jeudi 12 mars 2020

Le harcèlement sexuel, de Muriel Salmona




 Pour la collection Que Sais-Je?, la psychiatre Muriel Salmona, déjà autrice d’un travail important sur la vulgarisation des conséquences des violences sexuelles, présente de façon synthétique cette violence qui, selon la loi française, consiste en "le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, ou comme le fait, même si c’est unique, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle pour lui ou un tiers".

 Mais, si l’article de loi est clair, pourquoi consacrer un Que Sais-Je? au sujet (et, accessoirement, pourquoi parler du livre sur un blog de psycho)? L’enjeu dépasse hélas de loin la sphère juridique… probablement un peu voire beaucoup trop, d’ailleurs, puisque, par exemple, "sur les 1004 plaintes pour harcèlement sexuel en 2016, plus de 80 % ont été classées sans suite". Le harcèlement sexuel est en effet par de nombreux aspects ancré culturellement, à travers des injonctions sociales, des stéréotypes, favorisant l'impunité, qui concernent les auteur·ice·s et les éventuel·le·s spectateur·ice·s, mais aussi les victimes ("près de 30 % des victimes n’en parlent à personne"). Sous couvert d’humour, de tempérament maladroit de l’auteur·ice, d’approche un peu directe de la séduction, le harcèlement sexuel est une violence qui dit rarement son nom, au point que la victime risque d’être mise en cause si elle proteste trop, avec parfois une absurde accusation de conservatisme. C’est pourtant le harcèlement sexuel qui est au service de la préservation d’un système de domination, les minorités (de genre, de couleur de peau, de religion, d’orientation sexuelle) étant les plus visées : l’accès à l’espace public (dans le cas du harcèlement de rue, recensé par exemple sur le site Paye ta Schneck), aux études, à l’espace professionnel… et même à Internet ("les femmes sont 27 fois plus harcelées sur Internet que les hommes"), est rendu plus inégalitaire, les femmes sont visées dès l’adolescence. Résultat de nombreux combats militants, l’outil législatif est là, y compris dans l’entreprise où "les employeurs ont une obligation de sécurité de résultat" et où l’auteur·ice de harcèlement peut être sanctioné·e sans décision de justice, mais les mentalités, y compris celles du personnel policier et judiciaire, n’ont pas encore suffisamment changé pour protéger les victimes de façon satisfaisante.

 Les victimes voient donc leur quotidien rendu plus difficile, leurs opportunités rendues bien plus coûteuses (ce qui devrait être la norme devient un combat), mais voient aussi leur santé risquer de se dégrader. Faire rédiger un livre sur ce thème par une psychiatre est pleinement pertinent, d’ailleurs "les victimes savent bien que les soins sont essentiels puisqu’elles citent comme premier recours le médecin traitant et le médecin psychiatre, avant le recours aux forces de l’ordre"… seulement, le milieu médical est particulièrement exposé aux injonctions sociales évoquées plus haut. Selon l’AVFT, "le monde médical est, avec le milieu de l’hôtellerie et de la restauration, le milieu professionnel où les victimes de violences sexistes et sexuelles sont le plus nombreuses, que ce soit chez les soignantes ou les patientes". Et, même chez les professionnel·le·s, les conséquences sur le psychisme sont mal connues, les comportements même qui sont provoqués par les séquelles des violences peuvent nuire à la crédibilité des victimes : la sidération empêche d’agir de la façon la plus adéquate possible, l’émoussement émotionnel donne une impression d’indifférence qui contraste avec la gravité des faits évoqués, les conséquences du traumatismes poussent à des conduites à risque, … Ces manifestations sont connues de façon particulièrement fine par l’autrice, qui les vulgarise autant que possible depuis des années, et les explications sur le sujet sont synthétiques et claires et pourtant… j’ai été en difficulté avec cette partie du livre. En effet, les conséquences des violences sexuelles en général sont évoquées, mais sans préciser les spécificités du harcèlement sexuel. La démarche reste pertinente : le harcèlement sexuel est une forme de violence sexuelle, et surtout "il est rare qu’une femme ayant subi un type de violence sexuelle n’en ait pas subi d’autre", mais il a aussi des aspects spécifiques (absence de contact physique impliqué, plus grande répétition potentielle en particulier dans le cas du cyberharcèlement, …) qui ne seront pas commentés. Est-ce que le risque de développer une mémoire traumatique est le même qu’en cas, par exemple, de viol? Est-ce qu’il y a des facteurs de risque à surveiller particulièrement? Le·a lecteur·ice ne le saura pas.

 Le constat du livre pourrait être particulièrement sombre : si la législation bouge, la pratique policière et judiciaire semble à la traîne, alors qu’avec le développement des réseaux sociaux, l’anonymat et la facilité du geste décuplent les comportement de harcèlement (rien qu’en traînant sur Twitter entre deux paragraphes de ce résumé, j’ai pu lire une personne qui relayait les menaces de viol et de torture qu’elle avait reçues sur CuriousCat). Et pourtant, si l'état des lieux n’est pas euphémisé, le livre dégage une énergie positive : l’autrice relaye aussi les combats associatifs, par exemple celui de Féministes contre le cyberharcèlement, ou les victoires culturelles comme le mouvement #MeToo. Selon elle, la clef pour lutter est l’information, la plus massive possible, en particulier en milieu scolaire : ce livre contribue précisément à mieux et plus informer. Il tient aussi les promesses d’un ouvrage synthétique : les données sont sourcées, les chiffres sont nombreux, et les différentes rubriques (législative, médicale, statistique, conduites recommandées pour les victimes, …) faciles à repérer.

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