Pour
la collection Que Sais-Je?, la psychiatre Muriel Salmona,
déjà autrice d’un travail important sur la vulgarisation des conséquences des violences sexuelles, présente de façon
synthétique cette violence qui, selon la loi française, consiste en
"le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des
propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent
atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou
humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante,
hostile ou offensante, ou comme le fait, même si c’est unique,
d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou
apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle pour lui ou un
tiers".
Mais, si l’article de loi est clair, pourquoi consacrer un Que
Sais-Je? au sujet (et, accessoirement, pourquoi parler du
livre sur un blog de psycho)? L’enjeu dépasse hélas de loin la
sphère juridique… probablement un peu voire beaucoup trop,
d’ailleurs, puisque, par exemple, "sur les 1004 plaintes pour
harcèlement sexuel en 2016, plus de 80 % ont été classées
sans suite". Le harcèlement sexuel est en effet par de
nombreux aspects ancré culturellement, à travers des injonctions
sociales, des stéréotypes, favorisant l'impunité, qui concernent les auteur·ice·s et les
éventuel·le·s spectateur·ice·s, mais aussi
les victimes ("près de 30 % des victimes n’en parlent à
personne"). Sous couvert d’humour, de tempérament maladroit de
l’auteur·ice, d’approche un peu directe de la séduction, le
harcèlement sexuel est une violence qui dit rarement son nom, au
point que la victime risque d’être mise en cause si elle proteste
trop, avec parfois une absurde accusation de conservatisme. C’est
pourtant le harcèlement sexuel qui est au service de la préservation
d’un système de domination, les minorités (de genre, de couleur
de peau, de religion, d’orientation sexuelle) étant les plus
visées : l’accès à l’espace public (dans le cas du
harcèlement de rue, recensé par exemple sur le site Paye ta
Schneck), aux études, à l’espace professionnel… et même à
Internet ("les femmes sont 27 fois plus harcelées sur Internet que
les hommes"), est rendu plus inégalitaire, les femmes sont visées
dès l’adolescence. Résultat de nombreux combats militants,
l’outil législatif est là, y compris dans l’entreprise où "les
employeurs ont une obligation de sécurité de résultat" et où
l’auteur·ice de harcèlement peut être sanctioné·e sans décision
de justice, mais les mentalités, y compris celles du personnel
policier et judiciaire, n’ont pas encore suffisamment changé pour
protéger les victimes de façon satisfaisante.
Les
victimes voient donc leur quotidien rendu plus difficile, leurs
opportunités rendues bien plus coûteuses (ce qui devrait être la
norme devient un combat), mais voient aussi leur santé risquer de se
dégrader. Faire rédiger un livre sur ce thème par une psychiatre
est pleinement pertinent, d’ailleurs "les victimes savent
bien que les soins sont essentiels puisqu’elles citent comme
premier recours le médecin traitant et le médecin psychiatre, avant
le recours aux forces de l’ordre"… seulement, le milieu médical
est particulièrement exposé aux injonctions sociales évoquées
plus haut. Selon l’AVFT, "le monde médical est, avec le milieu
de l’hôtellerie et de la restauration, le milieu professionnel où
les victimes de violences sexistes et sexuelles sont le plus
nombreuses, que ce soit chez les soignantes ou les patientes". Et,
même chez les professionnel·le·s, les conséquences sur le psychisme
sont mal connues, les comportements même qui sont provoqués par les
séquelles des violences peuvent nuire à la crédibilité des
victimes : la sidération empêche d’agir de la façon la plus
adéquate possible, l’émoussement émotionnel donne une impression
d’indifférence qui contraste avec la gravité des faits évoqués,
les conséquences du traumatismes poussent à des conduites à
risque, … Ces manifestations sont connues de façon
particulièrement fine par l’autrice, qui les vulgarise autant que
possible depuis des années, et les explications sur le sujet sont
synthétiques et claires et pourtant… j’ai été
en difficulté avec cette partie du livre. En effet, les conséquences
des violences sexuelles en général sont évoquées, mais sans
préciser les spécificités du harcèlement sexuel. La démarche
reste pertinente : le harcèlement sexuel est une forme de
violence sexuelle, et surtout "il est rare qu’une femme ayant subi
un type de violence sexuelle n’en ait pas subi d’autre", mais il a aussi des aspects spécifiques (absence de contact physique
impliqué, plus grande répétition potentielle en particulier dans
le cas du cyberharcèlement, …) qui ne seront pas commentés.
Est-ce que le risque de développer une mémoire traumatique est le
même qu’en cas, par exemple, de viol? Est-ce qu’il y a des
facteurs de risque à surveiller particulièrement? Le·a lecteur·ice
ne le saura pas.
Le
constat du livre pourrait être particulièrement sombre : si la
législation bouge, la pratique policière et judiciaire semble à la
traîne, alors qu’avec le développement des réseaux sociaux,
l’anonymat et la facilité du geste décuplent les comportement de
harcèlement (rien qu’en traînant sur Twitter entre deux
paragraphes de ce résumé, j’ai pu lire une personne qui relayait
les menaces de viol et de torture qu’elle avait reçues sur
CuriousCat). Et pourtant, si l'état des lieux n’est pas euphémisé,
le livre dégage une énergie positive : l’autrice relaye
aussi les combats associatifs, par exemple celui de Féministes
contre le cyberharcèlement, ou les victoires culturelles comme le
mouvement #MeToo. Selon elle, la clef pour lutter est l’information,
la plus massive possible, en particulier en milieu scolaire : ce
livre contribue précisément à mieux et plus informer. Il tient
aussi les promesses d’un ouvrage synthétique : les données
sont sourcées, les chiffres sont nombreux, et les différentes
rubriques (législative, médicale, statistique, conduites
recommandées pour les victimes, …) faciles à repérer.
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