En préambule, je précise que le livre est constitué de deux tomes.
J'y tiens parce que ce n'est que quand j'ai acheté le premier
(d'occasion parce qu'il est épuisé) (cher!) que je m'en suis rendu
compte, en voyant T.1 écrit sur la couverture, et que j'eusse aimé
apprendre autrement que j'allais devoir en acheter un deuxième
(d'occasion parce qu'il est épuisé) (cher!) (stabyloté, ce qui
tient au moins du crime contre l'humanité).
Le
livre fournit des informations sur le développement du très jeune
enfant, autant du point de vue du développement physiologique
(perception, mouvement, …) que cognitif (différenciation
entre soi-même et le reste du monde, entre les objets et les
individus ou entre les différents objets, capacités
d'apprentissage, représentations du temps, …). Sur la couverture,
c'est écrit Nathan Université et Fac Psychologie, le·a lecteur·ice ne
sera donc pas profondément perturbé·e par le fait que le contenu
ressemble furieusement à un livre de cours. Toutefois, si la plupart
des chapitres sont brefs, des informations riches et complexes sont
parfois offertes de façon condensée, la lecture est donc parfois
exigeante (je ne parle pas des différents graphiques avec des
chiffres dedans qui, comme tout graphique avec des chiffre dedans
digne de ce nom, m'ont laissé perplexe). On peut même aller plus
loin en disant que le livre est destiné à des lecteur·ice·s qui sont
déjà familier·ère·s avec les théories principales et la méthodologie
de la psychologie du développement (voire qui ont appris comme il se
doit leurs cours de stats... il faudra vraiment qu'un jour je me décide
à comprendre comment fonctionne un calcul de corrélation, chose que
je suis supposé savoir faire depuis la 1ère année). En effet, les
auteur·ice·s sont tou·te·s trois des chercheur·se·s actif·ve·s, chaque chapitre est
extrêmement documenté, et le·a lecteur·ice (qui n'en demande peut-être
pas tant) est pris·e au sérieux : loin d'être condescendant·e·s
avec l'étudiant·e qui cherche à s'y retrouver, iels font partager
quand il y a lieu leurs propres questionnements à un public qui n'est
pourtant a priori pas leur égal (la collection c'est "fac
psychologie", pas "CNRS psychologie"). La
troisième partie du premier tome, rédigée par Roger Lécuyer, sera
ainsi particulièrement stimulante, ou désespérante selon le niveau
de motivation des lecteur·ice·s. L'auteur passe par exemple un certain temps à
remettre en question la méthodologie de recherche qui s'appuie sur
le temps de fixation du bébé (qui était déjà assez compliquée
comme ça à comprendre quand on débarquait en 1ère année et qu'on
croyait que la psycho c'était facile), dans la mesure où, selon les
situations ou les individus, on peut s'intéresser plus au familier
qu'au nouveau (alors que cette méthode expérimentale sert à
vérifier la capacité de discrimination, donc le fait qu'on fixe
plus longtemps le nouveau est considéré comme acquis), ou encore
qu'on ne s'intéresse pas nécessairement plus (un autre fait
considéré comme acquis) à ce qu'on préfère (est donné l'exemple
d'un·e conducteur·ice qui garde l’œil sur la jauge de carburant quand elle
commence à être dangereusement basse... il serait moyennement rigoureux d'en
conclure qu'iel se réjouit de la situation). Et tout ça, alors qu'à
d'autres endroits du livre, sont prises en compte des expériences
qui utilisent (ce qui est normal, elle est très répandue) cette
méthodologie! On pourra en revanche (c'est le cas de le dire) être
pointilleux·se à notre tour en s'étonnant que Lécuyer s'enthousiasme
du fait que, dans la mesure où le bébé n'a pas conscience d'être
un sujet d'expérience qui obéit à une consigne, les expériences
du labo ont la même validité que des réactions authentiques dans
un cadre quotidien ("le caractère "artificiel"
souvent dénoncé des expériences de laboratoire n'est jamais aussi
faux que dans le cas des bébés") alors que, même si "il
est difficile de conditionner un bébé", il a été constaté
que des bébés déjà testés auparavant, même longtemps auparavant
(c'est d'ailleurs rappelé dans le tome 2 - "des enfants
qui ont participé à une expérimentation à six mois et demie se
comportent différemment d'enfants naïfs lorsqu'ils sont vus au
laboratoire à dix-huit ou trente mois"-), ont déjà dans une
certaine mesure appris le métier de sujet d'expérience. Or, comme
ce n'est pas évident de trouver des parents coopératifs, la
situation n'est pas exceptionnelle. La faisabilité des expériences
et les inconvénients qui s'ensuivent font d'ailleurs partie des
sujets évoqués ("les raisons pour lesquelles tel ou tel
groupe d'âge est étudié sont rarement explicitées, et on peut
supposer que le choix est davantage dicté par la faisabilité de
l'expérimentation que pour des raisons théoriques").
