vendredi 6 mars 2020

Traiter la dissociation d’origine traumatique, de Kathy Steele, Suzette Boone et Onno Van der Hart





 Après Le soi hanté qui détaille en quoi consiste la dissociation d’origine traumatique, et Gérer la dissociation d’origine traumatique, manuel détaillant, pas à pas, les différentes étapes d’une thérapie, les auteur·ice·s proposent dans ce livre le détail des principes thérapeutiques et surtout des difficultés spécifiques rencontrées dans ce type de thérapie.

 Si les fondamentaux du Soi hanté sont toujours d’actualité (en particulier le traitement en trois phases, qui consiste à fournir les ressources de santé et de sécurité externe et interne pour avancer jusqu’à la phase 2, puis à intégrer les souvenirs traumatiques -le·a patient·e est capable de se les remémorer, de savoir que ça lui est arrivé à lui ou elle, et que ces souvenirs appartiennent au passé- et enfin à intégrer ensemble les différentes parties de la personnalités), la théorie a un peu évolué : par exemple, il n’est plus question de Personnalité Apparemment Normale et de Personnalité Emotionnelle mais de part de la personnalité fonctionnant au quotidien et des autres. Le fait de rentrer dans le détail de la thérapie, des difficultés spécifiques, permet de mieux se représenter les effets de la dissociation d’origine traumatique. L’un des enjeux est par exemple de permettre au ou à la patient·e de considérer que ses différentes parts ne sont pas effectivement des personnes distinctes mais des parties de lui ou  d'elle-même (le·a thérapeute ne doit par ailleurs surtout pas tomber dans ce piège, ce qui est moins simple qu’il n’y paraît sans formation spécifique, en particulier quand une personnalité ne se souvient plus des actions et paroles d’une autre, ou quand elles sont en conflit). L’importance de cet élément est particulièrement claire quand certaines personnalités sont encore des enfants (qui potentiellement continuent de vivre le traumatisme)… ou quand l’une des personnalités incarne l’agresseur·se, reprenant ses propos culpabilisants, ses menaces interdisant de parler. Le cadre de la thérapie, à construire de façon sécurisante mais à respecter strictement ensuite, doit être le même pour toutes les personnalités. Une autre façon de mieux ancrer les patient·e·s dans la réalité est de relever, tout en gardant une attitude empathique et compréhensive, les contradictions (par exemple, faire remarquer que la personne incarnée est maintenant âgée, voire décédée, ou habite loin, et demander avec douceur comment ça peut s’expliquer). Un autre élément particulièrement important est la gestion de la violence, contre le·a thérapeute ou la structure, ou du ou de la patient·e envers lui ou elle-même. Les règles doivent être explicites, et, s’il est essentiel de toujours rester empathique, les transgressions doivent être suivies des conséquences indiquées (pause dans la session, voire une pause d’une ou plusieurs séances, allant jusqu’à l’arrêt de la thérapie sous cette forme quand c’est nécessaire), tout en expliquant pourquoi le cadre n’est pas négociable. Concernant l’auto-mutilation, il est rappelé que le·a thérapeute ne peut absolument pas protéger le·a patiente de lui ou d'elle-même vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Si travailler ensemble pour éviter que le·a patient·e ne se fasse du mal fait partie de la thérapie, le·a thérapeute doit rappeler au ou à la patiente que se préserver est de son entière responsabilité. Autre élément : le risque de contre-transfert est démultiplié par le risque de préférer certaines personnalités, et d’en rejeter d’autres. Pour cette raison (même s’il y en a d’autres!), la supervision et la thérapie sont indispensables pour le·a thérapeute.

Mais ce qui fait la grande richesse du livre est que la plupart des recommandations, pour ce travail intense… sont en fait valables pour n’importe quelle thérapie (et, inversement, les fondamentaux qui sont valables pour n’importe quelle thérapie s’appliquent pour les patient·e·s dissocié·e·s). Il est important que le cadre ait un sens, qu’il puisse être renégocié quand ça ne fonctionne pas. Pour sa propre sécurité mais aussi pour la sécurité des patient·e·s, le·a thérapeute doit impérativement connaître et respecter ses propres limites. Les développements sur l’attachement dans la relation thérapeutique (pour ces patient·e·s, l’agresseur·se est souvent une figure d’attachement primaire… l’entrée en relation, indispensable pour le soin, peut donc aussi réactiver le traumatisme!) sont particulièrement riches tout en étant ancrés sur leur aspect pratique. De précieuses indications sont aussi données, par exemple, pour sécuriser le·a patient·e à la fin de la séance, ou pour mettre fin à la thérapie (parfois après plusieurs années). Pour ces raisons, plus encore que Le soi hanté, je recommande très fortement ce livre à tout·e thérapeute et apprenti-thérapeute (d’autant que le chapitrage est clair et les concepts centraux sont mis en valeur, ce qui permet de retrouver un point spécifique lorsqu’on est face à un questionnement particulier).

C’est écrit sur la couverture, mais l’approche est intégrative et toute spécialité peut être un atout pour un éventuel travail en équipe (qui doit toutefois être sous la responsabilité de thérapeutes expert·e·s). Sans surprise les TCC à travers différentes spécialités et l’EMDR sont souvent évoqués, mais l’hypnose, par exemple, est aussi un outil très aidant dans certaines circonstances.

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