dimanche 14 mai 2023

Beginning to heal, d'Ellen Bass et Laura Davis

 


 Ce livre, court et très accessible -mais seulement en anglais si je ne me trompe pas- (c'est d'ailleurs une version plus courte de The courage to heal, des mêmes autrices), est destiné aux personnes qui ont subi des violences sexuelles dans l'enfance. Tout en étant clair sur le caractère douloureux et éprouvant du parcours de résilience, il en souligne la nécessité (et la beauté de la récompense quand ce parcours a été effectué) et donne des éléments à la fois concrets et rendant compte de la diversité des situations pour mieux traverser les différentes étapes. Les trois dernières pages sont des conseils pour les proches de victimes (en particulier croire la personne et insister sur le fait qu'elle n'a strictement rien à se reprocher -même si elle a gardé le silence des années, même si elle a pris du plaisir, même si elle a gardé un lien affectif avec l'agresseur·se, même si non mais vous êtes sérieux·se vous estimez que cette liste a une raison d'être?-, ne pas chercher d'excuses à l'agresseur·se ou minimiser ses actes, respecter la temporalité du processus post-traumatique, et avoir conscience de ses propres limites), mais les autrices ont aussi consacré un livre entier (Allies in healing) au sujet.

 Dans un livre par ailleurs technique et généraliste sur le traumatisme, Pascale Brillon précise que les traumatismes les plus violents sont ceux qui sont survenus dans l'enfance, et ceux générés par des violences sexuelles. Comme si cette cumulation des deux plus importants critères de gravité ne suffisait pas, les violences sexuelles dans l'enfance peuvent avoir des caractéristiques spécifiques, comme ne pas être en mesure de comprendre ce qui se passe (ce qui peut causer un oubli et faire réémerger le souvenir à l'âge adulte), impacter fortement la relation avec un·e ou des proches (qui font, ou qui laissent faire) qui sont par ailleurs important·e·s pour se construire ou, quand ce sont les parents, pour une question de survie et, on peut l'imaginer, une exposition plus forte à une répétition des violences. Les autrices identifient différentes étapes de guérison, qui seront douloureuses parce qu'elles contribuent aussi à réaliser pleinement la réalité de ce qui s'est passé, mais avec une récompense à la fin qui selon elles vaut largement le chemin parcouru ("à la fin, vous vous rendez compte que la guérison vous a apporté plus qu'une simple diminution de la souffrance. Vous commencez à voir le processus de guérison comme le début d'une vie d'épanouissement").

 Un élément essentiel, commun à plusieurs étapes, est de pouvoir s'appuyer sur le soutien d'allié·e·s. Les récits autobiographiques de la fin le montrent, parler de ce qu'on a vécu c'est aussi s'exposer à des désillusions dans des moments où on est pourtant à vif... cependant, ça reste important de ne pas être seul·e, de pouvoir être entendu·e vraiment, de pouvoir partager cette réalité qui est souvent un secret lourdement et longuement porté... et donc partagé avec le·a seul·e agresseur·se (qui par ailleurs ne reconnaîtra pas forcément les faits, ou même minimisera sa propre responsabilité, ce qui n'a bien entendu aucun sens et constitue une violence supplémentaire). Les autrices partagent des critères pour trouver un·e interlocuteur·ice fiable : une personne qui nous respecte, avec laquelle on se sent en sécurité, avec qui on a déjà parlé de sujets personnels et qui se soucie de notre bien-être. Les groupes de parole spécialisés sont également fortement recommandés : "Quand votre thérapeute vous dit "Ce n'est pas de votre faute", c'est une chose. Mais quand vous avez huit personnes qui vous le disent, c'est bien plus puissant".

 La culpabilité est un sujet central. Si la ressentir est légitime dans le sens où elle fait souvent partie du parcours (n'allez pas culpabiliser de culpabiliser!), elle n'a objectivement, comme il faut savoir se le rappeler (ou se le faire rappeler par d'autres) aussi souvent que nécessaire, aucun début de raison d'être. Un enfant n'a aucun moyen de se défendre face à un·e adulte (ni même face à un enfant plus âgé) qui a de son côté la force physique, souvent l'emprise émotionnelle, et le temps d'avance qu'a la personne qui prend la décision d'être violente sur la personne qui va subir les violences (par ailleurs, il est par définition question de violences, donc même sans parler de rapport de force entre enfants et adultes il serait saugrenu de prêter une responsabilité à la victime plutôt qu'à l'agresseur·se). Et le fait pour l'agresseur·se d'avoir éventuellement subi une enfance traumatique n'excuse rien. Pour mieux en prendre conscience, les autrices proposent de rentrer en contact avec son enfant intérieur (une étape réparatrice importante par ailleurs : l'adulte que l'on est peut enfin prendre soin de l'enfant qui n'a pas reçu la bienveillance qu'il aurait du recevoir), ou de passer de temps avec des enfants pour réaliser de façon plus concrète la réalité de ce qu'est un enfant, donc son innocence et sa vulnérabilité physique et psychique (un témoignage rapporte une prise de conscience intense en s'identifiant à une petite fille de cinq ans déguisée en ange lors d'une distribution de bonbons à Halloween).

 L'une des conséquences du rapport de force qui change est l'émergence de la colère. Elle peut être effrayante, débordante, c'est pourtant important de l'accepter pleinement pour précisément mieux la maîtriser avec le temps, mesurer progressivement qu'être en colère ça ne veut pas dire être violent·e ("la colère est un sentiment, et les sentiments en eux-mêmes ne font de mal à personne") et la rendre plus saine. Les autrices la voient comme un outil pour s'extraire du désespoir. A l'inverse, le pardon est une étape... facultative ("le pardon est un sujet très personnel"). L'injonction au pardon, intérieure ou extérieure, peut par ailleurs retarder la guérison, et avec elle l'accessibilité du pardon véritable si c'est effectivement un objectif.

 Le livre porte la promesse d'un cheminement certes positif à l'arrivée, mais aussi sombre et difficile. Les autrices sont claires sur le fait que ce cheminement n'est par ailleurs pas linéaire, qu'il y aura des reculs, des rechutes, probablement des moments de désespoir. La reconnaissance de cette réalité porte toutefois l'indication que ces moments font partie du parcours et ne doivent pas décourager lorsqu'on les traverse, en plus de donner, de façon synthétique, de nombreux conseils pour faire face aux divers questionnements et difficultés, et probablement se sentir moins seul·e, à la fois par la description de ce que le·a lecteur·ice peut ressentir et les témoignages qui accompagnent les propositions pratiques.

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