mardi 31 mai 2022

A la recherche de l'école de Palo Alto, de Jean-Jacques Wittezaele et Teresa Garcia-Rivera


 Si les termes de thérapie systémique, d'injonction contradictoire (ou double contrainte), ou encore d'hypnose ericksonienne font partie des notions relativement familières du domaine de la psychothérapie, le fait qu'elles soient liées à un même modèle thérapeutique est peut-être moins connu. Ces concepts pas si disparates appartiennent en effet à l'école de Palo Alto, dont l'auteur et l'autrice vont tenter, à partir de recherches dans les archives et d'entretiens avec les principaux·ales concerné·e·s, de restituer l'histoire et la cohérence.

 La recherche évoquée dans le titre commence par être géographique : l'auteur et l'autrice découvrent que le Mental Research Institute, où les noms les plus légendaires de l'école de Palo Alto exercent encore (du moins à l'époque de la première édition en 1997), est un petit bâtiment qui ne paye pas de mine, inconnu des chauffeurs de taxis locaux. Se rendre sur place ne sera pourtant pas la partie la plus complexe de cette recherche : les informations détaillées sur les apports de Gregory Bateson (les figures les plus étudiées dans le livre seront Bateson, Erickson et Watzlawick) en donnent un aperçu, le développement de cette école sera placée sous le signe de la créativité et de la pluridisciplinarité (ce qui ne sera pas sans occasionner quelques conflits, parfois plus pour des questions d'ego que pour des incompatibilités théoriques). Biologiste de formation, Bateson fera un détour par l'anthropologie (dont il modifiera en partie la méthodologie, venant d'une science aux exigences plus strictes... ah, et il a épousé Margaret Mead, aussi) mais se passionnera aussi pour les mathématiques et la logique formelle (pour le plus grand plaisir de ses étudiant·e·s invité·e·s à se taper les Principia Mathematica de Whitehead et Russel -c'est un traité en 3 volumes où, pour donner une idée, figure la démonstration sur plusieurs lignes que 1+1=2-), la cybernétique... soit de multiples approches de la communication, des messages implicites et explicites et ce qui peut se glisser entre émetteur·rice et récepteur·rice. Le livre contient en particulier l'évolution du concept de double contrainte, plus complexe que dans la présentation qui en est souvent faite (au delà de deux messages contradictoires dont l'un est implicite envoyés par une même personne, il y a des conditions supplémentaires comme la répétition, l'interdiction implicite d'échapper à la situation, ...), et qui avait initialement pour objectif d'expliquer la schizophrénie (Bateson s'est progressivement distancié de cet aspect).

 Les conversations entre toutes ces bases théoriques ont abouti à un modèle thérapeutique original, qui peut fonctionner sur des groupes mais aussi sur des individus : les distances les plus radicales prises avec la psychanalyse, le modèle dominant à l'époque, sont le fait de se préoccuper du présent plutôt que du passé, ou encore de se concentrer sur des objectifs mesurables à court terme plutôt que sur le vécu intérieur (ce qui égratigne sérieusement au passage la théorie de la substitution du symptôme, surtout quand les suivis post-thérapie montrent généralement que la résolution du problème tend à être le premier pas d'un cercle vertueux). La délimitation du problème prend une place particulièrement importante (qui est vraiment en demande de changement? quel est le symptôme dont la personne veut se débarrasser? quelles en sont les manifestations -fréquence, personnes concernées, lieu, ...-? quels changements précis sont attendus de la guérison?), et inclut les tentatives de solutions déjà mises en place (l'auteur et l'autrice rapportent un cas où il a "suffi" de demander au père d'un enfant effrayé par l'école d'arrêter de tenter de le rassurer en mettant en avant son propre passé scolaire semble-t-il paradisiaque et au contraire de lui confier qu'il lui est aussi arrivé d'avoir peur... cette suggestion qui devait être une porte d'entrée dans la thérapie a en fait constitué la porte de sortie du problème), pour aboutir à une proposition souvent déstabilisante (par exemple la prescription du symptôme, qui consiste à chercher à provoquer précisément ce qu'on veut constamment éviter) puisqu'il s'agit de briser une dynamique. 

 Le livre est documenté, détaillé et accessible, ce qui permet selon le niveau de connaissance des lecteur·ice·s à la fois de découvrir l'école de Palo Alto et d'approfondir un aspect historique ou technique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire