vendredi 28 juin 2024

Phenomenological research methods, de Clark Moustakas

 


 Le courant de la psychothérapie humaniste se nourrit dans de nombreux domaines de la phénoménologie et, on peut le souhaiter, se préoccupe d'acquérir des connaissances donc de pratiquer la recherche. Dans l'exemple que je connais le mieux, l'Approche Centrée sur la Personne, la recherche positiviste (le principe, pour aller vite, est d'élaborer une hypothèse, de la vérifier avec une expérimentation, puis d'ajuster l'état des connaissances selon le résultat) a été pour beaucoup dans l'élaboration des fondamentaux, en particulier pour savoir quel type de relance avait quel effet. Pour autant, il y a une frustration aujourd'hui, en particulier au Royaume-Uni où le système de santé exige de mettre une solution en face d'une pathologie, de ne pas avoir d'outils à la fois reconnus et plus flexibles. La recherche phénoménologique est souvent citée comme une alternative à explorer, et il se trouve que le nom de Clark Moustakas revient souvent quand il est question de recherche phénoménologique.

 Je m'intéresse de près à la recherche positiviste, y compris quand il s'agit d'explorer sa complexité ou ses limites, techniques ou matérielles, mais pour autant je n'arrivais pas à me représenter ce à quoi pouvait ressembler la recherche phénoménologique. Certes, comme le relève à juste titre l'auteur, faire disparaître la subjectivité est une ambition absurde (comparer des groupes "toutes choses égales par ailleurs" ne générera jamais un "toutes choses égales par ailleurs" absolu, la simple passation d'un questionnaire standardisé peut être influencée par la tenue du ou de la chercheur·se, le lieu, l'heure, ...), mais du point de vue positiviste, mettre la subjectivité au centre c'est presque contradictoire avec l'idée de recherche (le but est quand même en partie vérifier, d'arbitrer entre faits et opinions). Et si c'est bien de la recherche, quelle est la vraie différence avec une autre façon de faire de la recherche?

 L'auteur commence d'ailleurs par évoquer les modèles de recherches plus qualitatifs qui s'en rapprochent, comme l'ethnographie. Et la différence sera parfois difficile à saisir : certes les sujets sont rebaptisés co-chercheurs, mais des questions leurs seront posées sur un sujet spécifique, questionnaire élaborée après une revue de littérature qui me semble tout ce qu'il y a de plus classique, puis les données seront traitées pour en faire une synthèse exploitable. Mais ces entretiens seront nourris des concepts de la phénoménologie, qui sont pour le moins complexes, comme le saura beaucoup trop toute personne qui a déjà cherché à comprendre Husserl ou Heidegger. Seront donc convoqués par exemple noeme (ce qui est perçu de l'objet, "non pas l'arbre mais l'apparence de l'arbre") et noese (le sens donné à l'objet, qui contient déjà une intentionnalité), l'intuition d'Husserl opposée à la déduction de Descartes, l'horizonalité (il n'y a pas de hiérarchie entre les propos tenus par le·a co-chercheur·se, donc comme l'horizon tout est potentiellement le point de départ d'une ligne infinie), l'Epoche ("les compréhensions, jugements, et connaissances du quotidien sont mis de côté, et les phénomènes sont revisités, avec un regard frais et naïf, dans le sens d'une ouverture totale, du point de vue d'un ego pur et transcendantal") (on ne compare pas à une chanson des Inconnus, ce serait méchant).

 Du point de vue de la méthodologie pure, il s'agit de : commencer par atteindre cet état d'Epoche (présence réceptive et dénuée de biais), délimiter le sujet, donner une valeur identique à chaque propos (horizonalisation), délimiter des horizons ou des significations (identifier des invariants dans les propos recueillis), classer ces invariants par qualités ou thèmes, puis passer des descriptions texturales individuelles (intégration des invariants) aux descriptions texturales composites (regrouper les différents entretiens). 

 Malgré tous les efforts de l'auteur (je vous rassure, il y a aussi des exemples concrets!), la complexité est telle que j'ai bien du mal à saisir ce que cette méthodologie peut apporter de particulier, si elle est plus rigoureuse que les méthodologies déjà existantes qui s'appuient sur des entretiens non-directifs et semi-directifs, et surtout on fait comment pour engager un entretien (ou n'importe quoi d'autre) avec une présence dénuée de biais, saperlipopette de scrogneugneu! Vous l'aurez compris, le livre est dense, et rien n'interdit de retourner lire tel ou tel point pour mieux comprendre les spécificités de ce modèle qui a pour ambition de dépasser certaines limites de l'approche positiviste, en particulier, si j'ai bien compris, cette démarche de confirmer ou d'infirmer une hypothèse qui est en effet plutôt fermée. Je me pose peut-être plus de questions qu'avant de commencer, mais je sais aussi que je pourrais avoir les réponses, il faut juste que j'y passe beaucoup de temps. Et je pense qu'un·e étudiant·e ou chercheur·se en sciences humaines (anthropologie, sociologie, ...) qui maîtrise bien sa propre méthodologie pourra plus facilement identifier les différences et nourrir sa pratique.

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