L'éducation est selon Freud un métier impossible (c'est probablement une des rares affirmations sur laquelle il n'a pas été contredit), et la difficulté de la parentalité augmente d'un cran significatif lorsque l'enfant ou l'ado, par le mensonge, l'insolence, coupe l'espace de communication, laisse place au sentiment d'impuissance et toutes les émotions qui vont avec. Heureusement, Christophe Carré, médiateur professionnel, va proposer des solutions. On est sauvé·e·s?
Si vous culpabilisiez, vous allez être rassuré·e·s : les deux tiers du livres sont consacrés à vous l'expliquer, c'est effectivement de votre faute. Certes, c'est un peu la faute de la société : le "système nerveux" des enfants n'est pas "correctement équipé" (je n'ai toujours pas compris ce que l'auteur voulait dire par là, mais il est très créatif sur le sujet du système nerveux) pour faire face au monde occidental contemporain (et son "emprise") dans lequel "la consommation débridée, la satisfaction immédiate des désirs, l'acte impulsif et le narcissisme sont devenus des valeurs fortes", rien que ça! Mais, si vous êtes autoritaire, si vous êtes laxiste, si vous avez des représentations de ce que vous souhaitez pour vos enfants, si vous cédez aux caprices, si vous restez sourds aux caprices (ou encore si vous cherchez à négocier), s'il vous est arrivé de dire à vos enfants de se dépêcher (sauf si c'est de la bonne façon, qui n'est pas indiquée), la liste, vous l'imaginez bien, n'est pas exhaustive, vous provoquez les manipulations, en plus de faire du mal à vos enfants.
Heureusement, l'auteur vous dit de temps en temps de ne pas culpabiliser. Tant qu'à mettre dans une situation inextricable, les messages sont parfois contradictoires, comme quand il dit que toute interaction comporte une part de manipulation (c'est dans la partie où il dit plusieurs fois qu'un enfant qui manipule n'est pas un pervers narcissique -ce qu'a priori pas grand monde n'avait avancé- et en profite pour tourner le concept en dérision -"J'ai découvert avec horreur que mon conjoint était un manipulateur en faisant un test dans un magazine, chez le coiffeur"-, tant pis pour les personnes qui souffrent dans leur vie de couple ou leur vie professionnelle, ou encore que cet auteur de quatre livres -celui-ci inclus!- sur le sujet déplore l'omniprésence médiatique du terme qui porte à confusion) puis qu'il est intarissable sur les manipulations des parents qui bien évidemment sont néfastes. Coup de grâce : après 140 pages à avoir désigné la manipulation comme tout et son contraire (y compris en mettant sur le même plan, par exemple, des gifles et une négociation maladroite), l'auteur invite à parler "sobre, court, et précis" parce que "la clarté est anti-manipulatoire" (et, si vous vous posiez la question, oui, il dit aussi que le "fais ce que je dis, pas ce que je fais" est à proscrire). Les "principes d'une relation parent-enfant consciente et apaisée", qui précèdent la conclusion, moins directement culpabilisants, restent du même ordre : dégoulinants de guimauve, ils ne sont pas accompagnés de propositions d'actions concrètes et réalisables.
Après tous ces éléments avec lesquels à peu près tout le monde sera d'accord (l'autoritarisme comme le laxisme ont leurs écueils, un enfant ou un·e ado qui manipule n'est pas par définition un·e pervers·e narcissique, le caprice prend au piège parce que ni la capitulation ni le coup de force ne sont de bonnes solutions, les parents font des projections sur leurs enfants, ...) mais qui seront rendus très pesants par leur répétition, sans parler des conséquences apocalyptiques annoncées qui accompagnent ce dictionnaire des choses à ne pas faire (mais il dit qu'il ne demande à personne d'être un parent parfait, donc si il suggère lourdement le contraire sur des pages et des pages ce n'est pas grave), l'auteur propose tout de même, ouf, des solutions (après plus de 100 pages!). Et il s'agit, à 95%, des principes de la communication non-violente : s'entraîner à formuler sans jugement, faire des demandes claires, exprimer ses propres besoins et identifier les besoins qui sont derrière le comportement de l'autre, ... Je ne peux donc que conseiller aux personnes intéressées, si elles ont le livre entre les mains, d'aller directement à la partie des solutions, c'est beaucoup de temps et d'énergie psychique gagnés, ou, encore mieux, de s'intéresser directement à la communication non-violente (là ou encore là, par exemple) plutôt que d'en lire une reformulation par ailleurs noyée dans un ensemble douteux sur la forme au point de sérieusement esquinter le fond.
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