Ne soyez pas leurrés par le titre, il ne s'agit pas d'un prequel de 50 Shades of Grey. Travail commun d'un pédiatre (Brazelton) et d'un psychiatre, ce
livre a pour objectif d'éclairer la clinique du nourrisson d'un
regard nouveau mais aux enjeux importants, dans la mesure où "même
lorsqu'il existe une pathologie organique nette -comme une anomalie
de naissance ou congénitale […] le pronostic en ce qui
concerne de tels enfants dépend énormément de la façon dont les
parents perçoivent et ressentent l'anomalie, et dont ils s'en
accommodent".
Dans un premier temps, les auteurs (enfin, surtout Brazelton si on en
croit les recherches évoquées pour appuyer le propos) présentent
les interactions entre parents et enfants en fonction du
développement sensori-moteur du nourrisson. Si l'enjeu clinique est
loin d'être au centre de cette première partie, il est tout de même
présent : les interactions réussies sont une récompense tant
pour l'enfant que pour les parents, encourageant les performances de
l'enfant tout en favorisant une relation épanouie. Une étude a même
permis d'observer qu'un simple échange de regards juste après la
naissance a un impact positif sur l'expérience de la parentalité
("30 jours plus tard, ces parents étaient nettement plus sensibles
aux signaux visuels et auditifs de leurs bébé que des parents qui
n'avaient pas eu l'occasion d'une interaction visuelle immédiatement
après l'accouchement"). Pour optimiser ces échanges, le
parent doit être vigilant à la disponibilité du bébé (désir
d'échanger, état d'éveil satisfaisant), être vigilant à ses
réponses et le montrer (excitation du bébé quand il réalise qu'il
peut avoir un impact sur le comportement des parents), éviter la
surstimulation (et, en cas de surstimulation, ne pas interpréter les
pleurs du bébé comme un rejet du parent), … Cette communication
entre des interlocuteur·ice·s aux repères si différents ne va bien
entendu pas toujours de soi, d'autant que le bébé, une fois maître
de ce type d'échanges ("vers 4 mois, nos études démontrent
que le bébé mène le jeu aussi souvent que les parents"),
fait preuve d'une autonomie ("après qu'une séquence de
réponses synchrones a été démarrée, le bébé a tendance à
interrompre le dialogue en détournant le regard vers une autre
partie de la pièce, vers sa main ou sa chaussure. C'est tellement
prévisible vers 5 mois que nous en sommes venus à appeler les bébés
de cet âge des "bébés-chaussures" (shoebabies)")
qui peut être surprenante et douloureuse pour les parents,
interprétée comme un rejet, alors même qu'il s'agit, semble-t-il,
pour le bébé, d'une preuve de confiance dans la relation dans la
mesure où ça implique d'accepter une distance sans crainte
d'abandon ("le bébé handicapé ou prématuré qui a été
"couvé" attendait souvent d'avoir sept ou huit mois
avant d'oser atteindre le même état d'autonomie").
La
partie plus strictement clinique concerne principalement l'image que
les parents peuvent avoir du bébé. L'enfant est, de façon plus ou
moins consciente, de façon plus ou moins impérative, un projet (le "il sera bien ce qu'il voudra" de la mère de Kirikou
enceinte dans la comédie musicale va bien moins de soi qu'il n'y paraît), et les interactions
entre parents et enfants démarrent et évoluent dès la grossesse.
Après la naissance, le bébé est également un vecteur capital
d'estime de soi, à la fois en tant que miroir (amour-propre) qu'en
tant que représentation de soi envers les autres. Ses premières
communications (sourires, mouvements, vocalises) seront définies au
départ par leur interprétation par les parents, ce qui est
indispensable au développement (une communication a pour objet
d'être interprétée), mais peut être dangereux dans des contextes
difficiles où pathologiques, où des intentions néfastes
(provocation, méchanceté, rejet, mépris) peuvent être attribuées.
Rappelant, et éclairant (un terme très récurrent est celui de "fantôme dans la nursery" repris à Selma Fraiberg)
des principes de la psychogénéalogie (bien que l'analyse concerne
ici un maximum de deux générations), le livre développe en détail
et très clairement comment les fantasmes des parents, leur vécu de
leur propre enfance, les deuils non faits ou les projets abandonnés
peuvent contribuer à rendre la parentalité très difficile, parfois
au désarroi du personnel soignant (les auteurs ont plusieurs fois
reçu en consultation des parents qui s'étaient d'abord vu répondre
que les pleurs étaient dûs à des coliques et que ça allait
passer). Le·a lecteur·ice thérapeute est d'ailleurs encouragé·e à laisser
les parents s'exprimer : ils livreront le plus souvent eux-même
la raison jusqu'ici invisible de l'angoisse ou du conflit, et seront
par la suite bien plus réceptifs aux interprétations et solutions
proposées. L'ouvrage s'achève sur une série de cas cliniques qui
illustrent avec précision les théories proposées juste avant.
Même si les parties "développement" et "clinique"
semblent en premier lieu ne pas avoir de liens entre elles, leur
complémentarité est bien plus flagrante à la fin. La partie
clinique, très spécialisée mais très riche (à partir du 4ème
chapitre, "Les Scénarios Imaginaires"), peut toutefois
être lue séparément. C'est bien dommage que la crédibilité du
tout soit ébréchée par la courte partie "Devenir père",
qui semble avoir été coécrite avec Borat et David Douillet, où
l'on apprend par exemple qu'il faut se préserver des dangers de
"tomber dans une illusion d'identité entre les sexes",
et que les bienfaits de la présence du père sont confirmées entre
autres par "l'étude de garçons très féminisés (dès la
fin de la deuxième année) ou dans l'histoire de certains
transsexuels" (mais qu'est-ce que ça peut bien être, un
garçon très féminisé à 3 ans? Il écoute Britney Spears,
est fan d'Abba, de Glee et de Sex and the City et regarde les
mauvaises pages du catalogue de jouets?). Bien entendu,
cette partie n'est pas représentative du reste, et sa lecture n'est
vraiment pas indispensable.
au final tu recommandes le livre ou pas ? ou juste ton descriptif finalement suffit ? parce que la qualité de l'interaction jouant sur le développement, on le sait déjà. y a t il des exemples concrets ou ça reste de la théorie (que je connais déjà pour ma part)
RépondreSupprimerQue la qualité de l'interaction joue sur le développement, en effet ce n'est vraiment pas un scoop (ou alors ceux qui lancent un regard accusateur aux parents quand un gamin fait une crise dans un supermarché sont en fait des scientifiques novateurs), mais là les facteurs évoqués sont précis et sont très bien illustrés par les exemples cliniques, donc au final je recommande le livre (même si, pour la raison précisée à la fin du résumé, je ne m'attendais vraiment pas à finir par le recommander!), je n'ai malheureusement pas su résumer correctement un contenu déjà synthétique. La partie qui concerne plus spécifiquement le développement sensori-moteur n'est peut-être pas la plus transcendante qui existe (encore que, je n'ai pas le souvenir d'avoir entendu parler des shoebabies dans les PUFs ou le livre psy du développement Grand Amphi) mais elle est plutôt claire, même si elle date de 1990 (pas de réédition, grmph!) et que parfois l'âge concerné manque, ce qui est un peu embêtant quand même.
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