mercredi 9 mars 2022

L'antirégime, de Michel Desmurget


 

 Après avoir vu des régimes démarrés brusquement entamer sa santé (un comble quand la motivation de départ était de limiter les risques!), son bien-être et surtout lui faire prendre du poids (les kilos vite perdus ont été vite repris, avec un supplément), l'auteur a décidé d'utiliser ses compétences de chercheur pour étudier la littérature scientifique plutôt que les propos des leaders médiatiques de la perte de poids. Il partage les principes qu'il a retenus et appliqués, et qui lui ont permis de sortir de l'obésité et même du surpoids, et ont de façon plus générale amélioré son confort de vie.

 Qu'ils l'affichent ou non, regarder de près les régimes médiatiques permet de constater qu'ils sont d'abord... restrictifs. Que ce soit en privilégiant certains aliments sur d'autres (dans les faits, même si ce n'est pas l'objectif annoncé, des aliments qui contiennent moins de calories sur d'autres qui en contiennent plus) ou en favorisant la monotonie alimentaire qui est très efficace pour couper l'appétit, lorsqu'on fait les comptes, ces régimes conduisent souvent à générer des carences, brusquement. L'effet à court terme est effectivement une perte de poids proportionnelle au changement d'habitude ("c'est bien là l'origine du désastre, toutes ces méthodes fonctionnent à merveille au début"), mais quand l'euphorie est passée et que l'organisme, qui perçoit une situation de famine et met en place des défenses radicales (augmentation de la sensation de faim et de l'appétence pour le gras et le sucré, optimisation de la conservation d'énergie), se réveille, l'effet est inversé, avec la double-peine que constitue l'attribution éventuelle de l'échec à un manque de volonté alors que le problème ne vient vraiment pas de là. Mais, dans une société qui préconise la minceur de façon plus ou moins virulente ("les médias visuels (télévision, magazines, affiches publicitaires, etc.) modèlent, en profondeur, notre perception de ce qu'est une apparence "normale", "seules 3% des actrices sont obèses, contre 33% dans le monde réel", la propre fille de l'auteur, à 7 ans, a du jour au lendemain refusé de manger du pain parce que "ça fait grossir" et, encore adolescente, a une méfiance avancée envers un certain nombre d'aliments malgré un poids de 33 kilos pour 1m48 et surtout les protestations que l'on imagine venant de son père), et plutôt plus que moins envers les personnes effectivement en surpoids (l'auteur évoque les humiliations qu'il a lui-même vécues mais aussi les discriminations économiques et médicales confirmées par la littérature scientifique... pour sensibiliser à ce sujet, je ne peux que recommander le travail du collectif Gras Politique ), la promesse du miracle rapide avec la solution magique à laquelle les autres méthodes n'ont pas pensé est d'une redoutable efficacité commerciale (la comparaison entre les promesses, les bases théoriques et leur vérification permet de mieux comprendre pourquoi Dukan qualifie les scientifiques d' "affameurs de rats"). L'auteur précise d'ailleurs (et donne les détails nécessaires pour prendre une décision) que la perte de poids n'a pas nécessairement d'intérêt pour la santé. Au passage, entamer un régime (serait-ce un "antirégime") est une décision personnelle... si vous souhaitez diriger une personne vers ce livre ou même ce résumé, assurez-vous qu'elle ait l'intention de faire cette démarche et qu'elle ait envie de vos conseils.

 Mais, est-ce que l'auteur ne se moquerait pas un peu du monde? Après tout, il nous vend (avec une couverture médiatique significative, qu'il reconnaît) une méthode qui va réussir là où toutes les autres ont échoué, avec un nom qui claque ("antirégime", rien que ça!), et va même, cliché au propre et au figuré, nous gratifier d'une photo avant/après! Par plusieurs aspects , ça ressemble à exactement ce qu'il critique. Pourtant, sans être moi-même en mesure de me prononcer sur l'efficacité de la méthode (à l'instant où j'écris, je suis en train de faire une joyeuse effraction à plusieurs de ses recommandations, et je n'ai pas spécialement l'intention d'y faire quoi que ce soit), il faut admettre que le terme d'antirégime, en tout cas par opposition aux régimes qu'il décrit et qu'il a pour certains hélas testés, est approprié : entre les changements d'habitudes et les carnets à tenir, les débuts sont laborieux et la perte de poids lente (l'idée est de modifier son quotidien et non de faire des sacrifices transitoires avant de les arrêter quand l'objectif est atteint), et c'est seulement dans un second temps que les préconisations deviennent plus faciles à suivre ("quand le pli est pris et que l'effort volontaire a été intériorisé sous forme d'habitude, tout devient bien plus simple et facile", "les goûts alimentaires s'infléchissent progressivement sous l'effet de la répétition") et que la perte de poids devient importante. Autre aspect antirégime : l'auteur propose des principes et des astuces, mais (certain·e·s lecteur·ice·s l'ont déploré) pas de guide clef en main (menus, emplois du temps type, ...), chacun·e pourra (et devra) adapter au mieux les recommandations à ses possibilités et ses besoins.

 Le socle de la méthode consiste à, ce n'est certes pas bouleversant, diminuer l'apport de calories et augmenter les dépenses, mais à appliquer ce changement d'équilibre de façon légère et quotidienne, en maintenant les apports nécessaires en micro-nutriments, pour éviter que l'organisme ne soit perturbé : si vous avez faim, c'est qu'il y a des ajustements à faire. Selon sa revue de la littérature scientifique (toutes les affirmations sont sourcées, au point que la bibliographie ne rentre pas dans le livre papier et est accessible en ligne), l'auteur indique qu'on peut aller jusqu'à 15% de diminution de consommation de calories et jusqu'à 20% d'augmentation des dépenses (il conseille fortement d'associer les deux) sans générer de phénomènes de carence. Cela implique dans l'idéal de tenir des comptes, mais pour les plus réticent·e·s à se lancer là dedans, l'essentiel est de surveiller ses habitudes : certains gestes si anodins qu'on ne les repère pas nécessairement (prendre l'ascenseur au lieu des escaliers, se resservir machinalement alors qu'on n'a plus faim, prendre quelques cafés... avec un sucre dedans, ou accompagnés d'un carreau de chocolat) peuvent avoir un impact significatif dans la mesure où ils sont quotidiens (l'auteur convertit plusieurs fois ce type d'habitude en kilos perdus si on y renonce). Et, l'auteur ne parlera pas de neurosciences bien qu'étant directeur de recherches dans ce domaine, mais plusieurs expériences de psychologie sociale rappellent que pas mal de gestes obéissent à des motivations invisibles (jusqu'à l'humeur des client·e·s dans la file d'attente d'un restaurant qui va influencer la quantité de gâteaux apéritifs consommés!) : changer ses habitudes prend du temps, la bienveillance est de mise ("je ne saurais dire combien de fois je me suis retrouvé, le soir, en rentrant chez moi, à l'intérieur de l'ascenseur plutôt que dans l'escalier, sans l'avoir voulu"), et l'auteur donne des conseils précis pour hacker ces pièges du cerveau.

 L'équilibre entre autobiographie et scientifique est particulièrement pertinent dans ce livre qui se veut à la fois personnel et accessible. Il manque peut-être, en particulier pour une deuxième édition... une évaluation scientifique.

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