Depuis la fin de l'adolescence, Lou connaît des périodes sombres, très sombres. Dépression, pas dépression? Les avis des proches ("C'est dangereux de s'autodiagnostiquer" "Impossible, voyons! Elle est trop jeune") et même des professionnel·le·s ("Je ne vais quand même pas vous prescrire des antidépresseurs, si?") divergent. Toujours est-il qu'elle a besoin d'aide, vraiment, et que c'est compliqué d'en trouver ("-Vous êtes jeune, jolie et intelligente. Ça va vite s'arranger. -Et mes crises d'angoisse, comment on les prévient que je suis jeune et jolie?" "La prochaine fois, on va travailler sur le bonheur. CB?"). Certes, il y a des périodes où ça va mieux, et même beaucoup beaucoup mieux, mais la rechute, brutale, reste une menace constante. Une psychologue orientée TCC, la première, pense à un trouble de l'humeur de type cyclothymie (ce qui expliquerait l'échec des traitements précédents), et oriente vers un psychiatre, disponible 2 semaines plus tard, pour une médication appropriée. Entre temps, une nouvelle rechute survient, plus violente que les précédentes, au point qu'une pulsion suicidaire particulièrement forte pousse Lou à se faire hospitaliser en psychiatrie. Nouvelles frustrations ("J'espérais beaucoup de l'hôpital psychiatrique. J'allais avoir une horde de psychiatres à portée de main! En fait, la seule chose qu'on tuait là-bas, c'était le temps"), nouveaux avis contradictoires ("Mais enfin mademoiselle, tout le monde a des variations d'humeur! Les vrais bipolaires, on les remarque très vite. Leur comportement est excessif et risqué. Ils font des achats impulsifs sans en avoir les moyens, ils sortent nus dans la rue... Par exemple. Vous avez déjà acheté deux voitures d'un coup. Non? Vous voyez, vous n'êtes pas bipolaire" "Test infaillible élaboré par une psychiatre : Avez vous déjà acheté deux voitures d'un coup? Oui --> Vous êtes bipolaire. Non --> Vous n'êtes pas bipolaire"), Lou a toujours urgemment besoin d'aide mais elle en a surtout marre, vraiment marre, des soignant·e·s ("VOS GUEULES! Nan mais c'est dingue! Je vous pose à tous la même question, et chacun me donne une réponse différente!").
Le diagnostic se confirmera finalement... par un article du Nouvel Obs sur la cyclothymie dans lequel elle se reconnaîtra fortement. Son problème, jusque là représenté par une sorte de loup terrifiant, sera désormais incarné par un renard ("-Tout ça... tout ça à cause d'un petit renard de rien du tout? -Tu voulais quoi, une baleine? -Mais tu faisais deux mètres de haut et t'étais tout noir et t'avais plein de dents! -Forcément, si tu t'intéresses à moi seulement quand je vais mal!"), pas facile à vivre et encore moins à contrôler pour autant. Le tempérament cyclothymique concerne 6% de la population, mais il peut être plus ou moins intense (le renard de Lou est "un gros relou" selon elle, "beau et vigoureux" selon lui), et constitue non pas seulement un tempérament cyclothymique mais un trouble cyclothymique, un type de bipolarité, aux côtés, dans la classification présentée dans la BD, de la bipolarité de type 1 (celle qui fait acheter deux voitures d'un coup) et de type 2. Au niveau neurologique, elle se caractérise par une instabilité de l'activité de la dopamine, qui alternativement grimpe en flèche, provoquant des crises d'hypomanie (très forte énergie, euphorie ou irritabilité, projets qui se multiplient, besoin intense de nouveauté, ...), ou chute brutalement, faisant basculer dans une période de dépression. Dans la liste des co-morbidités, ou des "(pas) super pouvoirs" du renard, peuvent figurer la boulimie, les troubles obsessionnels compulsifs, la phobie sociale ou les troubles anxieux, ainsi qu'un risque suicidaire extrêmement élevé. Il est a priori impossible de se débarrasser du renard, mais il peut être plus ou moins contrôlé, avec un traitement et une hygiène de vie (alcool, drogues, café, sommeil décalé, stress et antidépresseurs accentuent les symptômes) adaptés et surtout en le connaissant bien et en sachant expliquer aux proches à quoi s'attendre et comment réagir (ne pas prendre personnellement les moments de dépression où la personne se renfermera sur elle-même voire sera agressive, par exemple). Dans l'édition de 2021, 9 pages supplémentaires sont d'ailleurs consacrées aux proches de personnes souffrant d'un trouble cyclothymique.
Le support de la bande dessinée et l'humour et la pédagogie de l'autrice, l'aspect très incarné de ce récit autobiographique permettent de rendre extrêmement claires certaines informations assez techniques, et alors que le livre rentre vraiment dans le détail des symptômes et de comment y faire face, on ne s'ennuie pas une seconde, aspects dont on mesure d'autant plus l'importance après l'errance diagnostique particulièrement dure décrite dans la première partie.
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