, des solutions commencent déjà à se dégager, et c'est d'ailleurs l'idéal ("dans notre métier, réussir consiste à devenir inutile au patient"). Des solutions plus spécifiques sont proposées pour les situations les plus critiques, telles que le risque de suicide, ou les fois où les soignant·e·s sont confronté·e·s à la violence, la priorité restant de se protéger soi ("plus la crise est grave et plus la conscience de vos limites doit être claire dans vos esprits").

 Si la complexité augmente vers la fin et s'oriente clairement vers un public plus spécialisé, l'objectif ambitieux ("Tout le monde peut rendre compliquées les choses simples, c'est banal. La créativité, c'est rendre simple les choses compliquées", dit Charles Mingus, cité dans le livre) de polyvalence est rempli : les concepts proposés sont opérationnels, illustrés de façon concrète, et peuvent servir à de nombreuses étapes de la relation, de l'entrée en contact au suivi thérapeutique.

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