Une
partie particulièrement intéressante est la dernière partie du
tome 2, elle aussi rédigée par Roger Lécuyer, et qui est un
historique problématisé des différentes théories du
développement. Le niveau basique de connaissances sur le sujet (au début les gens
n'étaient pas très malins et pensaient soit que l'humain naissait
par magie avec toutes les compétences de l'adulte qui pouf
apparaissaient à l'âge programmé -innéisme- soit que le bébé
étaient une tablette de cire/une page blanche/un disque dur externe
que l'expérience venait joyeusement remplir -empirisme-, et après
hop Piaget-Chomsky-Vigotsky, c'est un peu les deux mais les
chercheur·se·s ne sont pas encore d'accord sur comment ni dans quelle
mesure) est largement dépassé, de nombreux modèles théoriques sont finement décrits et
confrontés, leurs avantages soulignés et leurs lacunes exposées
(parfois impitoyablement), la complexité de la recherche (cette fois
non du point de vue de la faisabilité ou des limites des méthodes
existantes, mais de la conception sous-jacente du nourrisson)
démontrée avec éloquence. Une réserve toutefois : si vous ne
supportez pas les jeux de mots autour de l'expression "jeter
le bébé avec l'eau du bain", la lecture des chapitres de
Lécuyer est formellement déconseillée (les apparences portent à croire qu'un livre de psy du développement où "jeter le bébé théorique avec l'eau du bain méthodologique" n'est pas écrit au moins une fois sera interdit de publication, mais là Lécuyer passe -largement- au niveau supérieur).
Si
ce qui fait la richesse du livre et l'intérêt de celui-ci plutôt
qu'un autre est la sincérité de l'écriture, où les auteur·ice·s
prennent le·a lecteur·ice au sérieux au point de lui faire partager leurs
propres difficultés (l'une d'entre eux est juste directrice de
recherche au CNRS!), il n'est bien entendu pas uniquement question de
ce qui n'est pas maîtrisé, beaucoup de données fiables (mais
parfois complexes) sont aimablement mises à disposition sur les
sujets évoqués. Un inconvénient majeur est toutefois que les
recherches, pointe de la pointe de l'exigence, les plus récentes,
datent de 1995 (c'est quand même avant la sortie de l'I-Phone 5,
pour dire à quel point c'est antique). On peut
difficilement le reprocher aux auteur·ice·s, puisque le tome 1 date de
1994 et le tome 2 de 1996. Je pense donc (d'autant que, si les
auteur·ice·s font tant d'efforts pour nous faire partager les acquis les
plus récents, c'est que la discipline évolue vite, très vite)
qu'il aurait été beaucoup plus malin d'acheter Le développement
du nourrisson (vous aussi vous percevez quelques similitudes
subtiles entre les deux titres?), lui aussi dirigé par Lécuyer,
mais qui date de 2005, plutôt que d'acheter (d'occasion!) (cher!!)
(stabyloté!!!) les deux tomes que je viens de présenter.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire