L'intérêt d'Irvin Yalom pour la thérapie de groupe apparaît de façon pour le moins transparente dans la plupart de ses ouvrages. Récurrente dans les vignettes cliniques de son livre particulièrement marquant (et guide de lecture pour les suivants?) Thérapie existentielle, elle est même au centre de son roman La méthode Schopenhauer. Il aurait donc été insolite qu'il ne consacre pas un livre théorique à la thérapie de groupe, et d'ailleurs non seulement il consacre non pas un mais deux livres à ce thème, mais celui-ci en est à sa sixième édition (et fait 660 pages), l'importance que le sujet a pour lui est donc plutôt confirmée, et s'est maintenu sur le temps long. (et, oui, j'ai fait dans cette intro comme si le co-auteur n'existait pas, mais en même temps qu'est-ce que j'y peux c'est lui qui a décidé de travailler avec Yalom)
Le texte est riche, toujours axé sur les applications pratiques, et l'argumentation est sourcée par de nombreuses références scientifiques. Le groupe a certes un intérêt économique (il n'y a plus besoin d'un·e thérapeute par client·e, préoccupation qui semble répondre à une inquiétude bien réelle pour les auteurs mais à laquelle j'ai eu un peu plus de mal à adhérer vu la vitesse à laquelle se remplit mon cabinet), mais c'est aussi un outil puissant, qui est parfois particulièrement complémentaire avec la thérapie individuelle, dans le sens où la rencontre a un énorme pouvoir thérapeutique et où en thérapie individuelle le·a client·e ne rencontre par définition qu'une personne, qui a le devoir de tenir une certaine posture contrairement aux autres membres du groupe. C'est d'ailleurs ces enjeux relationnels que les thérapeutes vont devoir à la fois permettre d'émerger, tout en s'assurant que les conditions restent sécurisantes (l'expression d'une colère par exemple peut libérer beaucoup de choses, pour la personne qui exprime la colère comme pour la personne qui la reçoit et même pour les autres membres du groupe, mais si la personne qui exprime la colère dépasse les limites qu'elle s'était fixée ou si la personne visée est tellement atteinte qu'elle ne peut pas répondre, l'incident sera au contraire anti-thérapeutique).
L'outil principal pour que les participant·e·s puissent sortir de leur zone de confort tout en évoluant dans un espace sécurisé, pour que les échanges même les plus intenses restent constructifs, est de resituer les interventions dans l'ici et maintenant, sujet auquel 70 pages du livre sont consacrées. Les thérapeutes redirigent l'attention vers le processus, la dimension relationnelle, les émotions ressenties. Par exemple, si A explose de colère parce que B arrive en retard, si C fond en larmes parce que D l'interrompt, l'important n'est pas de savoir pourquoi B est arrivé en retard ou si D avait de bonnes raisons d'interrompre C, mais ce qui a déclenché, spécifiquement dans l'interaction, la colère, l'interruption ou les larmes. Est-ce que A a déjà eu cette réaction dans d'autres situations? Comment est-ce qu'iel interprète les retards de B? Est-ce que c'est autre chose que B dégage, ou même un incident qui n'a rien à voir avec lui (des tensions non-dites dans le groupe, par exemple), qui a eu un effet si intense sur A?
Les thérapeutes ne sont pas des observateur·ice·s extérieur·e·s mais bien des participant·e·s à part entière et, le livre est clair, l'exercice peut être éprouvant. Les mouvements transférentiels sont souvent extrêmement parlants (Yalom déplore les reproches contradictoires qu'il a subis un jour où tout le groupe ou presque lui est tombé dessus), et peuvent être particulièrement intéressants lorsqu'il y a deux thérapeutes. En plus de la solidité nécessaire, les thérapeutes doivent savoir, comme le groupe est en train d'apprendre à le faire, exprimer leurs ressentis, en particulier quand un malaise émerge dans le groupe (tension avec un membre en particulier, non-dit autour d'un sujet spécifique, ...), en étant précis, authentiques (Yalom donne l'exemple du ou de la débutant·e qui félicite le groupe d'exprimer sa colère dans un moment où iel en prend plein la tête... le message, ostensiblement décalé avec le ressenti, aura peu de chances d'être entendu) et constructifs (exprimer un agacement contre une personne peut déverrouiller une situation bloquée, mais le commentaire ne doit pas être formulé comme un jugement, et bien sûr la personne visée doit pouvoir exprimer librement son ressenti).
En plus de ces précieux principes généraux, les auteurs donnent des indications spécifiques pour déterminer si une thérapie de groupe sera indiquée ou a priori néfaste pour une personne (une vigilance particulièrement importante selon eux, dans la mesure où une erreur impactera bien entendu la personne mais aussi le groupe dans son ensemble), les différents types de groupe (spécialisés, à distance, en institution, ...), la gestion des arrivées de nouvelles personnes et des départs, ou encore les façons productives d'intervenir face à certaines difficultés (un·e participant·e qui monopolise l'espace, qui demande souvent de l'aide avant de rejeter les interventions proposées, qui a une personnalité narcissique, ...).
Le livre est riche, complet, exigeant, et toujours rattaché à la pratique la plus concrète. C'est à la fois un plaidoyer efficace pour la thérapie de groupe et un guide exhaustif pour la mettre en pratique.
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